Retours d’expérience : zoom sur la pratique

La plateforme REX Anesthesia Safety Network collecte anonymement des cas d’incidents mineurs ou presque-accidents à des fins d’analyse et de retours d’expérience. Frédéric Martin, son créateur nous explique l’objectif de ces REX et nous livre quelques exemples.

Le système de santé est de plus en plus complexe. Cette complexité est due à la nécessité d’une collaboration entre différents acteurs - patient et famille de patients inclus - vers un objectif clairement défini, comme, par exemple, le retour à domicile d’une personne âgée après une opération du col du fémur. Cet objectif ne peut être réalisé par un seul individu.

Les avancées technologiques, la standardisation des procédures, l’accumulation de règles et de recommandations ne peuvent à elles seules garantir la fiabilité réclamée par les patients et les soignants. En effet, il ne peut y avoir de procédures pour toutes les situations rencontrées. D’ailleurs, il paraît illusoire de prétendre connaître et savoir appliquer toutes les procédures existantes. Aussi, pour atteindre un haut degré de fiabilité, il paraît nécessaire de créer et d’acquérir un socle d’actions réflexes permettant de réduire l’impact d’un incident ou son incidence.

[dropshadowbox align="none" effect="lifted-both" width="auto" height="" background_color="#ffffff" border_width="1" border_color="#dddddd" ]« Quand on partage un bien matériel, on le divise. Quand on partage un bien immatériel, on le multiplie ». Loi de Soudoplatoff tirée de l’ouvrage d’Idriss Aberkane (4)[/dropshadowbox]

Cette expertise et cette capacité d’adaptation – qu’elle soit appelée résilience, ou compétence augmentée (1) dépendent de différents savoirs. En premier lieu, l’apprentissage théorique est nécessaire puis, chronologiquement, viennent l’expérience personnelle et, pour finir, l’expérience partagée.

Les objectifs des REX

Les Retours d’EXpériences (REX) permettent d’analyser et de comprendre un événement de gravité variable afin d’améliorer de façon continue la qualité. La recherche des causes profondes d’un incident à l’aide par exemple de la grille ALARM recommandée par la HAS (2) est primordiale. Cela permet de souligner et de partager les points positifs et les axes d’amélioration mais nécessite de l’humilité. Au-delà des incidents, pour Peter Pronovost, les presque-accidents ou near-misses ou « coup de bol » doivent être vus comme des invitations à s’améliorer et non comme la preuve que les contrôles sont suffisants pour permettre de prévenir les catastrophes. Il est donc primordial de les déclarer car ils sont une source d’enseignements et de réflexion sur les erreurs humaines et les comportements individuels et collectifs. Enfin, tout comme les incidents, une réussite peut également faire l’objet d’un REX (3).

Quelles sont les clés du succès d’une démarche REX ?

La démarche doit impliquer la direction qui s’engage à instaurer un climat de bienveillance et à écouter les idées des déclarants. Valoriser les bons REX et fournir aux déclarants un retour rapide sont également des éléments primordiaux.

Quels sont les freins ?

Ils sont nombreux. Citons notamment l’absence de recherche de causes racines, la peur d’être jugé et sanctionné, le manque de temps et l’absence d’intérêt de la démarche.

Ne pas rapporter un événement, c’est priver les autres soignants de cette expérience et de l’analyse qui en découle. C’est exposer un autre soignant et un autre patient à un événement semblable pouvant conduire à des dommages. L’idée générale des REX est de transformer l’incident en contenu pédagogique à destination des soignants. Ce qui était voué à être gardé pour soi et à devenir une source de mal être et d’éventuelles souffrances est ainsi recyclé en savoir collectif. 

Exemples de cas partagés sur la plateforme Anesthesia Safety Network

Défaut de communication en équipe en chirurgie pédiatrique

Vers 10 heures du matin, alors que j’étais en poste en tant qu’infirmière en salle de réveil (SSPI), je récupère un enfant de 18 mois opéré des végétations sous anesthésie générale. Après vérification de l’identité du patient, je remarque que l’identification sur le bracelet de l’enfant n’est pas identique à celle de son dossier ni à celle du bracelet attaché à son lit. Plus précisément, sur l’enfant, il y avait l’étiquette d’un autre enfant dont l’indication chirurgicale était différente. J’ai appelé son chirurgien pour qu’il me confirme son identité : je n’avais pas d’autres moyens de connaître et de confirmer son nom et prénom. L’anesthésiste et le panseur présents avec cet enfant en salle se sont occupés de lui sans faire attention à ce problème. Par chance, si l’étiquette sur le bracelet n’était pas la bonne, l’enfant a bien subi l’intervention planifiée.

Points d’amélioration et préconisations :

  • contrôle de l’identité notée sur le bracelet en présence des parents lors de la visite pré-anesthésique ;
  • contrôle par l’infirmière du service ;
  • checklist avant l’induction ;
  • résister à la pression de la production. 

Pièce opératoire oubliée

La patiente a été opérée d’une chirurgie d’incontinence comprenant l’exérèse d’un kyste à l’ovaire sous coelio. En fin d’intervention, un chirurgien rentre dans la salle et discute de banalités avec son confère et l’aide opératoire en plaisantant. Les deux chirurgiens quittent la pièce et l’aide opératoire ferme la plaie. La patiente est transférée en salle de réveil et maintenue endormie car curarisation résiduelle en cours de résolution après antagonisation. Le chirurgien revient inquiet et demande que l’on garde la patiente endormie car il pense avoir oublié le kyste ovarien en intra abdominal. Cette hypothèse est confirmée par l’infirmière de bloc opératoire qui n’a pas de pièce pour l’examen anatomopathologique dans le pot préparé en amont. La patiente retourne au bloc pour l’ablation de la pièce, après l’approfondissement de l’anesthésie générale.

Points d’amélioration et préconisations :

  • une checklist opératoire aurait permis de constater le pot vide ;
  • éviter les distractions inutiles à tout moment de l’intervention ;
  • les autres membres de l’équipe auraient dû manifester leur inconfort.

Distraction en pré-hospitalier

Une patiente de 32 ans, incarcérée dans sa voiture suite à une collision avec un arbre est prise en charge par le SMUR avec suspicion de trauma crânien au bilan pompier. La patiente est inconsciente d’emblée. Le matériel pour abord veineux, intubation, et ventilation mécanique est préparé. L’infirmier anesthésiste perfuse et réalise une mesure d’hémoglobine. Cette prise en charge comprend l’inclusion de la patiente dans un nouveau protocole de recherche avec monitorage strict de nombreux paramètres. L’intubation est effectuée dans l’unité mobile hospitalière. Une ordonnance d’insuline retard est ensuite retrouvée dans les documents de la patiente. Le dextro alors réalisé est de 1,2 mmol/l. Après correction de l’hypoglycémie et réalisation du bilan scannographique normal, la patiente se réveillera en réanimation avec des suites simples.

Conclusion du déclarant : ce cas souligne l’impact des distractions et de la tunnelisation, l’attention des intervenants étant focalisée sur le nouveau protocole de recherche. Les connaissances théoriques sont présentes mais l’équipe a été focalisée sur l’exécution d’une tâche (inclusion d’une patiente dans le protocole) plutôt que sur une prise en charge hiérarchisée.

Désaccord sur la prise en charge et gestion du gradient hiérarchique

En nuit profonde, dans un service d’accueil des urgences. Une patiente âgée est amenée aux urgences par les sapeurs-pompiers dans un contexte d’hyperthermie associée à une altération de l’état général. Elle présente une hyperthermie à 40 °C associée à une dyspnée importante, des marbrures et des troubles de conscience (score de Glasgow évalué à 9). Très rapidement, la patiente est prise en charge dans l’unité de déchocage où les premiers soins sont réalisés.

Le médecin décide de sécuriser les voies aériennes et d’intuber la patiente en raison de la dégradation de son état. En tant qu’Infirmière, je propose au médecin urgentiste de réaliser une pré-oxygénation de 2-3 minutes. Le médecin insiste et demande de préparer et d’administrer tout de suite une seringue d’étomidate (agent hypnotique) et une autre de célocurine (curare dépolarisant d’action rapide) en intraveineuse directe. L’induction réalisée, il constate que la patiente présente une intubation oro-trachéale difficile. Elle est en apnée, il tente l’intubation avec une lame métallique simple puis avec un vidéo laryngoscope. Une profonde désaturation artérielle est survenue pendant cette période semblant interminable (Sa02 < 35 %). Le médecin a refusé d’interrompre son geste pour ventiler manuellement la patiente. Elle sera ensuite transférée en réanimation pour la poursuite de sa prise en charge.

Points positifs : verbalisation de l’inconfort, conscience de la situation par l’infirmière.

Points d’amélioration : absence d’écoute du supérieur hiérarchique ; gestion d’un conflit en période de crise ; déclaration de l’évènement indésirable grave ; débriefing en équipe ; procédure non suivie ; effet de tunnelisation de l’attention (focalisation sur un élément).

Glossaire

  • Résilience : il s’agit de la capacité d’un individu ou d’un groupe de travail à absorber facilement une perturbation, à s’adapter et à se remettre à fonctionner efficacement face à une situation inhabituelle.
  • Événements indésirables associés aux soins (EIAS) : ce sont des évènements liés aux soins, et non à l’évolution normale de la maladie, qui auraient pu ou ont entraîné un préjudice pour le patient. Il est quasiment impossible d’avoir une idée précise de leur incidence. Selon certains auteurs, seuls 5 % des EIAS seraient déclarés.
  • Presque-accident : il s’agit d’un événement qui aurait pu conduire à un incident mais qui finalement n’a pas eu de conséquence.
  • Fiches cognitives : elles sont appelées également aides cognitives. Il s’agit de supports écrits simples permettant de prendre en charge une situation rare, grave et stressante en adhérant au mieux aux recommandations quand le stress parasite la réflexion.

Créée en juin 2016, la plateforme anonyme Anesthesia Safety Network collecte anonymement des cas d’incidents mineurs ou presque accidents au moyen d’un site internet (adresse ci-dessous). Son nom changera prochainement pour souligner le caractère interdisciplinaire et être moins marqué « anesthésie ». Il s’agit d’une plateforme francophone (et anglophone) de REX en péri-opératoire. Elle a remporté le 1er prix du Grand Concours du Sou Médical (MACSF) remis par le Pr René Amalberti. Cette plateforme interdisciplinaire ouverte à tous deviendra aussi dans sa nouvelle version un moyen d’échange sur des problématiques spécifiques (communication, gradient hiérarchique, inconfort et peur du jugement, coordination).

Site internet : https://www.anesthesiasafetynetwork.com/index.php/fr/

Vidéo explicative : https://www.youtube.com/ watch?v=p1JAok-QVRU&feature=youtu.be

Dr Frédéric Martin,
Médecin anesthésiste réanimateur
Fondateur de la plateforme de Rex Anesthesia Safety Network
Formateur en simulation médicale Emergensim

Cet article est paru dans le n°30 d'ActuSoins Magazine.Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéral

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(1) Morel, C., 2018. Les décisions absurdes III: L’enfer des règles - Les pièges relationnels. Gallimard.
(2) Taylor-Adams, S., Vincent, C., 2004. Systems analysis of clinical incidents: the London protocol. Clin. Risk 10, 211–220.
(3) Hollnagel, E., 2014. Safety-I and Safety-II : The Past and Future of Safety Management, New edition. ed. CRC Press, Farnham, Surrey, UK England ; Burlington, VT, USA.
(4) Aberkane, I., 2016. Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société. Groupe Robert Laffont. Armstrong Institute for Patient Safety and Quality : https://www.hopkinsmedicine.org/armstrong_institute/ (accessed 7.16.18).

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