Accompagner au long cours des patients anorexiques mentaux

Au sein de la clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME) du Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences, une unité est dédiée à la prise en charge des troubles du comportement alimentaire (TCA), dont l’anorexie mentale. Au sein de la structure pluriprofessionnelle, les infirmiers proposent de nombreux ateliers aux patients dont ils sont référents. 

Cet article a été publié dans le n°43 d'ActuSoins Magazine (décembre-janvier-février 2022). Il est à présent en accès libre. 

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Au sein de l'Unité TCA, une vingtaine de patientes sont prises en charge en hospitalisation complète, pendant une durée moyenne de trois à six mois

Au sein de l'Unité TCA, une vingtaine de patientes sont prises en charge en hospitalisation complète, pendant une durée moyenne de trois à six mois. ©Ayoub Benkarroum

« En me regardant, je regrette les lasagnes de midi », lance Juliette* devant le miroir, en touchant son ventre, ses hanches, ses cuisses. Hospitalisée depuis environ quatre mois, elle est aujourd’hui en phase de stabilisation. Elle devrait quitter l’unité TCA dans un mois. Entre son arrivée au sein de la structure et aujourd’hui, elle a pris une vingtaine de kilos.

Au cours de différentes séances portant sur l’image de soi, organisées par Laura Pichot, IDE au sein de l’unité et l’une de ses deux référentes, elle travaille à accepter son nouveau corps renutri. Car après avoir frôlé la mort, le combat de Juliette est aujourd’hui de ne pas retomber dans les travers de l’anorexie mentale et de ne pas se priver de nourriture.

« Quelques semaines avant la sortie d’hospitalisation, nous organisons ces séances d’image de soi », explique Laura Pichot, dans la salle de pesée où se déroule l’atelier. Aujourd’hui Juliette essaye pour la première fois devant le miroir de plein pied – car les chambres en sont dépourvues – un nouveau pantalon qu’elle a commandé sur Internet. « J’ai aussi eu l’occasion de montrer à Juliette des photos d’elle à son arrivée », indique l’IDE. « Cela m’a fait très peur, reconnaît la patiente. J’ai été choquée. On voit les autres et on ne pense pas être comme eux. J’ai pris conscience que j’étais gravement malade et que le travail sur moi allait être profond. Guérir ne consiste pas seulement à remanger. »

Une hospitalisation contractualisée

La reprise des kilogrammes n'est pas toujours facile pour les patients qui frôlent la mort en se privant de nourriture

Dans le cadre de séances sur l'image de soi, les patientes travaillent à l'acceptation de leur nouveau corps. La reprise des kilogrammes n'est pas toujours facile pour les patients qui frôlent la mort en se privant de nourriture. ©Ayoub Benkarroum

L’unité TCA accueille vingt patients – majoritairement des femmes – en hospitalisation complète, qui ne sont pas sous contrainte (sauf exception). Elles peuvent être orientées par leur médecin psychiatre, généraliste, des assistants sociaux, voire par les médecins du service qui les ont reçues en consultation.

En amont de leur hospitalisation, le psychiatre leur montre les lieux et le déroulement de la prise en charge. La première semaine d’hospitalisation, les patientes sont en phase d’observation. « Elles ne doivent rien changer à leurs habitudes afin que le personnel soignant puisse analyser leur comportement », explique Caroline Borrat, cadre de santé de l’unité TCA. « Nous allons observer l’hyperactivité physique et intellectuelle de la patiente ainsi que sa capacité à s’alimenter. Nous mettons tout en œuvre pour qu’elle s’alimente a minima avec la possibilité de prescrire des compléments nutritifs oraux ou la pose d’une sonde nasogastrique », complète Nadine Satori, infirmière au sein du service depuis plus d’une vingtaine d’années.

Cette phase permet également à la diététicienne d’établir le programme de diversification alimentaire et à l’équipe de préparer le contrat thérapeutique. Car la prise en charge repose sur un contrat personnalisé signé par la patiente, le médecin et les infirmiers référents. Elle est ensuite prise en charge par une équipe également composée de psychologues, infirmiers, aides-soignants, diététiciens, kinésithérapeutes, coachs sportifs, ergothérapeute et agents de service hospitalier.

« Ce sont des hospitalisations contractualisées et longues dont la durée est variable, de trois à six mois ou plus, indique Caroline Borrat. La reprise de poids est un facteur important qui conditionne cette durée. Mais pour des raisons physiologiques, elle ne peut pas excéder un rythme de plus d’un kilo par semaine. »

Une hospitalisation en trois phases

Des mini-ateliers cuisine sont proposés aux patientes peu de temps avant leur sortie d'hospitalisation

Des mini-ateliers cuisine sont proposés aux patientes peu de temps avant leur sortie d'hospitalisation. L'objectif est de leur réapprendre à cuisiner « équilibré » avant de quitter l'unité. ©Ayoub Benkarroum

Le contrat thérapeutique s’organise autour de trois phases. La phase 1 est centrée sur la renutrition afin de permettre à la patiente de retrouver un état nutritionnel compatible avec la reprise de certaines activités ou encore d’arrêter des comportements potentiellement dangereux (crises de boulimie, hyperactivité physique, exposition au froid). « Pendant cette phase, l’objectif est de travailler autour des motivations de soins, explique Caroline Borrat. Il n’y a pas de sortie en permission autorisée. »

La phase 2, à laquelle les patientes accèdent à partir d’un Indice de masse corporelle aux environs de 16, repose sur la normalisation du poids pour évoluer jusqu’à un IMC aux alentours de 20, la diversification complète de l’alimentation et l’entraînement à des menus équilibrés. Des sorties courtes et encadrées sont autorisées.

Enfin la phase 3 est celle de la stabilisation afin de maintenir un comportement alimentaire équilibré et un poids normal, avec une alimentation diversifiée, la reprise des contacts avec l’extérieur et la préparation du suivi à mettre en place à l’extérieur.

Le modèle cognitivo-comportemental

L'activité physique tient une place de premier rang au sein de l'Unité TCA

L'activité physique tient une place de premier rang au sein de l'Unité TCA. Les séances permettent aux patientes de gagner en force physique et mentale. ©Ayoub Benkarroum

« La prise en charge que nous offrons est basée sur le modèle cognitivo-comportemental », rapporte Nadine Satori. Et de résumer : « Notre travail consiste donc à proposer un modèle de déconditionnement et de reconditionnement afin de permettre la mise en place de nouveaux schémas de conduite adaptés qui préviennent des dangers. »

Cette approche requiert au préalable de définir des motivations car elle implique l’adhésion et l’engagement du patient à un contrat. Il doit être en pleine conscience de son besoin d’être pris en charge, être motivé et accepter la procédure. Le protocole de soin est donc séquencé et protocolisé avec des objectifs à atteindre. A chaque objectif de soins est lié un renforçateur, c’est-à-dire une récompense : un appel, du courrier... 

« L’approche peut paraître difficile mais le contrat nous permet de rappeler aux patients leurs engagements et les objectifs de soins, indique Nadine Satori. Il neutralise le rapport de pouvoir. » Chaque patient est encadré par le responsable de l’unité, un interne qui en prend en charge dix, et deux infirmiers référents qui s’occupent chacun de cinq patientes. Leur rôle consiste à les surveiller, distribuer les médicaments, puis à dégager du temps pour organiser des points réguliers, proposer des ateliers ou encore effectuer des entretiens de motivation.

Mini-ateliers de cuisine

Le toucher à visée thérapeutique, dispensé par Nadine Satori, permet de travailler avec les patientes à une meilleure acceptation de leur corps

Le toucher à visée thérapeutique, dispensé par Nadine Satori, permet de travailler avec les patientes à une meilleure acceptation de leur corps. ©Ayoub Benkarroum

Pour leur apprendre à se réalimenter correctement, l’unité TCA organise, en phase 2, des mini-ateliers cuisine sur la base de menus proposés par les patientes et validés par la diététicienne. « Elles savent très bien ce qu’elles doivent cuisiner, indique Paul Nguyen, un infirmier du service qui supervise l’atelier aujourd’hui. Mais elles se confrontent à la difficulté de la quantité et des matières grasses. Alors nous pesons les aliments pour les aider à visualiser et faciliter le retour au domicile. »

Aujourd’hui Julie*, une patiente en phase 2, s’apprête à cuisiner de la viande rouge et des pommes de terre. Les patientes se restreignent généralement à des aliments qui les rassurent ce qui exclus le gras, la viande et les féculents. « Nous veillons à ce qu’elles mangent de tous les aliments car, souvent, elles sont végétariennes non pas par conviction mais en raison de l’apport calorique de la viande », précise Paul.

« C’est difficile de cuisiner pour moi toute seule, confie Julie. Mais c’est important de réapprendre à le faire, d’autant plus que je vais être amenée à vivre seule. » A la fin de l’atelier, mauvaise surprise. Elle n’a pas pris un nombre suffisant de pommes de terre et n’atteint pas la quantité demandée par la diététicienne. Le trouble se lit sur son visage. « Pour faire les courses, j’aurais préféré que la diététicienne me donne une quantité en poids plutôt qu’un nombre de pommes de terre, je pense que j’aurais pu mieux doser », se défend-t-elle. Son plat sera alors complété.

Le soin « toucher à visée thérapeutique »

Après chaque séance de toucher à visée thérapeutique, l'infirmière effectue un débriefing avec la patiente, pour connaître son ressenti

Après chaque séance de toucher à visée thérapeutique, l'infirmière effectue un débriefing avec la patiente, pour connaître son ressenti. ©Ayoub Benkarroum

Toutes les démarches de soins permettent d’accompagner la reprise de poids. José Esteban, coach sportif et psychologue, organise les séances d’activité physique au sein de l’unité TCA afin de travailler sur les perceptions et l’image corporelle. « L’atelier permet aussi de gagner en force physique, donc en force mentale », soutient-il.

Certains infirmiers formés proposent également un soin « toucher à visée thérapeutique » qui, comme la séance devant le miroir ou l’usage du logiciel de morphologie, permet de travailler à une meilleure acceptation de son corps. « Nous le proposons aux patients à partir d’un IMC à 16 », explique Nadine Satori, précisant que la démarche est validée par une prescription médicale afin de cadrer cette relation de soins de proximité.

Ce soin est progressif et se déroule en plusieurs étapes avec pour objectif un rapprochement relationnel avec la patiente. « Avec cette approche, j’ai l’impression de mieux m’habiter », confie Marie* en s’allongeant sur son lit. L’infirmière vient alors poser ses mains sur son dos, ses hanches, ses cuisses, ses pieds. Elle lui propose également une visualisation. Post-séance, Nadine effectue un débriefing et la patiente lui confie s’être sentie moins large qu’elle ne pensait l’être.

« Tout ce travail s’effectue en interprofessionnalité avec une synthèse par semaine, réalisée avec tous les professionnels de santé, au cours de laquelle chaque situation clinique est reprise et approfondie, indique le Dr Julia Clarke, psychiatre et praticien hospitalier de l’unité. Puis tous les matins et tous les soirs, un staff est organisé avec toute l’équipe pour faire un point sur la journée. ».

Dans l’anorexie mentale et la boulimie, le risque d’évolution des troubles vers la chronicisation est important et il s’agit de la pathologie la plus mortelle en psychiatrie en raison de complications somatiques ou par suicides. Néanmoins, à ce jour, une majorité de patients pris en charge évoluent favorablement.   

Laure Martin

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*Les prénoms ont été modifiées

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