Être en situation de handicap et se former en IFSI, c’est possible !

A Castelnau-le Lez (Hérault) un IFSI unique en France permet à des personnes en situation de handicap physique de se former au diplôme d’Etat d’infirmier (IDE). Les adaptations nécessaires sont mises en place pour les accompagner dans un cursus et un apprentissage qui suivent les mêmes référentiels de diplôme que les autres instituts de formation. Article paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine (décembre 2018).

L'atelier de simulation de soins infirmiers permet aux étudiants de développer les compensations nécessaires. © DR

Mélanie Epain vient de la Roche-Posay (Vienne). Elle se destine au métier d’infirmière puéricultrice dans un service de pédiatrie, à l’hôpital. L’étudiante est atteinte d’une hémiparésie droite qui altère fortement ses sensations fines et elle est aussi touchée par une hémianopsie (absence de champ visuel). En janvier 2018, elle est entrée au CRIP de Castelnau-le-Lez pour y terminer sa deuxième année d’école d’infirmière.

« L’IFSI où j'étudiais était arrivé au bout de ce qu’il pouvait me proposer pour m’aider dans l'apprentissage techniques des soins, explique-t-elle. Ici on propose des solutions, des adaptations ou des stratégies à mettre en place pour nous permettre d’accomplir nos actes. » Des solutions pour lui apprendre à développer des compensations et ainsi réussir son projet professionnel : par exemple, comment placer les doigts pour mieux sentir une artère avant de prendre une tension, ou fermer l'oeil droit pour bien voir où elle pique. « Les formateurs nous montrent comment faire, ils sont vraiment à l’écoute, ce n’était pas le cas dans l’autre école. »

Des étudiants très motivés

Comme une vingtaine d’étudiants, par promotion, Mélanie a pu accéder à l’IFSI du Centre de réadaptation et d‘insertion professionnelle (CRIP) de Castelnau-le-Lez, qui appartient à l’Union générale des caisses d’assurance maladie. Cette école dispense la formation qualifiante d'IDE et également d'Accompagnant éducatif et social.

« Nos étudiants suivent strictement le même cursus de trois ans avec les mêmes référentiels que dans tout autre IFSI, rappelle Patrice Thuaud, son directeur. La valeur ajoutée de ce CRIP est l’accompagnement personnalisé et l’inclusion pérennes de personnes en situation de handicap. » Une prise en charge qui peut aussi impliquer un accompagnement médical, psychologique, social ou ergothérapeutique sur place, que permet le faible effectif des promotions. Les cours et les adaptations nécessaires sont pris en charge par l’Assurance maladie.

Les étudiants inscrits ont, au préalable, obtenu le quitus de Pôle Emploi pour l'aptitude à suivre une formation, la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé par une Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et une validation de leur orientation professionnelle par une CDAPH. Le handicap physique peut être acquis à la naissance – déficience auditive, dyslexie, déficience sensorielle... - ou lié à une pathologie chronique, à un accident, une maladie ou contracté lors du parcours professionnel… Hormis les incapacités lourdes (physique, psychique ou intellectuelle).

« En édictant le principe du droit à compensation des conséquences du handicap, la loi de février 2005 a posé clairement la définition de handicap lié à une perte de capacité sensorielle, rappelle Patrice Thuaud.  Et 80 % de ces handicaps sont invisibles », rappelle-t-il. Dans sa mission pédagogique, ce CRIP a choisi de considérer leurs effets positifs. « Ces personnes utilisent leur vécu personnel dans la relation soignant soigné et elles ont une maturité supérieure assez bluffante. Elles sont surtout très motivées », constate-t-il.

Chaque candidat passe, d'abord, par un système de pré-orientation générale où il est évalué lors d'un premier entretien de motivation avec le directeur puis avec une équipe pluridisciplinaire. De son côté, un médecin du CRIP étudie chaque dossier médical pour un avis spécifique sur l’adéquation du handicap avec le métier visé.

« Une personne en fauteuil roulant, ou atteinte de polyarthrite rhumatoïde qui déforme les mains, va être orientée vers une autre activité, de soin ou non, mais un lombalgique qui a des aptitudes peut devenir sans difficulté infirmier scolaire ou infirmier de santé au travail », note Caroline Pichon.

Cette ergothérapeute au CRIP intervient pour des examens complémentaires à la demande du médecin, si nécessaire. « Pour déterminer si le projet est tenable, en mettant en situation une personne atteinte d'agénésie par exemple, et voir si tenir une seringue ou faire une manutention va être possible ou pas », explique-t-elle. Cette praticienne met en œuvre toute une batterie de tests qui lui permettent de connaître les seuils admissibles, en matière de poids, de dextérité fine, etc. – susceptibles de mettre des freins et des limites trop fortes à l'exercice du métier.

Une préparation en amont et des adaptations

Une étudiante du CRIP réalise un soin en stage hospitalier. © DR

Les candidats retenus ont accès, avant l'entrée au cursus IFSI, à une formation préparatoire santé spécifique de huit mois, non obligatoire. Il va les préparer très concrètement aux exigences du métier d'infirmier et confirmer, ou pas, sa faisabilité. « Ce passage est important car c’est là, aussi, que vont être mises en place les adaptations dont chaque étudiant va avoir besoin », précise Jean-Christophe Cases, formateur préparatoire santé niveau V. Le taux de réussite dépasse 90 % et, surtout, selon Patrice Thuaud, « très peu de gens interrompent leur cursus IFSI, car il y a eu tout ce travail en amont. »

Sophie Kempénar, en deuxième année d'IFSI, est sourde profonde et appareillée par implant cochléaire. Suivre les cours peut s'avérer fatigant, des cours de reformulation lui ont été proposés. « Il faut maintenir l'attention toute la journée,  parfois je décroche, ces séances qui reprennent le cours compensent la perte d'information, indique l'étudiante. Cela permet de voir si nous avons tout bien compris et si nous avons acquis les bonnes notions. »

Une autre malentendante a l'autorisation d'enregistrer les cours tandis que Léa Chanal, en troisième année d'infirmière, dyslexique, dysorthographie et dysphasique, dispose d'un ordinateur qui lui évite de faire des fautes. «  J'ai du mal à me structurer dans l'espace et dans le temps, explique-t-elle,  et j'ai aussi des trous de mémoires, les personnes qui m'encadrent sont au courant, elles me montrent deux fois. » Une autre étudiante, en déficit visuel, peut disposer d'un scanner immédiat qui change la grosseur du document ou les spectres de couleurs pour un meilleur contraste.

Le cap des stages

Cet accompagnement est sensible aussi pendant les stages, au cours desquels les formateurs du CRIP sont très présents aussi. « Ils viennent nous voir deux ou trois fois par stage. Cela m'a beaucoup aidée pour faire reconnaître mes aptitudes et ma capacité à compenser et à m'adapter », évoque Mélanie. La soignante qui avait fait son bilan de stage, après dix semaines en médecine oncologique, avait plutôt souligné les limites qu’imposait, selon elle, la surdité de l'étudiante. « Le stage s'était très bien passé, mais cette soignante avait du mal à se défaire de ses stéréotypes », souligne Mélanie. Une réunion à trois avec sa référente de stage, au CRIP, lui a permis d'obtenir un bilan sans les propos stigmatisants.

« Il y a dix ans encore, le handicap et l’emploi n’existaient pas dans le secteur hospitalier public, rappelle Patrice Thuaud. Les représentations du handicap dans les modèles de soins, ne sont pas toujours très positives », confie-t-il. Et surtout,  le taux de chômage de ces personnes - entre 18 et 20 % - reste deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

Les résultats obtenus dans ce CRIP s'avèrent très honorables : en 2017, 91 % des étudiants IFSI ont réussi leur formation. « 70 % sont en CDI au bout de 6 mois et 100 % au bout de trois ans avec une bonne pérennité, détaille M. Cases. Nous faisons un travail de tous les instants qui porte ses fruits, mais il y a encore du chemin à parcourir pour faire admettre que des personnes handicapées puissent être soignantes. »

Myriem Lahidely

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Cet article est paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine.

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