Aujourd’hui, nous vous présentons un billet proposé par Cylie, infirmière depuis 16 ans. Cylie s’est formée en Soins palliatifs (DU), en aromathérapie, en toucher massage et en relaxation. Elle exerce en sein d’une unité mobile de soins palliatifs et a créé le blog “Confiance en soin”. Aujourd’hui, elle nous propose une réflexion personnelle sur la Gestion des émotions chez le soignant.
C’est un sujet encore tabou que de parler des émotions du soignant. Dans nos études, nous apprenons qu’il faut savoir gérer ses émotions, garder la bonne distance, ne pas s’attacher, ne pas aller trop loin, ne pas pleurer, bref tout ce qui est impossible à faire lorsque l’on travaille avec l’être humain.
C’est même tellement impossible que les soignants finissent par penser que c’est eux qui ont un problème parce qu’ils n’arrivent pas « à garder la distance ». Je vais donc vous parler de cette gestion des émotions chez le soignant.
Je vois très souvent des étudiants infirmiers venir me questionner pour leur travail de fin d’études sur les émotions des soignants. Les étudiants sont les premiers à expérimenter ce fossé qu’il existe entre la théorie et la réalité du terrain.
Notre réalité au quotidien c’est une réalité humaine. Qui dit humain, dit émotion. Imaginez ou même penser que l’on peut travailler au contact de la vie, de la mort, de la maladie, de l’humanité sans ressentir d’émotion, c’est comme demander un vétérinaire d’exercer sans aimer les animaux. Il y a des choses qui sont impossibles.
Comme nous vivons dans une société où les émotions sont encore taboues, nous observons que cela persiste dans l’apprentissage de nos professions. On demande très vite à l’enfant à maîtriser ou à ne pas exprimer ses émotions. Vous avez tous entendu au moins une fois une de ces phrases :
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Va pleurer dans ta chambre.
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La colère à l’école est interdite. On ne se met pas en colère contre un prof ou une situation.
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Un garçon ne pleure pas.
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Lorsque l’on est fort on n’a pas peur.
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Ça ne se fait pas de pleurer devant les gens.
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Va piquer ta colère dans ta chambre et reviens quand tu seras calmé
Des injonctions sociétales… jusque dans la pratique soignante
Toutes ces injonctions sociétales nous suivent aujourd’hui dans notre pratique soignante. Rendez-vous bien compte que nous grandissons dans cette société qui proscrit l’expression des émotions. Nous faisons ensuite des études dans une école qui nous apprend ou qui essaye de nous apprendre à gérer et contrôler ces mêmes émotions. Sauf qu’une fois parachutés sur le terrain, nous nous retrouvons tout naturellement traversé d’un tas d’émotions.
C’est alors que l’on se dit ce genre de choses :
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je suis trop sensible.
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Je n’y arrive pas.
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Je ne sais pas gérer mes émotions.
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Je suis nul.
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Je ne suis pas faite pour ce métier.
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Je souffre trop
Et toutes ces idées entièrement fausses nous amènent à nous dévaloriser, à nous juger, à éviter, à nous retirer, voir même à tout abandonner.
Certains prennent la voie du blindage pour se protéger.
Se blinder donne l’illusion de maîtriser. Mais ce n’est qu’une illusion, un jour ou l’autre nous sommes rattrapés par tout ce que l’on a essayé d’enterrer.
Alors comment faire ?
Tout d’abord la première étape consiste à accepter notre condition d’humain. C’est à dire que nous sommes constamment traversés par des émotions et ce dans tous les domaines de notre vie. C’est une utopie d’imaginer que l’on pourrait ressentir les émotions dans telle situation et pas dans d’autre.
Les émotions permettent de s’adapter
Les émotions nous permettent de nous adapter à ce que nous vivons. Elles ont toutes un rôle très important à jouer. Plus nous laissons ces émotions nous traverser et plus nous permettons à notre psyché de s’adapter à la situation.
Lorsque l’on est soignant, nous sommes forcément touchés par les situations de vie que nous rencontrons. Certaines sont tristes et nous touchent, comme l’on pourrait être touché devant un reportage ou un témoignage.
Certaines nous révoltent et nous mettent en colère.
Certaines nous effraient.
D’autres encore nous font marrer.
Il est important de bien faire la différence entre une émotion est un sentiment. Une émotion est un ressenti intense qui arrive très rapidement qui monte en puissance et qui redescend rapidement. C’est une montagne russe. Son rôle est principalement de permettre à l’être humain de s’adapter rapidement à une situation donnée. C’est ainsi que lorsque l’on parle d’émotion on parle principalement de la joie, de la tristesse, de la colère, de la peur.
Je vous invite, si vous souhaitez en savoir plus sur leur rôle et leur importance, à télécharger le petit livret « des soignants bien dans leurs sabots ». J’y détaille chaque émotion, leur rôle, leur diction, leur mécanisme.
Après l’expression de cette émotion, peut s’installer un sentiment. Le sentiment lui s’inscrit dans le temps. Il est souvent moins intense que l’émotion.
Lorsque l’on comprend cela, alors on peut facilement accepter le fait que contrôler ses émotions est quelque chose d’impossible à faire.
Alors quoi faire ?
Vous avez maintenant accepté que vous étiez un être qui ressentait des émotions, que c’était normal et indispensable.
Il est essentiel maintenant de savoir quoi faire de ces émotions. Je m’explique.
Une fois que nous sommes traversés par cette émotion, il est important de se poser la question : « Pourquoi cette situation me touche de cette façon ? »
Qu’est-ce qui fait que cette situation chez moi entraîne cette émotion ? On voit bien au quotidien que nous ne sommes pas touchés de la même manière pour les mêmes choses. Tout simplement parce que nous sommes des êtres différents et que la situation vient toucher quelque chose à l’intérieur de nous qui est propre à notre histoire.
Lorsque l’on comprend ce que la situation viens réveiller chez nous, alors on accepte beaucoup plus facilement d’être traversée par l’émotion. On commence alors à regarder la situation comme si l’on était extérieur, on regarde le mouvement de cette émotion.
La prise de recul permet de ne pas s’identifier à l’émotion. Je ne suis pas mon émotion. Je suis moi et cette émotion me traverse parce qu’elle vient de toucher en moi quelque chose d’intime. C’est ce travail que l’on appelle la gestion des émotions.
Lorsque l’on déroule en étant collé à son émotion, alors nous perdons notre capacité de réflexion et de discernement.
La solution et donc de comprendre pourquoi l’on est touché et non de chercher à ne pas être touché.
Lorsque nous voyons un étudiant touché par une situation il est très important de pouvoir en parler avec lui. Plus nous nous laissons les uns les autres seul face à nos ressentis et plus nous alimentons le tabou des émotions du soignant.
Un guide
Alors bien sur il n’y a pas de recette, de protocole, parce que vous l’avez compris nous sommes tous singulier. Je peux cependant vous donnez des pistes en vous partageant quelques questions que vous pouvez vous poser entre collègues, ou à votre stagiaire, ou encore à toute personne que vous percevez emprunt d’émotion. Ce guide comprend trois questions.
Qu’est-ce que tu ressens ?
Cette question paraît idiote mais elle est pourtant la plus importante parce que c’est celle qui va permettre de nommer l’émotion.
Est-ce que tu ressens de la tristesse, De la colère ou de la peur ? C’est ce qui va permettre à l’autre de nommer et donc d’identifier son émotion.
Qu’est-ce que ça te fait dans ton corps ?
Cela permet une introspection. Cela permet de faire une pause pendant quelques secondes et de porter attention aux manifestations physiques de l’émotion. Est-ce que j’ai une boule dans la gorge, est-ce que j’ai une boule dans le ventre, est-ce que j’ai la sensation d’exploser …. Tout cela permet d’associer l’émotion à une manifestation physique. Et cela crée des chemins qui permettent ensuite d’identifier de mieux en mieux ce que l’on ressent. C’est ce que l’on appelle se connaître. Lorsque j’ai cette boule dans la gorge c’est parce que je sais que je suis triste. Et chaque émotion peut se manifester physiquement différemment chez chaque personne.
Pourquoi ressens-tu cette émotion ?
Bien sur vous remplacez dans la question « cette émotion » par l’émotion que la personne a nommé. Par exemple si c’est de la tristesse vous lui direz alors : pourquoi ressens-tu de la tristesse ?
Réfléchir à cette question permet à la personne d’aller associer le réveil de cette émotion avec quelque chose qui lui est propre. Cela lui permettra de comprendre pourquoi cet événement suscite chez lui cette émotion. Cette prise de conscience est INDISPENSABLE car elle permet de prendre la responsabilité de son émotion.
Ce n’est pas l’autre qui me rend triste c’est la situation que vit l’autre qui réveille chez moi quelque chose qui me rend triste. Et je ne suis donc plus victime de cette émotion mais bien acteur de cette émotion. Si je suis acteur je suis donc celui qui a les rênes.
La suite appartiendra ensuite à la personne. Ce que je veux dire par-là c’est que chacun est libre de continuer le travail qui l’emmènera à la compréhension de lui-même et de son propre fonctionnement. Si à chaque situation émotionnelle nous prenons le temps de comprendre pourquoi nous sommes traversés par cette émotion, alors nous allons nous élever dans notre capacité à communiquer, à accepter l’émotion de l’autre, et à faire ce que l’on nous demande c’est-à-dire à gérer nos propres émotions.
ActuSoins remercie Cylie pour ce partage et vous invite à découvrir son blog : Confiance en soin.com
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