Quand les gastro-entérologues tentent de brader la sécurité anesthésique

Quand les gastro-entérologues tentent de brader la sécurité anesthésique

Dans un contexte où les établissements de santé doivent maintenir l’équilibre entre les impératifs de la tarification à l’activité et la constante démarche d’amélioration de la qualité des soins, un regroupement de sociétés savantes européennes de gastro-entérologie vient de publier un article qui relance un vieux débat.

Quand les gastro-entérologues tentent de brader la sécurité anesthésiqueEn effet, ces sociétés ont rédigé un référentiel(1), élaboré entre 2009 et 2010, proposant tout simplement de se passer de professionnels de l’anesthésie pour assurer les anesthésies lors des endoscopies digestives. Leur réalisation serait ainsi sous l’entière responsabilité technique et médico-légale du gastro-entérologue.

Une telle proposition ne pourrait que faire sourire, si, d’une part, elle n’était pas cosignée par la société européenne d’anesthésie, et si, d’autre part, elle n’était pas l’aboutissement d’un lobbying de longue haleine de la part des gastro-entérologues, témoignant leur réelle volonté de ne plus dépendre d’un anesthésiste pour leurs activités d’endoscopie(2) (3).

En effet, dès 2003, le rapport du Pr. Yvon Berland sur la coopération des professions de santé rapportait la demande des gastro-entérologues de se voir confier la responsabilité de cette anesthésie (4). Mais là où, dans ce rapport, ils demandaient la présence d’un infirmier anesthésiste à leurs cotés, le nouveau référentiel prévoit uniquement un infirmier non spécialisé pour réaliser l’anesthésie.

Ces référentiels ont engendré en France de vives réactions de la part de sociétés d’anesthésistes et de syndicats médicaux et infirmiers(5) (6) (7), évoquant un retour en arrière de plus de 50 ans et une véritable mise en danger des patients.

Sans entrer dans un comparatif complexe d’études contradictoires, l’argument médical principal se base sur le constat que les anesthésies d’endoscopie sont, au vu des doses administrées, plus proche de la ‘sédation’ (terme dont la définition est controversée), et ne nécessiteraient donc pas la présence d’un professionnel de l’anesthésie.

En France, depuis 1994, une procédure rigoureuse(8) encadre la réalisation des actes anesthésiques. Elle impose deux rencontres entre le médecin anesthésiste et le patient les jours précédant l’intervention, la réalisation de ces actes par des professionnels de l’anesthésie (médecins et infirmiers spécialisés), une surveillance post opératoire et une autorisation de sortie par un anesthésiste. Ces procédures, couplées aux recommandations des sociétés savantes en anesthésie, ont permis depuis les années 80 de diminuer par 20 la mortalité liée à l’anesthésie(9).

Dès lors, pourquoi chercher à s’affranchir d’une telle efficacité ?

Il ne faut pas chercher bien loin pour voir dans cet allègement de procédure une recherche de rentabilité de la part des gastro-entérologues, avec un regard probablement bienveillant de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie.

Effectivement, lorsqu’on regarde un anesthésiste ou un infirmier anesthésiste expérimenté endormir un patient pour ce type d’acte, cela semble souvent routinier et facile à reproduire pour le non spécialiste.

Or, tous les professionnels de l’anesthésie vous confirmeront que cet exercice est justement un des plus délicat, puisqu’il s’agit constamment d’équilibrer le patient entre un état trop vigile, qui lui laisserait des souvenirs peu souhaitables de son examen (et dont les mouvements pourraient entrainer des perforations digestives), et un état trop profondément endormi, avec les risques d’arrêt respiratoire, d’inhalation et d’hypotension artérielle, pouvant aboutir au décès.

Ce type de complication a encore fait l’objet d’une publication dans le dernier rapport de la MACSF(10), relatant le décès d’une femme de 40 ans en lien direct, mais non exclusif, avec le non respect des règles de sécurité en anesthésie.

Mémorisation, inhalation, hypotension, perforation, décès… Manifestement des risques négligeables (ou calculés ?) pour ces sociétés savantes européennes. Pour autant, la prévention de ces risques et la prise en charge de toutes les complications anesthésiques, c’est notre métier, et non celui des médecins gastro-entérologues.

Pourtant, une autre piste pourrait d’être explorée.

Selon une étude récente du British Médical Journal reprise dans le Figaro (11), il est prouvé que des infirmières peuvent, sans risques pour le patient et avec une efficacité au moins équivalente aux médecins, réaliser des endoscopies digestives. Cette étude ne fait d’ailleurs que confirmer un constat connu depuis plus de 10 ans(12).

Curieusement, ces études n’ont pas su retenir l’attention des sociétés savantes européennes de gastro-entérologie.

Maxime DARDE
Infirmier-Anesthésiste
Responsable de www.laryngo.com

Bibliographie

(1) https://www.thieme-connect.de/ejournals/pdf/endoscopy/doi/10.1055/s-0030-1255728.pdf

(2) http://www.snfge.org/01-Bibliotheque/0B-Conferences-Flash/2006/320/indexConf.asp

(3) http://www.sfed.org/News-Pro/Avancees-medico-scientifiques-sur-la-sedation-en-Endoscopie.html

(4) Rapport sur les coopérations des professions de santé – Pr Yvon Berland
(page 43 – Chap. 1.3.7)

(5) http://www.carlif.fr/vie_carlif/delegations-de-competences/

(6) http://www.snia.net/index.php?option=com_content&view=article&id=285:sedation-pour-endoscopie&catid=51:actualite

(7) http://www.snarf.org/?index=98&textID=38

(8) Code de la santé publique Article D6124-91 à D6124-103

(9) Conférence de presse de la SFAR de septembre 2003  http://old.sfar.org/t/spip.php?article223

(10) http://www.macsf.fr/vous-informer/supplements-responsabilite-2010.html

(11) http://www.lefigaro.fr/sante/2009/03/09/01004-20090309ARTFIG00285-endoscopie-les-infirmieres-font-aussi-bien-que-les-medecins-.php

(12) Shoenfeld et al : Gastroenterology 1999, Rapport sur les coopérations des professions de

santé – Pr Yvon Berland  (Page 14 Chap. 1.1.4.2)