Mouvement des Gilets Jaunes : A La Réunion, le CHU veut pérenniser la procédure d’urgence

La Réunion est l’un des départements français qui a été le plus fortement immobilisé par la crise des Gilets Jaunes entre le 17 novembre et le 15 décembre. Les barrages ont provoqué d’importants embouteillages, des pénuries de carburants, de denrées alimentaires et limité dramatiquement l’activité économique. Les hôpitaux ont été directement concernés par les blocages au point que l’ARS a finalement déclenché le « plan blanc » le 29 novembre. ActuSoins fait le point sur les contraintes rencontrées à La Réunion par les services d’urgence du CHU Réunion.

Vue aérienne du CHU St Denis, île de la Réunion. © CHU La Réunion

« Les Urgences ont paradoxalement mieux fonctionné que d’habitude pendant la crise des Gilets Jaunes », sourit Jean-Marc Lebon, coordinateur général des soins au CHU Réunion. En effet, les mouvements sociaux étant relayés par les médias locaux « en live », c’est-à-dire en permanence, les patients connaissaient à la minute près la situation sur les routes.

La topographie de l’île volcanique ayant la particularité de ne disposer que de peu de réseaux routiers secondaires, l’automobiliste n’avait pas d’autre solution que de se retrouver bloqué sur le seul axe d’accès aux hôpitaux. « Bien informés, les patients sont restés chez eux s’il ne s’agissait pas vraiment d’une urgence », constate Jean-Marc Lebon. Ce que confirme Véronique Ethève, infirmière aux urgences : « Nous n’avons pas eu d’afflux de patients venant parce que leur médecin traitant est en vacances ou que le cabinet médical est fermé à cette heure-là. Du coup, l’affluence aux urgences était moindre que d’habitude et la prise en charge plus fluide. »

En effet, les Urgences du CHU Sud ont eu en moyenne à assurer l’accueil de 110 patients/jour contre 130 à 160 ordinairement et au CHU Nord, le service a accueilli 60 à 70 patients/jour au lieu des 90 patients habituellement.

« Nous avons eu moins de patients jeunes, l’activité s’est concentrée sur les accidents graves, la traumatologie, la psychiatrie et les personnes âgées, toutes les autres catégories enregistrant une baisse de 15%, souligne Jean-Marc Lebon. En fait, les Urgences ont fonctionné comme elles devraient le faire normalement. Alors qu’à l’ordinaire, l’afflux en soirée est important jusqu’à 23h, nous avons constaté un flux de 9 à 12h, avec une dégressivité des admissions l’après-midi. En fait, cela suivait la courbe des conditions de circulation. »

Si les admissions ont été en baisse, les lits, notamment en réanimation, ont cependant été parfois en tension. « Nous gardions les patients plus longtemps en soins intensifs en raison des difficultés de retour à domicile, du fait des blocages routiers», explique le coordinateur général des soins. 

Un personnel très investi avec moins d’absences

Le vrai problème posé par ces barrages filtrants aurait pu être l’absentéisme du personnel, coincé chez lui par les difficultés routières et la pénurie de carburant. « Cela n’a pas été le cas, souligne Jean-Marc Lebon. Paradoxalement, nous avons eu moins d’absentéisme que d’habitude. Tout le monde était présent et tout le monde a assuré. »

Le 29 novembre, l’ARS a décidé de déclencher le « Plan blanc ». Une procédure qui peut étonner alors que tout semblait sous contrôle, selon nos interlocuteurs. « Au bout de quinze jours de crise et devant la motivation des Gilets Jaunes à poursuivre leur mouvement, il fallait un cadre juridique pour soutenir la motivation des agents, précise Gianni Sermont, directeur des soins. Cela a permis de légitimer les décisions organisationnelles que nous avions prises. »

En effet, bien avant la mise en place du « Plan blanc », des dispositions avaient été prises par la direction pour assurer la permanence des soins.  « Le personnel hospitalier a été fortement sollicité, reconnait Gianni Sermont, directeur des soins. En trois semaines, nous avons comptabilisé plus de 10 000 heures supplémentaires. Les agents n’ont pas compté leur temps, il faut le reconnaître. »

Des horaires adaptés et du camping à l’hôpital

De fait, dès les premiers blocages, le CHU a modifié les horaires, privilégiant les prises de poste plus matinales, pour permettre aux équipes d’arriver avant la mise en place des barrages. « Au lieu de prendre leur poste à 7h du matin, les agents arrivaient à 5h. Le personnel de nuit arrivait à 17h au lieu de 19h. Les agents qui habitent loin sur des zones particulièrement impactées par les barrages ont pu choisir de rester à l’hôpital pour la nuit. »

Ce « camping » improvisé a concerné une quarantaine d’agents entre le CHU Nord et le CHU Sud. « Nous logions ces agents dans des bâtiments désaffectés. Les médecins de garde ont aussi offert leur salle de garde aux agents, on s’est débrouillés. »

L’organisation familiale des agents a forcément dû être mise sous perfusion aussi : « Il y a beaucoup de parents solo à La Réunion comme ailleurs et au CHU comme dans toutes les autres entreprises, constate Véronique Ethève, elle-même concernée par cette situation. Ceux qui pouvaient faire appel à la famille proche se sont organisés ainsi. Pour d’autres, l’organisation s'est articulée sur la solidarité entre collègues, ceux qui ne travaillaient pas récupérant les enfants de ceux qui travaillaient et vice-versa ensuite. »

L’ARS et la Préfecture en soutien constant

Sur les barrages, les agents n’ont pas connu de grosses difficultés. Avec leurs badges, ils obtenaient le passage sans trop de difficultés. « Il y a bien eu des agressions par des « gilets noirs », des tentatives de rackets, des jets de galets, des réactions excédées des autres automobilistes mais dans l’ensemble, ça ne s’est pas trop mal passé », relativise Jean-Marc Lebon.

Quant aux pénuries, là aussi, les besoins étaient sous contrôle. « Nous avons mis en place, dès le début des manifestations, une cellule de crise avec l’ARS, qui était en lien avec la préfecture. Chaque matin, à 8h, nous faisions le point sur les difficultés en visioconférence avec l’ARS et les deux sites du Nord et du Sud, notamment les casiers pleins de la chambre mortuaire, difficilement relevés par les Pompes funèbres, coincées par les barrages ou l’entassement des déchets hospitaliers alors que les éboueurs ne relevaient plus les bacs. Grâce à la cellule de crise mise en place avec l’ARS et la Préfecture, il y a pu avoir des collectes la nuit quand les barrages étaient levés. »

C’est grâce à cette coordination CHU-ARS-Préfecture que chaque jour des solutions ont pu être apportées : « Quand nous avons été en pénurie de linge parce que la blanchisserie n’avait plus de gasoil pour nous livrer, la préfecture a été avisée par l’ARS. Les dispositions ont été prises pour que l’entreprise puisse nous livrer sous escorte dans la nuit», explique Jean-Marc Lebon.

Il s’est passé la même chose pour des livraisons de médicaments bloqués au Port. « Les manifestants ont laissé passer les conteneurs et nous avons été livrés grâce au soutien de l’ARS et de la préfecture. Même pour les repas, nous n’avons jamais été en pénurie. On s’est adapté, avec plus de surgelés que d’habitude peut-être ».

Pour le carburant indispensable aux trajets des agents hospitaliers, même process : « Si nos agents rencontraient des difficultés à s’approvisionner sur un secteur, nous le précisions à l’ARS qui avertissait la préfecture et dans la journée nous étions avertis de l’ouverture d’une station réquisitionnée sur ce secteur particulier. Si un agent devait s’absenter pour acheter du carburant, nous lui laissions le temps de le faire dans la journée. Personne n’a abusé, ni essayé de tricher, tout le monde s’est montré compréhensif et responsable. »

Les tensions, pendant cette crise des Gilets Jaunes à La Réunion, ont surtout concerné les transferts sanitaires. « Ça a été compliqué, reconnait Jean-Marc Lebon. Certains ambulanciers nous disaient qu’ils ne pouvaient pas passer et ne pouvaient pas assurer les transports, alors que l’ordre était donné aux Gilets Jaunes de laisser passer les services de santé et que nos agents étaient tous au travail… » En revanche, pour les transferts sanitaires aériens vers la métropole, pas de souci particulier noté.

Les heures supplémentaires seront payées

Avec l’accord de l’ARS, les 10 000 heures supplémentaires, qui incluent les heures passées sur place sans travailler pour les agents obligés de rester dormir à l’hôpital, devraient être payées. « Nous n’avons pas l’effectif pour permettre la récupération de toutes ces heures, souligne Gianny Sermont. Il y aura un peu de récupération mais le reste des heures supplémentaires sera payé, nous avons reçu un accord de principe oral de l’ARS ».

Les leçons de la crise

 L’heure du bilan étant arrivée, la direction des soins réfléchit sur l’opportunité d’élaborer un guide de continuité des soins en cas de crise majeure. « Ce serait un guide méthodologique pour permettre une bonne anticipation en cas de risque de restrictions. Cela peut concerner l’amplitude d’horaires mais aussi les moyens comme la mise à disposition de bus pour transporter le personnel. »

Pour la rédaction de ce guide, le retour sur l’expérience est indispensable mais pas uniquement au niveau de la direction. « Nous devons être plus à l’écoute de nos professionnels. Ils ont souvent les solutions, pas forcément les mots et nous devons les aider à formuler leurs idées car ils ont souvent de bien meilleures propositions que nous, parce qu’ils sont en prise avec les situations problématiques. »

Alors que la Ministre des Outre-Mer est attendue à nouveau dans l’île début mars, les observateurs notent la forte probabilité de la reprise des hostilités lors de son passage, la plupart des annonces et promesses faites début décembre lors de son voyage de conciliation n’ayant pu être mises en œuvre. Occasion pour le CHU de tester ce fameux guide méthodologique ?

Mireille Legait

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