Polyclinique mobile : la télémédecine au chevet des personnes âgées en Ehpad

Polyclinique mobile : la télémédecine au chevet des personnes âgées en Ehpad

1 300 résidents de 17 Ehpad du Grand-Est bénéficient depuis 2019 de téléconsultations avec des médecins spécialistes organisées par les infirmiers d’une start-up strasbourgeoise. Objectif : améliorer l’accès aux soins.

La télémédecine, qui symbolise parfois la médecine à deux vitesses, peut aussi répondre aux difficultés d’accès aux soins des patients pour qui les déplacements sont particulièrement compliqués. C’est le cas pour les personnes âgées dépendantes résidant en Ehpad, et notamment celles qui souffrent de troubles et de maladies neurologiques.

actusoins magazine journal pour les infirmières et infirmiersCet article a été publié dans le n°50 d’ActuSoins magazine (septembre-octobre-novembre 2023).

Il est à présent en accès libre. 

Pour recevoir un magazine complet tous les trimestres, abonnez-vous

Téléconsultation accompagnée au chevet d'une personne âgée en Ehpad
Téléconsultation accompagnée au chevet d’une personne âgée en Ehpad. © Toktokdoc

Beaucoup sont atteintes de multiples pathologies et doivent être suivies par plusieurs spécialistes mais les rendez-vous dans les différents cabinets ou services hospitaliers sont compliqués à organiser. « Certains résidents, notamment ceux de l’unité de vie protégée, n’aiment pas du tout être déplacés », souligne Jasmine Schneider, infirmière référente à l’Ehpad des Quatre vents, à Strasbourg. Quand ils ne refusent pas tout net de sortir de la structure, il faut les accompagner pendant le transport et la consultation, les aider à se déshabiller puis à se rhabiller. Un retard peut conduire à l’annulation du rendez-vous qu’il faut alors reprendre et réorganiser. Pour éviter les multiples déplacements de ce type tout en permettant que les consultations aient lieu, la start-up strasbourgeoise Toktokdoc a mis sur pied une policlinique mobile de télémédecine qui organise des téléconsultations dans la chambre des résidents.

Au chevet des résidents

Elle s’inscrit depuis 2019 dans le cadre des expérimentations permises par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2018, qui vise à « innover pour mieux soigner ». Le modèle ? « Nous avons nos propres infirmiers de télémédecine, salariés de Toktokdoc, qui vont dans les Ehpad et recueillent, avec les infirmiers sur place, les médecins et les familles, les besoins de consultations, en particulier de spécialités, et qui organisent les téléconsultations », explique Laurent Schmoll, médecin ORL et co-fondateur de l’entreprise.

La policlinique se déploie aujourd’hui dans 17 Ehpad du Grand-Est, dans l’eurométropole de Strasbourg, mais aussi dans le secteur montagneux des Vosges et dans la campagne de Moselle.

Quelque 1 300 résidents en bénéficient. En amont de leur inclusion dans le projet, les infirmiers de télémédecine recueillent des informations auprès d’eux, de leur médecin traitant et des soignants de l’Ehpad sur leur état de santé, leur état psychique et leur situation sociale et administrative, puis les analysent.

« Cela nous permet, indique David Malaise, infirmier, de proposer un plan de soins » prévoyant un suivi dans telle ou telle spécialité. Ce plan n’est mis en oeuvre qu’après validation par le gériatre de la policlinique et l’accord du médecin traitant.

Un infirmier s’occupe des téléconsultations d’environ 140 patients, souvent répartis sur deux établissements. Les infirmiers ont été recrutés pour 36 mois, la durée de l’expérimentation (qui a été prolongée jusqu’au 31 octobre 2023). Ce sont des infirmiers qui ont quitté leur emploi après la crise du Covid ou d’anciens libéraux qui voulaient changer de manière d’exercer, indique Laurent Schmoll. Athenaïs Graff, infirmière dans un CHU, voulait améliorer ses conditions de travail et David Malaise travaillait en libéral et voulait retrouver une dynamique d’équipe. La dimension innovante du projet leur a plu.

Innovation

« Tous ont été formés à l’utilisation de l’outil de visio, poursuit le médecin, et à la manipulation des objets connectés » : électrocardiographe, échographe cardiaque, stéthoscope, thermomètre, dermatoscope, otoscope et scanner vésical. Des médecins spécialistes les ont formés à l’utilisation de ces instruments en sécurité et « pour que nous puissions fournir des images interprétables », explique Athénaïs Graff.

Dans le cadre de l’expérimentation de la policlinique, les infirmiers sont amenés à pratiquer des actes par délégation de tâches au moment des téléconsultations.

Ils ne se rendent pas dans les Ehpad juste pour réaliser les téléconsultations, ils y passent tout leur temps car elles nécessitent une préparation et un suivi.

Une partie importante de la mission des infirmiers de télémédecine consiste à préparer les consultations en visio. « Il faut réunir plusieurs documents et informations, indique David Malaise, comme les derniers bilans sanguins de la personne, ses antécédents, des comptes-rendus d’hospitalisation… On peut aussi réaliser un électrocardiogramme en amont. En fonction des spécialités, le recueil des informations sera plus ou moins approfondi. »

En comparaison, la téléconsultation est l’étape qui dure le moins longtemps : 15 à 30 minutes. Dans la très grande majorité des cas elle se déroule dans la chambre des résidents. Parfois un membre de la famille est présent.

Préparation et compte-rendu

Juste avant une téléconsultation, indique Athénaïs Graff, les infirmières font un dernier point avec les membres de l’équipe sur la personne. Vient-elle de chuter ? Est-elle agitée ? Puis avec la personne elle-même. « Je viens toujours 10 minutes avant pour me présenter, expliquer ce qu’on va faire et pourquoi on va le faire », souligne l’infirmière.

Ensuite, grâce à une tablette, la soignante se connecte à l’interface de téléconsultation et se place dans la file d’attente virtuelle. Le rendez-vous a été pris au préalable par le secrétariat de Toktokdoc mais, comme au cabinet, le planning peut accuser du retard.

Après la téléconsultation, explique David Malaise, « on fait un compte-rendu oral à l’équipe soignante puis écrit via le dossier patient informatisé de l’établissement » pour le médecin traitant.

Les infirmiers de la policlinique mobile participent aussi à des consultations de téléexpertise qui ne nécessitent pas la présence du patient. Ils peuvent ainsi envoyer des clichés des tympans à l’ORL ou un ECG au cardiologue. Les médecins envoient leur réponse et leur éventuelle prescription en différé.

Les infirmiers de télémédecine réalisent une dizaine de téléconsultations par semaine, en moyenne. Au total, Toktokdoc en décompte environ 300 par mois. Elles ne sont pas payées à l’acte. Dans le cadre de l’expérimentation, « l’Assurance maladie nous verse un forfait mensuel par résident de 130 € qui permet de financer le salaire des infirmiers, le secrétariat et le poste de chef de projet, les voitures, le matériel connecté ainsi que les vacations de spécialistes », explique Laurent Schmoll.

Stop ou encore ?

Les infirmiers de Toktokdoc sont souvent bien intégrés au sein des équipes des Ehpad, observe Laurent Schmoll, et au regard du turn-over dans ces équipes, ils finissent par être les plus anciens dans certains établissements et par bien connaître les résidents. Bien que salariés d’une entreprise prestataire, certains infirmiers de télémédecine travaillent dans le bureau de l’infirmière coordinatrice, d’autres dans le poste de soins. « Être présent favorise la communication », souligne David Malaise. Ils ne réalisent aucun soin, sauf en cas d’urgence et sauf, sur prescription, les extractions de bouchons de cérumen. Mais David Malaise estime exercer une activité inscrite à 100 % dans son métier d’infirmier.

L’audit de l’expérimentation, en cours, préconisera l’inscription du dispositif dans le droit commun ou son abandon. Isabelle Lienhard, infirmière coordinatrice de l’Ehpad du Saint-Gothar, à Strasbourg, « espère de tout coeur qu’il pourra continuer car ce serait, sinon, une perte pour les résidents et leur prise en charge ». Jasmine Schneider partage cet avis. Les consultations réalisées sur place suscitent moins d’opposition de la part des résidents, observe-t-elle, et ils « ont gagné en qualité de soins, et de vie ; ils sont mieux soignés. Les rendez-vous sont plus rapides et permettent de réagir plus vite » pour prévenir la dégradation de certaines situations. Au point, ajoute Isabelle Lienhard, que « beaucoup d’hospitalisations ont été évitées ».

Géraldine Langlois

Je m'abonne à la newsletter ActuSoins 

Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine n°50 septembre-octobre-novembre2023Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéral
Il est à présent en accès libre.
ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.
Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d’informations professionnelles, de reportages et d’enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner.
Pour s’ abonner au magazine, c’est ICI

Abonnez-vous au magazine Actusoins

 

No votes yet.
Please wait...

Soyez le premier à laisser un commentaire !

Réagir

Articles complémentaires