
Le rythme soutenu d’un djembé semble battre le rappel sur la place de la République. A la sortie du métro, un tag donne le ton : « Ne vivons plus comme des esclaves » (1). Après les étudiants, les avocats et les SDF, les soignants ont, à leur tour, investi cette Nuit debout parisienne.
Emanation du mouvement social de 2015 contre la réforme du temps de travail à l’Ap-Hp, une trentaine d’hospitaliers anime, depuis le 9 avril, le collectif « Hôpital debout ». Installés derrière les écologistes et à portée de voix des féministes, ils ont été rejoints par des soignants d’autres hôpitaux, des libéraux, des professionnels de psychiatrie…
“La santé ne pouvait qu’en être”
La Nuit debout serait-elle une opportunité de prolonger les manifestations contre le plan Hirsch à l’Ap-Hp et la loi Santé ? « On ressent un goût d’inachevé, admet Olivier Youinou, Iade à l’hôpital Henri Mondor (Créteil) et délégué de Sud santé sociaux, le syndicat qui assure la logistique d’« Hôpital debout ». « Nous avons aussi été attentifs à l’appel de l’économiste Frédéric Lordon », qui a enjoint tous les corps de métier à prendre part à la Nuit debout. « Il a proposé qu’on y redéfinisse une société plus juste et émancipatrice. La santé ne pouvait qu’en être : elle est un droit fondamental. »
Ni une ni deux, les hospitaliers ont apporté leur table, endossé les blouses blanches et brandi un carton « Hôpital debout ». Au programme des groupes de travail, le financement de la santé, l’hôpital de demain, la démocratie sanitaire et la convergence des luttes hospitalières. A côté des rêveurs qui se proposent – sans rire – de réécrire toutes les lois de la République, les activistes d’« Hôpital debout » se veulent pragmatiques.
Et pédagogues vis-à-vis d’un public qui sent que quelque chose ne tourne plus rond, sans pouvoir se l’expliquer. « Nous avions accepté l’idée du droit de réserve, imposé dans la fonction publique. Cela a donné lieu à une omerta, estime Olivier Youinou. Or, toucher à nos conditions de travail, c’est toucher à la prise en charge de la population. Il est de notre devoir de le dénoncer. »
Colère partagée

D’autant que le malaise est palpable chez les usagers du système de santé, selon « Hôpital debout ». Dans les commissions, on déplore pêle-mêle des retards d’accès aux soins et un manque d’informations à l’hôpital. « J’ai entendu le témoignage poignant d’un homme qui s’était pointé pour un scanner, en vue d’explorer une tumeur, raconte Olivier Youinou. Là, son examen a été reporté parce que le scan était en panne. Ce n’est pas tolérable. »
Autre motif de colère partagée, l’« hypermédicalisation », au détriment de la prévention et de « pratiques relationnelles. Beaucoup de malades et de familles se sont exprimés avec virulence à ce sujet », relate Mathilde, psychologue.
« L’hôpital devient une entreprise, regrette Céline Berradj, infirmière en Diabétologie à l’hôpital Lariboisière et une des instigatrices d’« Hôpital debout ». Acupuncture, éducation thérapeutique, art thérapie et musicothérapie en psychiatrie… Tout ce qui n’est pas rentable [à court terme, ndlr] disparaît. » Comme pour appuyer ces propos, une actrice de rue déclame un texte d’Antonin Artaud (2) face au stand « Psy soins accueil debout ».
« Convergences de moyens »
Une sirène de police retentit. La place bruisse de réflexions. On peut néanmoins s’interroger sur leurs débouchés concrets. « Nous sommes ici dans un lieu, au sens physique, de convergences de moyens plutôt que de finalités », juge Philippe, présent tous les soirs depuis le début du mouvement le 31 mars.
Des rencontres, des partages de compétences se créent. « Le collectif des sans-papiers m’a demandé du soutien pour le camp de migrants de la place de Stalingrad, illustre Céline Berradj. J’ai apporté du matériel et j’y ai fait de la bobologie… »
La mobilisation « Hôpital debout » essaime doucement, à Lille, Toulouse… A Paris, la foule s’est clairsemée. Le ciel tourne à l’orage. Le premier soir, « près de 300 personnes s’étaient rassemblées au stand « Hôpital debout ». Il ne faut pas lâcher cette petite étincelle. »
Emilie Lay
(1) Titre d’un film documentaire consacré aux opposants grecs à l’austérité
(2) Mort en 1948, ce poète et acteur avait été interné à plusieurs reprises en psychiatrie. Il est l’auteur de Van Gogh, le suicidé de la société.










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