Étudiants en soins infirmiers : « nous demandons un arrêté qui empêche les ARS de faire ce qu’elles veulent avec notre formation »

Dans un vademecum portant sur la mobilisation des personnels pendant la crise du Covid-19 publié fin octobrele ministère indique que les étudiants en soins infirmiers peuvent être mobilisés en renfort aide-soignant sur des durées limitées de leurs stages. L’idée : contribuer à la continuité des soins en qualité d’AS sur un temps restreint, et bénéficier, sur le reste de la période d’un encadrement infirmier habituel pour ne pas compromettre les apprentissages. Mais pour les principaux concernés, les étudiants, il y a un hic : les ARS détournent ce vademecum à leur guise et en fonction des besoins. Résultat : de grosses disparités et une inégalité des chances selon les régions. Par ailleurs, les étudiants ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas rémunérés pour ces mobilisations. Entretien avec Bleuenn Laot, présidente de la FNESI.

Copie d'écran du vademecum du ministère des solidarités et de la santé, en date du 23/10/2020

Copie d'écran du vademecum du ministère des solidarités et de la santé, en date du 23/10/2020

ActuSoins. Le vademecum du ministère de la santé est clair : dans le cadre de la crise sanitaire, un étudiant peut être mobilisé une semaine en qualité d’AS pour une période de cinq semaines de stage, ou deux semaines pour une période de 10 semaines. Dans certaines régions pourtant, les étudiants disent encore être sollicités bien plus que cela. Certains sont mobilisés sur la totalité de leur stage, voire-même sur des périodes de formation et figurent simplement sur les plannings en qualité d’AS. Qu’est ce qui explique de telles disparités et quels sont les leviers pour un meilleur respect des consignes ministérielles ?

Bleuenn Laot. Quand nous avons soulevé le problème, plusieurs ARS nous ont dit que le vademecum n’était pas « très important » et qu’elles n’étaient pas obligées d’en tenir compte car il ne s’agit « que » d’une ligne de conduite.

Sur le fond, c’est juste car il est clairement écrit dans le document que les ARS et les IFSI peuvent faire un peu ce qu’ils veulent de la formation et de la diplomation. C’est cela qui ne convient pas. C’est assez incohérent et cela laisse beaucoup trop de place et de libertés à ces instances, qui ont entre les mains, l’avenir de leurs étudiants.

Nous demandons donc un écrit cadré, réglementaire qui ne laisse pas de place aux dérives : un arrêté qui fixe les règles et qui empêche les ARS de faire ce qu’elles veulent. Actuellement certaines mettent en danger la formation des étudiants.

Étudiants en soins infirmiers : « nous demandons un arrêté qui empêche les ARS de faire ce qu’elles veulent avec notre formation »Mais vous ne vous opposez pas au renfort des ESI en qualité d’AS dans l’absolu…

Nous n’avons évidemment aucun souci avec l’idée d’une mobilisation cadrée qui n’empêcherait pas le bon déroulement de notre formation. Il est normal que les étudiants en santé mettent leurs compétences à profit.

En revanche, nous n’acceptons pas les dérives. Nous n’acceptons pas que des étudiants remplacent des professionnels aides-soignants sur toute la durée de leur stage et sur des périodes de formation. A un moment donné, cela va poser des problèmes en termes de compétences. Les étudiants auront un diplôme infirmier sans avoir bénéficié de la totalité des contenus prévus.  Certaines ARS proposent  une alternative : des reports de diplomation ou même des « années blanches ». Cela ne nous convient pas car si cela permet de résoudre en partie la pénurie d’AS, cela ne va pas arranger le manque d’IDE, bien au contraire… Et les étudiants seront aussi lésés de sortir une année plus tard. 

Par ailleurs, nous demandons que les étudiants « en renfort » soient indemnisés comme des salariés et non avec des indemnités de stage dérisoires comme c’est souvent le cas. 

Lire aussi, sur ActuSoins.com

[Vos droits] Un étudiant en stage peut-il être contraint de remplacer un soignant absent ?

 

Vous travaillez actuellement sur un guide relatif aux modalités de mobilisation des ESI, destiné au ministère de la santé.  En dehors du cadrage réglementaire limitant la marge de manœuvre des ARS et la rémunération des renforts,  que suggérez-vous et que demandez-vous ?

Nous sommes en effet en train de rédiger ce guide. Nous avons dans ce cadre des réunions hebdomadaires avec nos ministères de tutelle (ministère de l’enseignement supérieur et ministère des solidarités et de la santé, ndlr).

Nous souhaitons avant tout une assurance sur la continuité pédagogique et établissons des préconisations de bonnes pratiques. Par ailleurs, nous constatons que nous avons de nouveau été oubliés du texte réglementaire relatif à la formation à distance pour l’enseignement supérieur. Rien n’a été fait pour les étudiants en soins infirmiers qui se retrouvent donc à suivre des enseignements en présentiel, dans des salles ou des amphis, à 150 parfois… C’est incohérent !

Lire aussi, sur ActuSoins.com : 

Covid-19 : les stages de certains étudiants en soins infirmiers perturbés à la dernière minute

 

Quelles sont vos craintes pour l’avenir des étudiants ?

Aujourd’hui, on impose trop de choses aux étudiants en soins infirmiers. On utilise même des termes qui leur font peur et qui sont inadaptés. Je pense notamment au terme « réquisition » qui n’a pas lieu d’être  s’il n’y a pas d’arrêté préfectoral. On fait ainsi croire aux étudiants qu’ils sont « réquisitionnés » alors qu’ils ne le sont pas et on ne leur laisse pas le choix, ce qui est illégal.

Toutes ces dérives nous font peur : nous craignons que les étudiants ressortent à nouveau très chamboulés. La gestion de la première vague a déjà été très compliquée pour eux. Ils sont fatigués. Ils sont à cran.

Le risque ?  Que certains arrêtent et plus globalement que les gens ne souhaitent plus exercer ce métier.

Pour l’instant, on a de la chance :  la formation menant au DE est la première demandée sur ParcourSup, donc nous sommes en nombre. Néanmoins, il faudrait qu’on soit autant à vouloir faire ce métier après être passés par les études et après être arrivés dans les services en tant qu’IDE. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et il y a beaucoup d’abandons. J’espère vraiment que cette profession va regagner en attractivité et que l’on va enfin avoir la reconnaissance que l’on mérite en tant qu’étudiants et en tant qu’infirmiers.

Propos recueillis par Malika Surbled, rédactrice en chef ActuSoins.com

Extrait d'une note interne de l'AP-HP du 9 avril destinée au Directeurs des ressources humaines de GHU, établissements hors GHU, PIC et Siège.

Étudiant faisant fonction d'infirmier : la pratique est illégale mais, pourtant, l'AP-HP a donné son aval en avril

Pendant la première vague, plusieurs services en France ont demandé aux étudiants en soins infirmiers de troisième année de remplacer des infirmiers.

Une pratique totalement illégale, rappelle-t-on. Et pourtant, selon une note interne de service datée du 9 avril de l'AP-HP que l'équipe d'ActuSoins s'est procurée, c'était bien prévu dans cette institution. Ainsi, il est clairement indiqué aux DRH (destinataires de cette note) que les ESI de troisième année peuvent "exceptionnellement [être] affectés à partir du 9 avril comme faisant fonction d'infirmier" en étant rémunérés pour cela. Seules conditions à remplir?  La complétude de leurs 150 Unités d'Enseignement et le suivi d'une formation spécifique à la réanimation. 

Par ailleurs et plus généralement, soulève Bleuenn Laot, outre l'interdit réglementaire, les remplacements d'IDE pour des non-diplômés soulèvent bien d'autres problèmes.  "Ils se font au pied levé quand il y a des absences dans les services. Les ESI ne figurent donc pas sur les plannings en qualité de "faisant fonction de". De fait, ils peuvent difficilement prouver qu'on les a sollicités pour cette fonction. C'est souvent "parole" contre "parole".  Qui sera responsable s'ils commettent une erreur? ". 

M.S

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Réactions

4 réponses pour “Étudiants en soins infirmiers : « nous demandons un arrêté qui empêche les ARS de faire ce qu’elles veulent avec notre formation »”

  1. Audrey dit :

    A mon humble avis d’étudiante en 3ème année, je connais, respecte et apprécie déjà le travail des AS et si, en toute injustice, on nous appelle étudiants INFIRMIERS, c’est bien parce que c’est ce diplôme là que nous préparons. Je crois savoir que nous avons été présents lors de la 1ère vague et que nous le serons sous conditions décentes et dans la mesure où notre formation (et donc nos compétences) ne sont pas menacées pour compenser les dérives des établissements. La société paie notre formation certes, comme beaucoup d’autres à qui personne n’a l’idée même de le reprocher. Madame, la cornette est derrière nous…

  2. Bb08 dit :

    A mon humble avis..c’est un retour aux sources …quelle meilleure formation que celle du terrain…’en immersion ‘..vous êtes en apprentissage..même si on vous a baptisés très injustement « étudiants »
    Vous apprécierez davantage le travail de vos co.equipieres…aides soignantes ensuite…
    N’oubliez pas que c’est la société qui paie votre formation…
    Vieil’infirmière..45 ans d’hôpital…HUMANISTE avant tout…

  3. Afroune dit :

    Bonjour,

    Je suis sage femme de santé publique diplômée à l’étranger et je suis prête a m’y engagé pour aider si cela le nécessite

  4. Chantal SAINT-AURET dit :

    Pourquoi ne pas former les agents a domicile et auxiliaire de vie qui sont a moitié chemin du parcours, nous sommes prêts a intervenir ??

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