Sédation profonde et continue : du principe à la pratique

La sédation profonde et continue jusqu’au décès est la mesure phare de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Le rôle de l’infirmière dans cette procédure de dernier recours pour soulager les patients en fin de vie, est à la fois technique mais surtout relationnel. Article paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine (décembre 2018).

Sédation profonde et continue : du principe à la pratique

© Charlotte Gonzalez

Le débat sur la fin de vie et l’euthanasie revient régulièrement dans le débat public. En 2005, pour y répondre, la loi Leonetti a introduit l’interdiction de l’obstination déraisonnable.

Quelques années plus tard, après que plusieurs cas très médiatisés comme celui de Vincent Lambert aient montré les lacunes de cette loi, une nouvelle a été adoptée en 2016. Cette loi dite Claeys-Leonetti renforce alors les droits des patients en fin de vie, avec notamment, l’obligation pour le médecin de respecter la volonté d’un patient qui demande l’arrêt d’un traitement. Surtout, elle introduit le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPC), à l’aide d’une prise médicamenteuse, pour « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir ».

Bien entendu, cette procédure est circonscrite à des cas bien définis. Le patient, atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme, et dont la souffrance est réfractaire aux traitements, pourra en faire la demande. Un patient qui demande l’arrêt de ses traitements - un arrêt susceptible d’entraîner le décès à court terme et possiblement des souffrances insupportables - peut bénéficier de la SPC.

Enfin, le médecin peut également la prescrire à l’issue d’une procédure collégiale, après l’arrêt de traitements de maintien en vie, si le patient ne peut pas exprimer sa volonté et qu’il ne s’y est pas opposé dans ses directives anticipées (ou à défaut via le témoignage de la personne de confiance ou de ses proches).  Voir précisions sur actusoins.com : Fin de vie et sédation, quel encadrement ? 

Dernier recours

Voilà pour les principes de la loi. Mais qu’en pensent les principaux concernés que sont les soignants en soins palliatifs ? « Dans nos pratiques, avec la loi de 2005, nous avions déjà à peu près tout pour répondre aux situations complexes, notamment avec la sédation proportionnelle qui permettait déjà de pouvoir proposer aux patients une sédation en cas de souffrance réfractaire, explique Isabelle[1], infirmière du service des soins palliatifs du CHU de Grenoble Alpes (CHUGA).

Selon elle, l’introduction de cette procédure est « une réponse au lobby euthanasie, comme une espèce de consensus acceptable par tous ». Mais que l’on ne s’y trompe pas, la sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est pas une pratique euthanasique déguisée. La procédure n’accélère pas le décès, ni ne le provoque.

Isabelle Triol, chef de service des soins palliatifs des hôpitaux universitaires Paris-Sud, abonde : avant l’introduction de la SPC, ses équipes pratiquaient déjà les sédations temporaires pour la réalisation de soins douloureux, offrir une nuit de repos aux patients etc. Selon elle, cette procédure aura surtout permis de « répondre à une partie de la population inquiète que les médecins n’aient pas la possibilité d’apporter le soulagement nécessaire dans un contexte de fin de vie ». Dans les faits, « cette procédure est peu appliquée parce que les autres sédations nous permettent de répondre de manière bénéfique aux besoins des patients, dans les situations complexes», rappelle Isabelle.

Au CHU de Grenoble Alpes, ce sont, environ, une ou deux sédations profondes qui sont pratiquées par an. Certes, les demandes initiales sont un peu plus nombreuses au moment où les patients intègrent le service. Mais très rapidement cette demande de sédation profonde disparaît dès lors qu’ont été pris en charge « leurs douleurs, leurs angoisses, les symptômes qui les embêtent », assure Valérie, cadre de santé au CHUGA. « La SPC est pratiquée quand tout a été essayé, les traitements, l’accompagnement psychologique, et que, malgré cela, la souffrance morale, psychique, spirituelle est trop insurmontable et intraitable », précise-t-elle. Reste que « cette demande doit être entendue et actée», insiste Isabelle.

Soins relationnels

Isabelle, Valérie, Isabelle Triol, toutes trois parlent de l’importance du travail d’équipe dans la SPC. C’est de façon collégiale qu’est prise la décision de l’administration ou non de la sédation profonde et continue. Chacun, de l’infirmière au médecin en passant par l’aide-soignante et les agents de service hospitalier (ASH) apportent leur connaissance du patient. Pour ce qui est de la procédure en tant que telle, l’infirmière s’occupe de préparer les produits sédatifs et la perfusion, d’installer le patient, de poser le cathéter.

Elle se charge également de la titration en présence du médecin. Une fois le patient sédaté, les soins continuent. « Qui dit sédation profonde et continue dit poursuite des soins jusqu’au bout, insiste Isabelle Triol. Le patient recevra tous les soins corporels nécessaires et l’administration d’un traitement dans l’objectif de le soulager (traitement antalgique notamment).

Mais le rôle de l’infirmière ne se limite pas à son aspect technique. L’accompagnement des proches par l’ensemble de l’équipe, médicale et paramédicale fait partie intégrante de cette prise en charge. « Avant la sédation, le patient et ses proches se disent au revoir. Juste après, le patient est toujours là, sans être complètement là puisqu’il ne peut plus communiquer avec eux. Démarre alors l’attente jusqu’au décès, ce qui peut prendre des heures ou des jours, détaille Isabelle. Je pense que c’est extrêmement difficile pour les familles. Et ça nous demande beaucoup d’accompagnement au niveau infirmier. »

Bien sûr la SPC n’est pas un acte anodin. C’est pourquoi, certaines infirmières avaient lancé, au moment de l’adoption de la loi, une pétition pour que leur soit reconnue une clause de conscience. Mais, Isabelle estime que cette procédure ne va pas à l’encontre de ses valeurs et de sa profession - dès lors qu’elle est en accord avec la décision collégiale prise, que plus aucun traitement ne fonctionne sur le patient et qu’« on est bien clair sur notre intention et que celle-ci est de soulager». « Je n’ai jamais vécu ça comme une pratique euthanasique, précise-t-elle. Mais je mets quelques garde-fous, j’insiste beaucoup pour que l’administration du médicament se fasse au pousse-seringue ».

Alors, est-ce que la SPC a clos le débat sur l’euthanasie ? Pas vraiment. Au printemps dernier, à l’occasion des États généraux de la bioéthique, il en a encore été question. Dans une tribune plus de 150 députés ont demandé une nouvelle loi pour donner aux malades en fin de vie «le droit de disposer librement de leur corps». De son côté, le conseil économique social et environnemental (Cese), auto-saisi sur la question, a recommandé une « dépénalisation conditionnelle de l’aide à mourir ».Le conseil consultatif national d’éthique (CCNE), a proposé, lui, en juillet 2018, de ne pas modifier la loi existante sur la fin de vie. Au contraire, le CCNE insiste sur l’impérieuse nécessité que cette loi soit mieux connue, mieux appliquée et mieux respectée. Les soignants en soins palliatifs ne disent pas autre chose.

Alexandra Luthereau

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 Un rapport révèle une mise en pratique « frileuse »

En novembre 2018 , le centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a publié un rapport sur la pratique de la sédation profonde et continue. Ce rapport dévoile que le dispositif «peine à se mettre en place sur le terrain» et que les équipes soignantes présenteraient une certaine « frilosité» à la pratiquer. En cause : la non-utilisation explicite du terme de sédation profonde et continue créant chez les soignants le doute sur les attentes des patients, la différence entre sédation profonde et euthanasie toujours floue sur le terrain et la réticence des équipes de soins palliatifs à mettre en place ce type de procédure. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a réagi à ce rapport en assurant que les soignants « n’ont aucune réticence à utiliser avec discernement et chaque fois que cela est nécessaire l’ensemble des techniques de sédation disponibles (…) pour y parvenir».

Actusoins magazine pour infirmière infirmierCet article est paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine.

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[1]A la demande du CHU de Grenoble Alpes, les noms de famille des personnes citées restent anonymes.

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Réactions

3 réponses pour “Sédation profonde et continue : du principe à la pratique”

  1. Amandine Toller dit :

    https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10217405641506090&id=1026143661&sfnsn=MO

    Voici le lien de ma lettre ouverte si jamais ça vous intéresse.

    Cordialement

  2. Amandine Toller dit :

    Bonjour Mme Luthereau. Avez vous décidez de publier cette article sur la sedation profonde suite à l’article que j’ai mis en lettre ouverte sur Facebook par rapport à l’histoire de ma maman à qui on a refuser la sedation profonde ?

    • Malika Surbled dit :

      Bonjour,
      La sédation profonde et continue est un sujet que nous abordons régulièrement sur ActuSoins. Cet article date de décembre 2018, il n’a pas été publié en raison de votre lettre ouverte dont nous ignorions l’existence.
      N’hésitez pas à nous envoyer un lien ou un message pour en parler,
      Cordialement,
      Malika Surbled / RC Actusoins.com

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