Un hôpital pour les mères en souffrance

Dépression, problèmes psychiatriques divers, crises d'angoisses, autant d'obstacles à l'attachement d'une mère à son enfant. Dans un lieu unique en France, au sein de l'hôpital mère-enfant de la maternité des Bluets, ce lien fragile mais essentiel est restauré, renforcé, créé, parfois. Résultats : des mères et des nourrissons plus unis.

Nora infirmière maternité des bluets attire l'attention du petit Noah en salle d'éveil

©Natacha Soury
Nora attire l'attention du petit Noah en salle d'éveil. Son travail est essentiellement basé sur l'observation des enfants mais également de leurs mamans.

"Georgette* reste toujours en chambre. Elle est à l'aise avec les soins primaires, elle reconnaît les signes de plaisir envoyés par sa fille, lorsque Madeleine* agitent les jambes par exemple. Mais elle se sent débordée par ses pleurs et souffre de phobie d'impulsion, pensant à jeter sa fille par terre. Elle ne veut pas rester toute seule avec elle, elle compte beaucoup sur l'équipe. Pourtant, l'attachement est là." Comme tous les vendredis matin, l'équipe médicale et paramédicale débriefe.

Tout à tour, chacun prend la parole, ajoute ses remarques, ses notifications, des anecdotes. Les psychomotriciennes côtoient les pédopsychiatres, les infirmières discutent avec les médecins, et les psychologues s'entretiennent avec les auxiliaires de puériculture. La prise en charge de ces mères, en hospitalisation complète, est totale -somatique, psychologique, psychiatrique- et touche à tous les aspects de leur développement personnel et de celui de leur bébé.

Georgette, dont le cas vient d'être exposé, est une jeune mère congolaise, âgée d'une trentaine d'années et, comme les autres femmes qui vivent à l'hôpital mère-enfant, elle souffre de troubles de l'attachement. Dans sa situation, liés sans doute à un état de stress post-traumatique.

Un parcours de soin personnalisé

Elles sont une vingtaine à résider actuellement à l'hôpital mère-enfant. Chaque année, 300 demandes sont effectuées, mais seules un tiers de ces femmes seront acceptées. Quand les pathologies sont trop lourdes, elles sont plutôt orientées sur des institutions psychiatriques à proprement parler.

C'est sur un appel d'un professionnel de santé, maternité ou obstétricien suivant une grossesse, que leur candidature à l'hôpital mère-enfant est déposée. "Mais si elles viennent ici, c'est sur la base du volontariat, précise bien Virginie Harault, sage-femme de profession, et cadre de santé. Nous leur proposons une hospitalisation à temps plein, quand l'ambulatoire ne suffit pas".

hombline infirmière maternité des bluets

©Natacha Soury
Hombline, infirmière, à l'heure du biberon.

Le parcours de soin est adapté en fonction des observations menées au début de l'hospitalisation, sur les dix ou quinze premiers jours. "Il n'y a pas deux projets de soins identiques, car chaque programme est individualisé. On est tous très souple et il faut savoir s'adapter, reconnaît Virginie Harault. Nous prenons aussi en compte l'attitude dans laquelle arrivent ces femmes. Elles ont souvent un comportement ambivalent : à la fois elles savent qu'elles ont besoin d'aide mais sont effrayées à l'idée du placement. Celles qui souffrent de paranoïa ont très peur des réunions!", lâche-t-elle.

Au cours des hospitalisations, qui durent en moyenne deux fois, mais peuvent s'étendre jusqu'à neuf mois dans certains cas, "le règlement est strict, avec des horaires de sortie, de visite. Ce sont des contraintes hospitalières que les mamans doivent accepter."

Mais ce travail ne se fait pas dans la solitude. Les personnels de l'équipe sont constamment en contact avec les CPM, les PMI, les maternités, les crèches... L’accent est mis sur la coordination et la communication. Preuve que cela marche, un hôpital de jour vient d'ouvrir ses portes, et ne désemplit pas.

La relation mère-enfant au coeur du projet de soin

Pour renforcer, voire même créer dans les cas les plus graves, la relation mère-enfant, l'hôpital organise, en parallèle du parcours de soins, de nombreux ateliers menés par des éducatrices. Des ateliers comptines, des séances de massages de bébés ou des concerts permettent de faire venir de l'extérieur d'autres visages. "Nous organisons un "café des bébés" ou des sorties à la piscine pour les mamans et leurs bébés, mais également des sorties culturelles ce qui permet de travailler sur la question de la séparation", détaille encore Virginie Harault.

Dans tous les cas, la mission remplie par le personnel soignant est humainement délicate. "Nous faisons face à des situations très dures, nous ressentons une impuissance devant certains cas, notmment lorsque nous constatons des bébés non changés depuis 12h ou pas couchés alors qu'ils montrent des signes évidents de fatigue. Ce ne sont pas des maltraitances mais des négligences", précise Virginie Harault. Ce que les mères apprennent ici à corriger. Elles s'investissent de plus en plus, et de mieux en mieux dans leur maternité au cours de leur séjour.

Ainsi, Catherine*, déjà trois fois maman, et sa fille de 3 mois, Jessica.* Arrivée enceinte, Catherine était tombée dans une profonde dépression. "Je ne dormais plus, c'était trop dur à supporter." Elle a expliqué à ses enfants qu'elle était malade et qu'elle ressortirait dès qu'elle se sentirait mieux. A la voir évoluer avec "sa petite patate douce", et lui déclamer qu'"on a des choses à accomplir toutes les deux", il est clair que Catherine se sent mieux.

Un rôle inédit pour les infirmières

Dans cette structure unique, les infirmières ne remplissent pas une mission "habituelle". A l'hôpital mère-enfant, il y a très peu de soins techniques : des pansements, quelques prises de sang, des distributions des médicaments, du suivi de césarienne. C'est exactement ce que recherchait Nora Boy-Marcotte, qui y travaille depuis 4 ans.

"Je ne suis pas une infirmière typique, je ne suis pas trop fan des actes purement techniques. A l'hôpital mère-enfant, il y a un aspect social qui me tient à coeur et le travail avec les mamans. Par ailleurs, le quotidien ne se fait pas sans une équipe. On a accès aux autres corps de métier", explique-t-elle, lors de l'une de ses rares pauses. Sa motivation première est de participer à "une prise en charge globale qui doit permettre d'éviter de séparer les mères des enfants."

En effet, l'infirmière travaille réellement en binôme avec l'auxiliaire de puériculture. "Vu de l’extérieur, on pourrait même croire qu'on a le même poste!", s'amuse Hombline Caillet, 25 ans. Cette jeune infirmière qui à l'origine, voulait travailler en maternité, a trouvé son bonheur ici. "Je m'occupe des enfants comme des mamans. Ce n'est pas de la pédiatrie, mais ça s'en rapproche", raconte-t-elle.

Pour ces infirmières, travailler dans une petite structure, a aussi l'avantage de profiter du soutien de toute l'équipe médicale, surtout dans les cas où la confiance avec la mère prend du temps à émerger. Cette notion est tout simplement essentielle : "On doit être très accessible. Ca ne marcherait pas s'il n'y avait pas cette confiance. Je suis étonnée parfois de celle que ces mamans nous accordent. Car certaines arrivent en se disant : c'est ça ou la séparation", raconte Nora.

Parmi leurs différentes missions, le contrat nurserie, qui peut être en appui, 24h/24h pour une période donnée ou lors d'un traitement lourd de la mère, ainsi que la nuit, pour des questions de sécurité. Il y a également le travail d'observations sur lequel insiste beaucoup Nora, l’accompagnement en salle d'éveil pour analyser les besoins des bébés ou parfois lors des entretiens avec les psychiatres, sans oublier l'assistance aux mamans en demande.

Soignants : groupes de parole pour évacuer les tensions

Ce matin, Nora supervise le soin que va réaliser Chimène*, 40 ans, à son petit garçon de 4 mois. Ce dernier porte des lunettes, car il a subi une opération oculaire, et Chimène* doit désinfecter son oeil. Nora, oriente, aide, propose. "Vous ne voulez pas le mettre plutôt sur le côté », demande-t-elle tout en douceur, en laissant néanmoins à Chimène l'autonomie des gestes. "C'est de la grenadine, mon amour", lance Chimène, tendrement, à son bonhomme, pour le rassurer. Le soin fini, les deux femmes discutent un peu. Une complicité s'est instaurée.

Mais il faut aussi savoir prendre ses distances, malgré "la nécessité du sens de l'écoute et de l'empathie", deux qualités indispensables pour exercer ici, aux yeux de Hombline. Comme elle le rappelle, "les situations de ces femmes sont très dures. On ne s'imaginerait pas qu'une personne puisse cumuler autant de problèmes."

Des groupes de paroles permettent régulièrement aux soignants d'évacuer des peines soulevées par la confrontation à un réel qui ne manque pas de cruauté. Hombline explique par exemple le caractère difficile des moments qui suivent les cas de placements.

"Nous prenons la colère des mères en pleine face, même si ce sont les psychiatres qui annoncent les décisions. Ce sont des moments de tensions avec les mamans", lâche-t-elle. Heureusement, par la qualité des programmes de soins adaptés, ces recours sont très rares. Et parfois, même, les infirmières reçoivent des nouvelles des mères et de leurs enfants, une fois sorties et réintégrées dans leur vie. Heureux, ensemble. Et sans doute assez largement grâce à elles.

Delphine Bauer/ Youpress

Paru dans le magazine ActuSoins n°17 (pour s'abonner au magazine : www.actusoins.com/magazine)

 

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Réactions

11 réponses pour “Un hôpital pour les mères en souffrance”

  1. J’ai pu faire un stage infirmier la bas, c’est vraiment un lieu d’exception.

  2. C’est dans une maternité c’est fait à la naissance ou c’est un service à part ?

    • C’est un service à part et ça peut être dépisté pendant la grossesse, à la naissance ou en post partum !!! Mais ici, à part le service mère-enfant de Charles Perrens, y’a pas grand chose !! ?

    • Mathias Hades dit :

      Bonjour Chtristelle, se sera un grand plaisir pour moi de vous avoir comme ami sur Facebook. Si aujourd’hui mon message de correspondance vous est adressé, c’est en fouillant sur la page que j’ai retrouvé votre commentaire qui m’a beaucoup fais rigolé alors je n’ai pas hésité a répondre et c’est aussi parce que j’ai voulu avoir plus de relation pour les échanges d’idée, de propos, pour discuter, dialoguer . Alors si vous ne voyez aucun dérangement en cela, veuillez m’envoyer une invitation.

  3. S’il y avait ce genre de lieu à Bordeaux, c’est là que je postulerais !!

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