Surdité chez les soignants : faire du handicap un atout

Surdité chez les soignants : faire du handicap un atout

Alors que l’accès à la formation initiale dans le milieu soignant est très restreint pour les personnes sourdes et malentendantes, certaines parviennent à se faire une place dans le milieu hospitalier. Contrairement aux idées reçues, elles représenteraient un atout majeur pour leurs collègues et leurs patients.
Surdité chez les soignants : faire du handicap un atout
© DR. A l’EHPAD Saint-François de Sales (Lille), quatre salariés sont sourds.

« Ce ne sont pas mes compétences, mais bien mon handicap qui pose régulièrement souci. J’ai pourtant de nombreuses expériences du terrain, dont une dans un service d’urgences et une à l’autre bout du monde en Guyane » explique en guise de présentation Marie Giraud, la fondatrice du groupe Soignants sourds et malentendants de France. Infirmière sourde depuis sa naissance, mais pendant tout un temps appareillée de façon à percevoir les sons et à entendre partiellement, la jeune femme a connu de multiples galères pour parvenir à ses fins. Elle a notamment essuyé de nombreux refus de médecins du travail et de directeurs des ressources humaines dans les hôpitaux. Marie est pourtant bien titulaire du même Diplôme d’Etat que toutes les autres infirmières de France.

Impossibilité de répondre au téléphone, d’entendre la résonance du stéthoscope, de répondre aux sonneries, d’effectuer des transmissions orales aux autres professionnels… La légitimité des soignants sourds revient souvent dans les discussions. Et constituerait un frein à l’embauche. « Les DRH sont malheureusement réticents. À diplôme égal, les soignants sourds ont plus de mal à trouver un emploi que les personnes entendantes », regrette le Dr Benoit Drion, coordinateur du réseau Sourds et Santé dans le Nord Pas-de-Calais.

Faire du handicap un atout

Pourtant, au-delà des limitations liées à leur surdité, les soignants sourds représenteraient un véritable atout pour la communauté médicale et pour les patients, selon ce praticien. Car, si le Dr Drion recrute régulièrement des soignants sourds dans son équipe, ce n’est ni par charité, ni pour une question de quotas d’embauches de personnes handicapées.

À l’Ehpad Saint-François de Sales, qui fait partie du Groupement des Hôpitaux de l’Institut Catholique de Lille, 42 lits sur 82 sont réservés aux personnes âgées sourdes. Et qui de plus compétent qu’un soignant sourd pour s’occuper d’un patient sourd ? «  Pour soigner les sourds, il faut une compétence métier et une compétence LSF (Langue des signes française). Et si la compétence LSF peut s’acquérir via l’apprentissage pour les entendants, elle demeure la langue maternelle des personnes sourdes qui la maîtrisent mieux que quiconque et savent adapter leur niveau de langue au niveau de langue des patients », explique le Dr Drion.

Si dans cet Ehpad les soignants sourds soignent les sourds, ils peuvent aussi prendre en charge les autres résidents. « Ils ont des compétences spécifiques, notamment en termes d’observation et de communication non verbale. Ils entrent ainsi plus facilement en relation avec des personnes aux compétences verbales altérées ou déficientes, telles les personnes âgées démentes, handicapées mentales ou ne pratiquant que peu le français », ajoute le médecin.

Communication non verbale, évaluation précise de la douleur, lecture sur les lèvres… Des compétences qui peuvent aussi être appréciées dans d’autres services.

« Il arrive, souligne-t-il, que certains services fassent appel à nos collègues sourds pour la prise en charge de patients entendants. C’est le cas des neurologues, confrontés à des patients non sourds, présentant une aphasie complète, où les capacités mimiques des soignants sourds sont salvatrices pour entrer en relation avec eux. Il est arrivé aussi que leurs compétences en lecture labiale soient exploitées pour comprendre ce que disent certains patients qui ne peuvent plus s’exprimer par la voix, comme les trachéotomisés par exemple »

Dans les services classiques. Et pourquoi pas ?

 Marie, elle, n’a pas opté pour des services spécifiques où ses compétences seraient mieux exploitées qu’ailleurs. Elle préfère se mêler aux professionnels entendants, dans des unités de soins classiques, et même dans les unités d’urgences, comme si rien n’était.

Longtemps, cela a marché pour elle. « J’ai toujours été bien accueillie et reçue. J’ai eu un seul souci dans mon parcours, c’était en stage et j’avais du mal à suivre. Mais sinon, mon intégration s’est la plupart du temps faite très rapidement et tout se passait bien auprès de mes collègues ASH, AS et IDE. Et aussi auprès des patients », précise Marie qui se remémore une époque où sa surdité était atténuée grâce à des implants cochléaires.

Mais maintenant, elle n’est plus appareillée. C’est un choix qu’elle a dû prendre pour des raisons de santé. Et comme cette situation est « très difficile » en termes d’embauche, elle alterne missions d’intérim et pointage au pôle emploi. Elle a aussi dû se résoudre – alors que ce n’était pas son intention – à se déclarer en qualité de « travailleur handicapé ».

« En 2012, j’ai obtenu un poste en Guyane. La DRH a clairement mis mon handicap devant mon diplôme et cela était problématique. Plus tard, je me suis dit qu’il fallait que je me protège légalement. J’ai reçu mon attestation via la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) en février 2013 », explique la jeune femme.

Ambitieuse, Marie souhaiterait monter un réseau de santé où des professionnels signants (les soignants entendants qui maîtrisent la LSF), les professionnels sourds et des interprètes en LSF, main dans la main, travaillent ensemble de manière à rendre une consultation chez un généraliste ou un spécialiste accessible aux sourds. Cela permettrait aux patients concernés de ne pas être discriminés géographiquement. « Il y a 18 pôles sourds actuellement en France, et c’est trop peu », estime Marie.

La jeune femme souhaiterait aussi devenir cadre de santé, et suivre un parcours universitaire pour aboutir sur une thèse concernant les personnes âgées sourdes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

D’autres professionnels sourds comme Marie exercent en France. Soignants de l’ombre, ils doivent faire face à un monde pas tout à fait adapté à leur situation de handicap.

Malika Surbled

Actusoins magazine infirmierCet article est paru dans le numéro 21 d’ActuSoins magazine 
(Juin /Juillet/Août 2016).

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Un accès à la formation limité

Bénéficier d’un interprète LSF pour ses cours et pour certaines phases phares de ses stages : en France, certains instituts de formation proposent systématiquement des solutions d’interprétariat LSF pour les étudiants malentendants ou sourds (IFSI de Castelneau-le nez, IFAS de l’Université Catholique de Lille …). Rares, ils impliquent des contraintes géographiques. Ailleurs, il est aussi possible de bénéficier de ces mesures, sous condition de financement. Et c’est là que ça bloque. « Il n’y pas de voie institutionnelle claire pour arriver à obtenir ces financements », regrette Lisa Cann, présidente de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), qui souhaiterait que les étudiants des IFSI bénéficient des mêmes services que ceux proposés dans les universités. « Et faute de financement, les étudiants doivent se débrouiller pour lire sur les lèvres. Cela devient très compliqué ».

 

 

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5 réactions

  1. Eurélys Pochetat tu crois que le chef peut kiffer Ca ? LOL

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  2. Pauline! Je pense que je vais prendre des notes 😉

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  3. Alexandre

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