Dans les hôpitaux de Kiev, le personnel soignant s’adapte à la guerre

Depuis plus d’un mois, les hôpitaux de Kiev sont entrés dans un quotidien de guerre. Le personnel soignant doit adapter le travail face au risque de bombardement.

La maternité du centre de kiev est équipée d’un bunker pour se protéger des bombardements

La maternité du centre de la capitale est équipée d’un bunker pour se protéger des bombardements. ©Nicolas Cortes

Dans le centre de Kiev, un bâtiment massif de style soviétique renferme une maternité. A l’entrée, des sacs de sable recouvrent les portes vitrées. La sécurité surveille chaque passage : « passeport, accréditions, carte de presse… vous avez rendez-vous ? Avec qui ? »

Depuis le début de la guerre, les hôpitaux filtrent les accès. Les Ukrainiens craignent les « saboteurs russes », des espions envoyés par le Kremlin. A l’intérieur, le Dr Tatiana Berezhna, gynécologue-obstétricienne, ouvre une petite porte : « bienvenue dans notre nouveau monde », dit-elle en se pinçant les lèvres. Derrière, un escalier descend vers les souterrains de la maternité : « c’est ici que nous vivons maintenant. »

Les maternités en sous-sol

Le Dr Tatiana est gynécologue. Elle travaille depuis deux ans dans une maternité dans le centre de Kyiv

Le Dr Tatiana est gynécologue. Elle travaille depuis deux ans dans une maternité dans le centre de Kyiv. Depuis le 24 février, le docteur a réalisé plusieurs accouchements dans l’abri.

Le Docteur avance le long d’un étroit couloir. Au plafond, de larges tuyaux verdâtres survolent nos têtes. Les pièces sont séparées par des portes étanches. Dans cet espace où la lumière du jour ne pénètre pas, le faible éclairage renforce l’effet bunker : « ici, nous pratiquons les accouchements », indique le Dr Berezhna en montrant une petite pièce. Un lit est placé au centre et du matériel médical remplit l’espace de manière anarchique.

« J’ai moi-même pratiqué plusieurs accouchements dans cet abri depuis le début de la guerre. C’est étrange de voir ces femmes donner la vie dans un sous-sol. Mais nous ne manquons de rien. Il y a une balance pour peser les nouveau-nés, de quoi les nettoyer, les réchauffer, le matériel est prévu pour réaliser des accouchements. Nous avons stocké des médicaments car nous anticipions la guerre. C’est limité, mais nous avons le minimum pour survivre. Nous avons aussi des stocks d’eau », ajoute-t-elle en pointant du doigt des bouteilles.

Pendant plusieurs semaines, le personnel soignant craignait les coupures d’électricité mais un générateur a récemment été installé : « grâce à l’aide de volontaires locaux qui nous ont fourni gratuitement le matériel et de quoi l’alimenter. Maintenant, nous sommes sûrs d’avoir constamment de l’électricité. »

Originaire de Kharkiv, une ville de l’Est aujourd’hui sous le feu des bombes russes, Tatiana travaille depuis deux ans dans cette maternité : « je regarde avec inquiétude l’actualité, notamment dans ma ville d’origine. Mais nous, le personnel soignant, avons pour devoir de garder la tête haute, de ne pas nous laisser noyer par le stress pour soutenir moralement les patientes. Vivre dans un sous-sol est angoissant pour ces femmes enceintes et le stress favorise les accouchements prématurés. »

Le risque au quotidien

Plusieurs maternités de Kiev ont aménagé leurs sous-sols pour accueillir les femmes enceintes et leurs familles. Mais dans les autres établissements hospitaliers de la capitale ukrainienne où différents services cohabitent, le travail souterrain est plus difficile à organiser.

Dans un hôpital du nord de Kiev, le Dr Denis Reizin, chirurgien, déambule entre les couloirs. Il consulte l’état des patients blessés par les combats : « les premiers jours, nous étions tout le temps au sous-sol, dit-il. Nous ne savions pas si Kiev serait prise en quelques jours, nous étions dans une situation de panique. Maintenant, nous avons appris à vivre avec le risque de bombardement. » 

[dropshadowbox align="none" effect="lifted-both" width="auto" height="" background_color="#ffffff" border_width="1" border_color="#dddddd" ]" Nous avons appris à vivre avec le risque de bombardement. » [/dropshadowbox]

Le Dr Denis Reizin travaille dans un hôpital du nord de Kiev

Le Dr Denis Reizin travaille dans un hôpital du nord de Kiev. Non loin, à une quinzaine de kilomètres dans la périphérie nord-ouest, les forces ukrainiennes et l’armée russe s’affrontent depuis plusieurs semaines. ©Nicolas Cortes

L’établissement hospitalier est situé à l’extrême nord de Kiev, à l’entrée de la ville. Cette partie de la capitale a été lourdement bombardée par Moscou à la mi-mars. Non loin, à une quinzaine de kilomètres dans la périphérie nord-ouest, les forces ukrainiennes et l’armée russe s’affrontent depuis plusieurs semaines.

Les sous-sols « ne sont pas adaptés »

Ne serait-il pas préférable de transférer tous les patients dans les sous-sols pour éviter les risques d’attaques ? Le chirurgien hausse les épaules : « à quoi bon ? Le travail en dessous est difficile. Les premiers jours de la guerre, nous étions très serrés…, ce ne sont pas des environnements stériles et il est très compliqué d’y installer tout le monde. Certains patients sont immunodéprimés et ne peuvent pas rester en bas. Nous avons des enfants et des personnes âgées. Et puis, certains blessés de guerre nécessitent de lourdes interventions qu’on ne peut pas réaliser au sous-sol. »

La guerre s’est installée dans le quotidien de l’hôpital. La volonté de travailler normalement induit une certaine prise de risque. Le personnel soignant n'ignore pas les dangers, tous savent que l’armée russe bombarde les hôpitaux.

[dropshadowbox align="none" effect="lifted-both" width="auto" height="" background_color="#ffffff" border_width="1" border_color="#dddddd" ]"Ce ne sont pas des environnements stériles et il est très compliqué d’y installer tout le monde. Certains patients sont immunodéprimés et ne peuvent pas rester en bas. Nous avons des enfants et des personnes âgées. Et puis, certains blessés de guerre nécessitent de lourdes interventions qu’on ne peut pas réaliser au sous-sol. »[/dropshadowbox]

 « Nous avons en tête la maternité de Marioupol, bombardée par les Russes début mars. Bien sûr, en cas de sirène d’alarme, nous descendons. Ou nous éloignons les patients des fenêtres. Mais nous savons maintenant reconnaître au son quand un missile est proche, si une explosion est lointaine. Notre travail est déjà suffisamment bouleversé pour ne pas ajouter plus de difficultés. Notre priorité est de soigner dans l’urgence. Pour cela, nous manquons terriblement de matériel, notamment des machines à ultrasons, des appareils à rayons X et des ligatures », regrette-t-il.

Adapter le travail

Valentina Maariash est infirmière en chef dans un des plus grand hôpitaux pour enfant en Ukraine

Valentina Maariash est infirmière en chef dans un des plus grand hôpitaux pour enfant en Ukraine.  ©Nicolas Cortes

A Okhmatdyt, le plus grand hôpital pour enfants de Kiev, Valentina Maariash, infirmière en chef du service d’oncologie, installe le jeune Bova, 13 ans, dans le couloir : « une sirène d’alarme vient de retentir. On n’a pas le temps de descendre au sous-sol, mais on l’éloigne des fenêtres. C’est la règle des deux murs, il faut deux murs de séparation avec l’extérieur pour éviter les éclats des bombes. »

L’infirmière en chef dort à l’hôpital sans interruption depuis le début de la guerre : « nous devons être constamment prêts à travailler. Le rythme est plus intense, d’autant plus qu’une partie du personnel soignant est absente : soit au front, soit à l’Ouest. »

[dropshadowbox align="none" effect="lifted-both" width="auto" height="" background_color="#ffffff" border_width="1" border_color="#dddddd" ]" On n’a pas le temps de descendre au sous-sol, mais on l’éloigne des fenêtres. C’est la règle des deux murs, il faut deux murs de séparation avec l’extérieur pour éviter les éclats des bombes. »[/dropshadowbox]

Avec la guerre, ses missions ont été bouleversées : « je m’assure toujours que les patients prennent bien leurs médicaments, mais je dois aussi être sûre que ces médicaments sont disponibles à cause des risques de pénuries dues à la guerre », précise-t-elle.

Avec les bombardements, « on doit aussi rassurer les patients et leurs familles. L’ensemble du personnel soignant est devenu un service d’écoute, nous sommes tous des psychologues en herbe. Nous tentons de descendre au sous-sol quand on le peut, mais cela ralenti le rythme de travail, c’est compliqué », assure-t-elle. Valentina pénètre dans la salle de repos du personnel, elle saisit un café et s’installe avec ses collègues. Malgré la sirène qui retentit dehors, l’ambiance est légère : « c’est la guerre, mais nous faisons notre possible pour garder un semblant de normalité. »

Inès Gil

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