Pourquoi la justice se mêle-t-elle de plus en plus de santé ?

La crise épidémique semble avoir donné un coup d’accélérateur à un phénomène démarré dans les années 1980 avec l’affaire du sang contaminé : l’intrusion du juge dans le domaine de la santé. Et la dynamique semble devoir se poursuivre.

Pourquoi la justice se mêle-t-elle de plus en plus de santé ?15 octobre 2020. Policiers et gendarmes se présentent aux domiciles du ministre de la Santé Olivier Véran, du directeur général de la Santé Jérôme Salomon, de la directrice générale de Santé Publique France Geneviève Chêne, et d’ex-membres du gouvernement : Édouard Philippe, Agnès Buzyn, et Sibeth Ndiaye.

Ils sont là pour mener des perquisitions dans le cadre d’une procédure ouverte quelques mois plus tôt par la Cour de justice de la République sur la gestion de la crise du coronavirus.

L’événement couronne en quelque sorte une évolution entamée il y a plusieurs années, voire plusieurs décennies : le juge est désormais devenu un acteur du système de santé à part entière.

Un bref coup d’œil à l’actualité récente du secteur de la santé permet en effet de se rendre compte que l’époque où la chronique juridico-sanitaire se résumait à quelques grandes affaires (le sang contaminé dans les années 1980, le Mediator au début des années 2010…) est bel et bien révolue.

Aujourd’hui, la rubrique « justice » des grands médias est émaillée de procédures judiciaires. Un exemple parmi d’autres : sur Europe 1, l’avocate Corine Lepage expliquait le 16 janvier dernier qu’elle avait décidé de prendre la défense de l’Association des citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM). Elle a dans ce cadre écrit au premier ministre Jean Castex pour lui demander de réguler l’installation des médecins, faute de quoi elle saisira le Conseil d’État pour faire respecter l’égalité des citoyens en matière d’accès aux soins.

Plus d’association, plus de lois, plus de procédures

D’après Vincent Lautard, infirmier et juriste connu des lecteurs d’ActuSoins pour ses billets juridiques, on peut avancer plusieurs pistes pour expliquer la multiplication des affaires judiciaires liées à la santé. « Il y a de plus en plus d’associations qui défendent les droits des patients, et il y a une plus grande exigence de sécurité vis-à-vis des médicaments et produits de santé, avance ce spécialiste du droit de la santé. D’autre part, les textes de lois liés à la santé se sont multipliés au cours des 20 ou 30 dernières années. »

On peut bien sûr penser à la loi Kouchner de 2002 sur le droit des patients. Mais celle-ci a peut-être aussi, paradoxalement, eu pour effet de faire baisser le nombre de procédures judiciaires. La vague des affaires sanitaires pourraient en effet littéralement submerger les tribunaux si la loi Kouchner n’avait pas tenté de favoriser le règlement amiable des litiges.

En créant les Commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), ce texte a en effet permis aux victimes d’erreur médicale de disposer d’une procédure amiable, généralement moins coûteuse et moins longue que celle des tribunaux, pour faire valoir leurs droits. Le rapport d’activité 2019 de l’Oniam note ainsi que les CCI avaient cette année-là reçu pas moins de 5 300 demandes d’indemnisation.

Attention aux effets de loupe

Mais, toujours selon Vincent Lautard, il faut se méfier des effets de loupe. « On ne se dirige pas vers une situation à l’américaine, estime l’infirmier. Il y a une plus grande médiatisation, certes, mais il faudrait une analyse détaillée de la jurisprudence pour savoir s’il y a plus d’affaires. » En somme, c’est parce qu’on parle davantage de santé en général, et de coronavirus en particulier, qu’on a aujourd’hui l’impression d’un emballement judiciaire autour des questions de santé. Les plaintes en cours dans le cadre du coronavirus iront-elles jusqu’au bout ? « On y verra plus clair dans quelques mois », estime Vincent Lautard.

Il y a par ailleurs un point qu’il ne faut selon lui pas négliger. « À côté du nombre, certes grandissant, des affaires qui sont médiatisées, il y a beaucoup de choses qui sont perdues dans la masse, estime le juriste. Il y a de nombreuses situations où les droits des patients sont bafoués mais qui ne donnent pas lieu à des plaintes ou à des procès. » Plusieurs explications à cela : soit les victimes n’ont pas les moyens d’entamer une procédure, soit elles n’ont pas les connaissances nécessaires pour faire appel aux associations disposant de l’expérience appropriée…

L’impression de profusion judiciaire actuelle pourrait bien n’être que la partie émergée de l’iceberg.

Adrien Renaud

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