Réduire l’iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée

Réduire l’iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée

La réduction de l’iatrogénie médicamenteuse est une priorité de santé publique. Elle est responsable de près de 150.000 hospitalisations par an et de plus de 15.000 décès. Réduire l'iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée

Les anticoagulants, de par leurs complications hémorragiques, sont les principaux pourvoyeurs de cette morbidité et de cette mortalité. Si certains événements indésirables sont difficilement prévisibles, en particulier les accidents dits idiosyncrasiques ou d’origine immuno-allergique, il est établi que la moitié d’entre eux serait évitable car leurs mécanismes de survenue sont connus et devraient être attendus. Il s’agit essentiellement des accidents par surdosage ou par interactions médicamenteuses.

Le sujet âgé est un sujet à haut risque de développer des effets iatrogènes médicamenteux. D’une part, les modifications physiologiques liées à l’âge et la présence fréquente d’une insuffisance rénale organique exposent au risque de surdosage par accumulation et imposent souvent une réduction des posologies. D’autre part, les pathologies associées et les nombreuses prescriptions qui en découlent rendent inévitables les interactions médicamenteuses.

Principaux types d’interaction

1) Les interactions cinétiques

Les interactions cinétiques vont influencer les concentrations sanguines des médicaments et exposer le patient au risque de surdosage ou de sous-dosage. Les médicaments inhibiteurs enzymatiques (en particulier les antibiotiques de la famille des macrolides et les antifongiques azolés) sont capables de freiner le métabolisme de médicaments pris conjointement. Ces derniers risquent donc de voir leur concentration sanguine s’élever au-delà de leur marge thérapeutique, surtout s’il s’agit de médicaments à marge thérapeutique étroite comme les AVK ou la colchicine.

A titre d’exemple, l’introduction d’un antifongique azolé comme le miconazole (Daktarin®, Loramyc®) chez un patient traité par AVK va entraîner une élévation de l’INR et un risque hémorragique. Cette association est donc contreindiquée.

Par le même mécanisme, la prescription d’un antibiotique de la famille des macrolides comme l’érythromycine chez un patient traité par colchicine va entraîner une élévation de la concentration sanguine de colchicine qui peut atteindre rapidement son seuil toxique.

Notons que le jus de pamplemousse est également un puissant inhibiteur enzymatique : Il peut multiplier la biodisponibilité de la simvastatine (Zocor®) par un facteur 15, ce qui revient à prendre en une seule fois la dose de deux semaines et accroît le risque de rhabdomyolyse. Il augmente également la biodisponibilité des immunosuppresseurs comme la ciclosporine (Néoral®, Sandimmun®) et augmente le risque de néphrotoxicité. Les médicaments inducteurs enzymatiques (millepertuis, rifampicine, certains antiépileptiques comme la carbamazépine, le phénobarbital ou le topiramate) sont capables quant à eux de stimuler le métabolisme de médicaments pris conjointement. Ces derniers risquent donc de voir leur concentration sanguine diminuer en-deçà de leur marge thérapeutique, surtout s’il s’agit de médicaments à marge thérapeutique étroite comme les AVK ou la digoxine. A titre d’exemple, la prise de médications à base de millepertuis à visée antidépressive (sur prescription médicale ou par automédication) peut réduire ou même annuler les effets d’un traitement par AVK ou par digoxine.

2) Les interactions dynamiques

Les interactions dynamiques de type additif sont susceptibles de potentialiser les effets de certains médicaments pris simultanément. Ainsi, la prise conjointe d’un AVK et d’un antiagrégant plaquettaire (aspirine ou AINS) peut déclencher un syndrome hémorragique. La prise conjointe de médicaments à effets anticholinergiques peut déclencher un syndrome anticholinergique avec rétention urinaire, troubles visuels ou syndrome confusionnel. La prise conjointe de deux fibrates (type Béfizal®, Lipanor®, Lipanthyl® ou Lipur®) peut déclencher une rhabdomyolyse.

Il peut s’agir à l’opposé d’une interaction de type antagoniste. La prise d’un antiémétique comme le métoclopramide (Primperan®) chez un patient parkinsonien traité par agents dopaminergiques peut perturber sérieusement son traitement.

Génériques : source de confusion et d’erreurs

La différence de présentation peut être source de confusion et d’erreurs. L’infirmier joue un rôle important dans le signalement de cette anomalie et dans l’aide à la bonne observance du traitement. Il faut se méfier des comprimés de principes actifs différents qui ont parfois le même aspect (affaire des comprimés furosémide-zolpidem Téva, comprimés Préviscan®-Lisinopril®…), mais tout autant des comprimés d’un même principe actif qui peuvent se présenter sous différents aspects selon le générique.

Attention aux évènements intercurrents

Ces évènements peuvent interférer avec les traitements médicamenteux et favoriser la survenue d’effets indésirables parfois graves. Ainsi, un épisode infectieux conduisant à la prescription d’un antibiotique inhibiteur enzymatique peut conduire au surdosage d’un médicament pris jusqu’alors sans problème. La fièvre ou une gastro-entérite peuvent entraîner une déshydratation avec insuffisance rénale fonctionnelle grave chez un patient sous diurétiques ou à la fonction rénale altérée.

Dix bons réflexes iatrogéniques

L’infirmier étant le professionnel de santé le plus proche du malade, il est le plus apte à déceler les premiers signes pouvant évoquer un événement médicamenteux indésirable. Il doit en permanence réagir avec le réflexe iatrogénique.

1. Diarrhée.

De nombreux médicaments sont responsables de troubles digestifs mais l’apparition d’une diarrhée chez un patient traité par colchicine doit faire systématiquement évoquer une toxicité par surdosage en colchicine. L’infirmier constatant une diarrhée chez un patient sous colchicine doit signaler immédiatement ce symptôme au médecin prescripteur.

2. Rétention urinaire.

Deux types de médicaments peuvent provoquer une rétention urinaire avec globe vésical : les médicaments à effets principaux ou latéraux anticholinergiques (ils sont très nombreux : anticholinergiques antiparkinsoniens comme l’Artane®, anticholinergiques antispasmodiques comme le Librax®, phénothiazines neuroleptiques comme le Largactil® ou antihistaminiques H1 comme l’Atarax®) et les vasoconstricteurs alpha-stimulants (décongestionnants ORL). L’infirmier doit surveiller attentivement la qualité de la miction des personnes âgées (tout comme celle du transit digestif) et rechercher un globe vésical au moindre doute.

3. Troubles de la sexualité.

L’apparition récente de troubles de la sexualité (hypersexualité, addiction sexuelle, déviance), parfois associés à d’autres addictions, chez un patient parkinsonien traité par agoniste dopaminergique type ropinirole (Requip®) ou pramipexole (Sifrol®) doit faire évoquer la responsabilité du traitement.

4. Chutes.

Par le biais d’une sédation excessive, de troubles visuels, d’une hypotension orthostatique ou d’une myorelaxation, de nombreux médicaments peuvent être responsables de chutes aux conséquences souvent graves chez le sujet âgé, mais il faut avant tout éliminer les associations de benzodiazépines ou les benzodiazépines à demi-vie longue. L’infirmier doit régulièrement s’enquérir auprès du patient âgé mais également de sa famille de la survenue de chutes.

5. Syndrome confusionnel.

L’apparition brutale d’un syndrome confusionnel peut être un effet direct de médicaments (tous les médicaments psychotropes, certains antibiotiques) ou un effet indirect (hypoglycémie chez un patient sous antidiabétiques hypoglycémiants, rétention aiguë d’urine d’origine médicamenteuse se traduisant par une agitation chez le sujet âgé…). L’infirmier doit contrôler la glycémie capillaire devant tout trouble neurologique ou d’allure neuropsychiatrique.

6. Déshydratation.

La surveillance du poids et des signes de déshydratation est capitale chez le sujet âgé surtout s’il est sous traitement diurétique. Une chaleur excessive, une fièvre ou une gastro-entérite avec pertes liquidiennes peuvent entraîner rapidement une déshydratation sévère avec insuffisance rénale fonctionnelle. La surveillance infirmière régulière du poids et des signes de déshydratation est incontournable chez le patient sous diurétiques.

7. Syncopes.

Des malaises à type de syncopes ou de pertes de connaissance brèves imposent la réalisation d’un ECG à la recherche de troubles du rythme ou de la conduction. De nombreux médicaments (en particulier des neuroleptiques et des antidépresseurs) sont responsables d’un allongement de l’intervalle QT et de survenue de troubles graves du rythme ventriculaire à type de torsades de pointe. L’association halopéridol (Haldol®) + citalopram (Séropram®) et l’association paroxétine (Déroxat®) + pimozide (Orap®) sont contre-indiquées pour cette raison.

8. Hémorragies.

Les anticoagulants (en particulier les AVK) représentent la première cause de morbidité et de mortalité liées aux médicaments. Tout signe hémorragique même mineur (gingivorragie, épistaxis, hématome) et a fortiori majeur (hématurie, méléna…) doit faire évoquer une posologie excessive ou une interaction médicamenteuse (attention aux antifongiques azolés même sous forme de gel buccal et aux AINS) et contrôler l’INR. L’infirmier se mettra en rapport avec le médecin prescripteur sans délai afin de signaler les signes hémorragiques, même minimes.

9. Hypoglycémie.

Tout signe neurologique ou neuropsychiatrique d’installation brutale doit faire évoquer en premier lieu une hypoglycémie chez le patient traité par antidiabétiques oraux hypoglycémiants (sulfamides hypoglycémiants ou glinides). Le risque est de confondre les symptômes d’une hypoglycémie médicamenteuse avec ceux d’un AVC ou d’un syndrome psychiatrique. Deux associations médicamenteuses sont à haut risque d’hypoglycémie : l’association glibenclamide (Daonil®) + miconazole (Daktarin®, Loramyc®) et l’association répaglinide (Novonorm®) + gemfibrozil (Lipur®). Une glycémie capillaire de contrôle sera réalisée par le personnel soignant devant tout trouble de la conscience, de l’humeur et signes d’AVC (Paralysie faciale, trouble de la parole, troubles moteurs, céphalées, troubles visuels,…)

10. Rhabdomyolyse.

L’apparition de douleurs musculaires doit faire évoquer une rhabdomyolyse débutante chez un patient traité par statines ou par fibrates. L’association d’atorvastatine (Tahor®) et de kétoconazole (Kétoderm®) est contre-indiquée de même que l’association de deux fibrates (Béfizal®, Lipanor®, Lipanthyl® ou Lipur®), du fait du risque de rhabdomyolyse. L’infirmier signalera au médecin toute douleur musculaire inexpliquée.

Pour aller plus loin : les formations en prévention de la iatrogénie médicamenteuse pour les infirmiers et infirmières

Dr Patrick BARRIOT, expert médical de l’Institut Européen de Formation en Santé (IEF Santé)
Article paru dans Actusoins magazine

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