La profession infirmière, diverse ou divisée ?

Alors que les lignes de fractures entre les différentes façons d’exercer le métier d’infirmier semblent s’accentuer, la question de l’unité de la profession se pose. Reste à savoir pourquoi il est important que celle-ci fasse bloc.

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La diversité est une richesse, la division est une faiblesse. La profession infirmière, avec ses multiples modes d’exercice, ses nombreuses spécialités, ses champs d’application infinis, marche donc sur une ligne de crête : il est vital pour elle de continuer à permettre à chacun de ses membres de travailler dans des contextes toujours plus variés, tout en maintenant entre eux une unité sans laquelle elle risque de se déliter et de disparaître dans un paysage sanitaire qui de plus en plus complexe.

Et cela n’a vraiment rien d’évident, tant les évolutions en cours dans le système de santé semblent s’ingénier à faire émerger, année après année, les potentielles pommes discorde.

Car on ne peut manquer de remarquer que les sujets de friction ont depuis quelque temps une fâcheuse tendance à se multiplier. Que l’on songe aux vives discussions entre Iade et IPA au sujet du développement de la pratique avancée, aux craintes que certaines spécialités, qu’il s’agisse des Ibode ou des puériculteurs, nourrissent quand ils voient des IDE non spécialisés accomplir des tâches de plus en plus nombreuses et complexes, aux querelles entre ceux qui considèrent qu’un Ordre est nécessaire à la profession et ceux qui n’y voient qu’une institution inutile et dispendieuse, ou encore aux récriminations que font bien des Idel aux services d’Hospitalisation à domicile (HAD) quand ils ont l’impression que les établissements leur disputent leur patientèle. Et il ne s’agit là que de quelques exemples parmi bien d’autres.

Prendre de la hauteur

« Les divisions apparaissent malheureusement quand on se laisse enfermer dans une réflexion qui n’englobe qu’un territoire, ou qu’un modèle économique, constate Évelyne Malaquin-Pavan, présidente du Conseil national professionnel infirmier (CNPI), l’institution qui fédère une grande partie des organisations de la profession. Cela peut rapidement mener à un certain enfermement, si on ne prend pas de hauteur. »

D’ailleurs, ajoute-t-elle, « ce qui bloque, ce ne sont souvent pas des oppositions fondamentales, mais une certaine manière de considérer son champ d’action à un instant t, sans le mettre en perspective avec celui des autres ». Et la patronne du CNPI de prendre l’exemple des soins palliatifs à domicile, que les autorités cherchent à développer. « C’est un domaine dans lequel des infirmiers peuvent intervenir de différentes manières : en libéral, en HAD, via une équipe mobile de rattachement…, énumère-t-elle. Pour faire cohabiter tout ce monde, il faut avoir pris le temps de discuter, d’ajuster, de se comprendre. »

Par ailleurs, étant donné le poids démographique de la profession, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle soit traversée par différents courants. « Nous sommes 700 000 infirmiers, et c’est vrai que faire l’unité de 700 000 personnes est un challenge, estime Christophe Debout, responsable pédagogique en école d’Iade et membre de la chaire santé de Sciences-Po. Par ailleurs, on a une tendance à regarder ce qui nous manque, ce qu’on pourrait améliorer, mais la réalité, c’est que la profession pourrait être bien plus divisée. »

C’est pourquoi beaucoup pensent qu’il ne faudrait pas forcément voir les accrochages entre infirmiers comme représentatifs de ce qu’il se passe au sein de la profession. « Il y a des tensions qui sont inhérentes à la restructuration du système de santé, reconnaît Aurore Margat, maître de conférences en sciences infirmières et directrice adjointe du Laboratoire « éducation et promotion de la santé » de l’Université Sorbonne Paris Nord. Mais il faut aussi voir que la pluralité est une des réponses que l’on peut apporter aux problématiques du système de santé. »

Une question d’équilibre

Tout l’enjeu semble donc de maintenir le subtil équilibre entre unité et diversité d’un corps professionnel très nombreux. « Je pense que seule une profession à la fois unie et plurielle est capable d’apporter les bonnes compétences au bon patient au bon moment, estime Aurore Margat. D’où l’importance de s’accorder sur les zones de compétences de chacun pour favoriser la complémentarité entre professionnels : une profession qui ne serait pas unie ne serait pas capable de se mettre d’accord. »

Par ailleurs, les patients ont tout à gagner à avoir des infirmières représentées au plus haut niveau, or cela n’est possible que si la profession est unie. « Le renforcement du leadership infirmier fait partie des quatre piliers promus par l’OMS [Organisation mondiale de la santé, ndlr], notamment parce qu’elle considère que par sa forme d’exercice, l’infirmier est détenteur d’énormément d’informations utiles pour éclairer la prise de décision, rappelle Christophe Debout. Il faut donc qu’il y ait des infirmiers autour des tables où sont prises les décisions, et ce à tous les niveaux : le service, l’hôpital, l’administration, le ministère… Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce point est hautement perfectible. »

Pour peser autour des tables, la profession doit donc être unie, estime Christophe Debout, ce qui passe, entre autres, par un renforcement des structures représentant la profession. « Il y a une différence entre les infirmiers français et les infirmiers des autres pays, c’est qu’ils ne se tournent pas spontanément vers une organisation professionnelle, qu’il s’agisse de l’Ordre, des syndicats, des associations…, regrette-t-il. Il y a justement besoin de développer ces organisations, qui peuvent rassembler, et être force de proposition. » Et la bonne nouvelle, c’est qu’en raison de la diversité même de la profession, ce ne sont pas les organisations infirmières qui manquent. Chacun devrait donc trouver chaussure à son pied pour dénicher la structure qui lui correspond et permettre à la profession de peser davantage sur les décisions.

Adrien Renaud

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Réactions

3 réponses pour “La profession infirmière, diverse ou divisée ?”

  1. CRNA05 dit :

    Je suis à la retraite, j’ai été IADE en bloc, smur, urgence et réanimation dans un CHR situé en zone de montagne, mais j’aie aussi passé quelques années en CHU en bloc pluridisciplinaire, cela m’a permit d’aborder l’ensemble de ma profession. Je ne connais pas le travail des IDELs, mais j’ai été en contact avec plusieurs d’entre eux et nous avons pu échanger. Je ne prétends pas connaitre ou savoir l’intégralité de notre profession, mais se que je sais c’est qu’il existe une base solide de laquelle chacun peut évoluer, se spécialiser ou choisir des centre d’intérêts.
    Mais il est difficile de ne pas céder aux sirènes du « je suis le meilleur » ou « ma spécialité est la plus importante ». Rassembler une profession, difficile, peu reconnue et surtout qui se complait dans des luttes intestines et les divisions dues à la méconnaissance de soit et des autres professionnels; cela devrait être le rôle de notre Ordre, qui ne parle que pour une partie de cette profession et surtout qui est très loin des problématiques quelle pose; car il n’aborde jamais les problèmes de reconnaissances salariales, ni les problèmes de sécurité des personnes, ni ne s’insurge lorsque des personnels sont attaqués soit physiquement, soit moralement. Il me semble qu’il serai important que les Infirmier(e)s de tous le pays soit plus solidaires entre eux et qu’il fassent savoir aux médecins que nous nous battons pas contre eux, ni contres les autres soignants mais contre un système qui refuse de rémunérer nos professions au niveau le plus haut d’Europe alors que quel soit nôtre mode d’exercice, nous avons le plus haut niveau de formation et de responsabilité. Changeons la tête de cet Ordre qui ne songe qu’a prendre les cotisations, sans rien en contrepartie, et qui ne fait que « bêler » devant les « bonnes idées » du ministère. A quand une vraie défense de nôtre profession et de ses membres!

  2. prevalain dit :

    Je suis un IDE maintenant à la retraite. Mon avis vaut donc ce qu’il vaut. « Prendre de la hauteur » oui, certainement… mais à mon sens, cela signifie surtout …
    1. Reconnaître aux IDE la spécificité de leurs compétences dans une discipline donnée et ne pas attendre qu’un(e) IDE puisse être « compétente » dans toutes ces disciplines. Un(e) IDE d’orthopédie n’est pas un(e) IDE de Diabétologie ou de Cardiologie.
    2. Les IDE doivent se donner pour discipline de lire les articles scientifiques concernant leur discipline afin de maintenir leurs connaissances à jour (en sachant que la majorité des publications sont en anglais…) et dispenser leurs soins en l’état actuel des connaissances médicales.
    3. Assister et participer à des congrès de bonne tenue précisément dans un effort de formation continue (les journées préparées en IFSI sont bien insuffisantes).
    4. Aller chercher des compétences (D.U. ou D.I.U.) qui devront être utilisées dans les Services d’appartenance desdits IDEs titulaires.
    5. Considérer que les IDE doivent avoir un profil de carrière qui leur permette d’évoluer dans leur profession… et d’être rémunérés en conséquence. Je connais un Service d’Echographie cardiaque qui serait bien dépourvu s’il n’y avait des IDE titulaires du DU d’Echo pour assurer la plupart des examens!

  3. Monin dit :

    Vouloir fédérer l ensemble de la profession infirmière est un leurre,doublé de sottise ..Les infirmières hospitalières n ont que peu de points communs avec les infirmières libérales….Défendre les para médicaux oui,pas pour faire ce que la PPL rist va essayer ,ce qui est un non sens jouer les infirmières vs les médecins…

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