Entre précarité et externalisation : les invisibles de l’hôpital

Entre précarité et externalisation : les invisibles de l’hôpital

L’hôpital public doit faire des économies drastiques. Premiers touchés? Les agents de nettoyage, de restauration, de blanchisserie, ces petites mains qu’on ne voit même pas. Entre renforcement de la productivité et volonté de réaliser des économies, l’hôpital précarise ses agents de services hospitaliers (ASH) comme les agents recrutés au sein d’entreprises privées, chargées de l’externalisation de ces services. Enquête chez ces “agents de l’ombre”.

Entre précarité et externalisation : les invisibles de l'hôpital
© Juliette Robert

150 millions, c’est le montant des économies que doit réaliser l’AP-HP pour l’année 2013. Une somme énorme qui accentue encore le sentiment de “casse” sociale chez les fonctionnaires de santé.

Au premier plan, les Agents de Services Hospitaliers, les catégories C, les sans grande qualification, sont les premiers à souffrir de cette politique, qui vise selon la CGT à “supprimer 1000 emplois supplémentaires.” Mais cette situation dépasse largement la capitale et s’applique à l’ensemble du territoire.

Flore, la trentaine, est ASH depuis plus de 5 ans à Toulouse, à l’hôpital des enfants. Elle s’y occupe du ménage. Son expérience est celle de beaucoup d’autres ASH. “Quand je suis arrivée, il y avait de la solidarité dans l’équipe. Mais rapidement, on a senti une pression sur nous, on a eu des évaluations mais sans aucune explication de la part de la direction. Et constamment ce sentiment d’être surveillée, de quelqu’un qui repasse derrière nous pour vérifier le moindre grain de poussière. Récemment, une collègue m’a raconté que la cadre de santé est passée après moi, pour vérifier que je n’avais pas oublié le derrière des portes battantes… Il y a des vérifications sur la quantité de Manugel que l’on utilise, les cadres de santé font de petites marques pour vérifier les doses, ce genre de choses.”

Ce quotidien, cette pression, elle en a assez bien sûr. Sans compter “le manque de reconnaissance » sociale. “Souvent, on ne nous dit même pas bonjour ou merci. C’est comme si on devait toujours être à disposition, alors que l’on peut être occupée, ou en pause”, s’insurge-t-elle. Comme beaucoup de ses collègues, elle a aussi peur d’être bougée de site, si les relations avec le cadre de santé sont mauvaises, “d’être punie.”

L’une de ses collègues en a fait les frais, elle a été mutée ailleurs. Les rumeurs d’externalisation de certaines surfaces de nettoyage qu’elle a entendues l’année dernière, ne sont pas là pour la rassurer pas non plus, le nettoyage de la maternité étant déjà complètement externalisé. Côté salaire, Flore gagne 1344 euros nets, mais peine à joindre des deux bouts. “Avec un enfant en bas âge et une maison à payer, heureusement que je ne suis pas toute seule, sinon je ne m’en sortirais pas. La plupart de mes collègues ASH sont obligés de vivre à deux ou en coloc. L’une d’entre elles en fin de mois ne mange même que des pâtes pour avoir de quoi acheter des menus équilibrés à son fils”, raconte-t-elle, compatissante. Et inquiète.

L’argument de la sécurité de l’emploi en tant que fonctionnaire n’est plus suffisant, avance Joran Jamelot, aide-soignant et syndicaliste CGT à l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Cette “sécurité de l’emploi” ne compense plus les évolutions d’un métier qui se précarise, au point que les salaires ne sont plus suffisants pour trouver un logement décent. Il y a quelques années, les catégories C sans concours commençaient à 115% du Smic, aujourd’hui, ils commencent à 98% du Smic, avant l’octroi de l’indemnité différentielle. Preuve qu’à charge de travail égale, le salaire ne suit plus.

Yann Guittier, membre de la CGT à l’Hôpital Debré à Paris, le confirme : en terme de logement, “les catégories C sont dans la galère, c’est la régression sociale.” Lui-même connaît des collègues qui sont à la rue. “C’est alors le recours au système D, à la famille, mais les gens n’en parlent pas.”

La raison? Les conditions de plus en plus compliquées pour pouvoir bénéficier du patrimoine de l’AP-HP qui met normalement des appartements à disposition des fonctionnaires les plus modestes pour les attirer face aux loyers prohibitifs et des attributions locatives qui ne profitent pas toujours à ceux qui en auraient le plus besoin.

Vers une externalisation croissante des services de l’hôpital?

Au cœur des transformations voulues par la politique actuelle d’économies, l’externalisation croissante des services de blanchisserie, bio-nettoyage ou autre restauration, tient un rôle primordial. Des services autrefois réalisés au sein même de l’hôpital, sont désormais réalisés par des sociétés extérieures privées.

“Le choix de l’externalisation se fait au cas par cas selon les établissements. Mais la courbe est régulièrement croissante”, explique Yves Gaubert, responsable du pôle budget et finances de la Fédération Hospitalière de France (FHF). Les motivations “peuvent être économiques, afin de ne pas avoir à assurer les variations, les ressources si les activités baissent, pour s’éviter des frais fixes de fonctionnement”, précise-t-il.

L’exemple de l’HEGP l’illustre. La collaboration avec la société privée Elior Restaurations se poursuit et se développe, même, depuis cette année. “Nous avons de nouveau remporté l’offre de marché. Chaque marché nécessité de s’adapter, de trouver les spécificités. Une demande nouvelle nous a été formulée cette année : celle d’assurer la liaison froide des repas vers deux établissements, Corentin Celton et Vaugirard. Avant, cela se faisait sur place. Mais deux cuisines ont fermé sur place à cause de la vétusté du matériel” explique Luc Lebeaupain, en charge du pôle restauration du groupe. Il avance aussi qu’Elior est très bien placé vu sa connaissance du terrain et son expertise repas gériatrie.

”Nous proposons la meilleure qualité au meilleur prix”, équation possible grâce à “l’optimisation et des enjeux de productivité, des équipes formées pour avoir les meilleures compétences et des achats de nourriture effectués en grande quantité”. Selon lui, la volonté de l’HEGP, c’est de “vouloir se reconcentrer sur leur coeur de métier, le soin, et déléguer les activités annexes”.

Loin de ces propos rassurants, Yann Guittier tient lui un discours alarmant sur les conséquences pour les ASH. “Mobilité, changement de poste sans raison, absence de réembauche, on les bouge de services en services, horaires inadapté, pression d’en faire toujours plus,” lâche-t-il.

La capitale n’est pas une exception. “A l ‘hôpital de Toulouse, sur 80 salariés, il n’y a plus que 20 titulaires », lâche Ghislaine Raouafi, du pôle santé de la CGT. « Pour optimiser les ASH, on les a sortis, ils sont partis, ils ont été mutés, ils deviennent minoritaires. Les CDD sont renouvelés de 3 mois en 3 mois. Par exemple, on laisse un ou deux plombiers, et pour le reste, on fait intervenir des sociétés privées. Du coup ces employés ont les connaissances mais pas le matériel nécessaire, ils sont déqualifiés”, affirme-t-elle, dénonçant la précarisation du métier. Flore, l’ASH de Toulouse, en parle aussi. “Depuis 3 ans, mes collègues sont contractuelles, mais ce n’est pas légal. Seulement, elles ont trop peur d’aller gueuler pour dire que ce n’est pas normal”, lâche-t-elle.

Externalisation et pression

La Pitié-Salpêtrière aussi tend à externaliser de plus en plus. L’hôpital est passé de 80% de surface de nettoyage traitée par la société Challancin, à 95%. “La tendance est croissante », confirme Mohamed Benkir, en charge du pôle hôpital de la société privée. « Notre plus gros marché : à St Denis, nous sommes passés de 2 agents à 22 agents. Trois critères convainquent les hôpitaux de faire appel à nous : le budget, la rentabilité et la cadence du prestataire qui n’est pas la même (que celle des ASH, ndlr), centralisée sur tout le bio-nettoyage, plutôt que de mettre une équipe interne polyvalente qui va faire autre chose que son coeur de cible”, poursuit-il.

Les relations entre hôpital public et les sociétés privées sont donc interdépendantes, avec une grosse exigence de qualité de la part des établissements hospitaliers, M. Benkir évoquant « un cahier des charges très strict.” En filigrane, il faut comprendre un niveau d’exigence que “subissent” de plein fouet les employés de ces sociétés. En 2011, une employée de Challancin a tenté de se suicider sur son lieu de travail, à l’hôpital Robert Debré. La direction de Challancin a nié tout lien avec les conditions de travail, mais selon certains témoins, la pression était trop forte, et une dispute avec son employeur aurait été la goutte de trop.

Car de l’autre côté de la barrière, chez ces employés recrutés en remplacement des ASH dont les postes n’ont pas été renouvelés ou ont été déplacés, la rentabilité aussi est le maître mot.

“Ce que nous proposons aux hôpitaux, c’est une manière différente de travailler. Ils sont habitués à des journées de travail entières, et nous nous proposons des horaires 6 ou 7 heures jusqu’à 14h, et plus personne après. Il faut donc vendre une autre idée de l’organisation du travail”, explique M. Benkir. « Dans le cas où les résultats ne sont pas satisfaisants, nous pouvons être sanctionnés”, reconnaît-il.

Et ces sociétés dont le chiffre d’affaire se base en partie sur les hôpitaux n’ont pas intérêt à perdre le marché. La concurrence est rude. Ghislaine Raouafi, de la CGT, confirme cet éclairage. “Quand l’hôpital externalise, les conditions de travail ne sont pas meilleures. Si l’entreprise privée en vient à perdre le marché, ils sont simplement licenciés. C’est dramatique dans tous les cas”, avance-t-elle.

Sur son site internet, Challancin vante son taux d’accident du travail inférieur à la moyenne dans la profession, Elior Services (la branche nettoyage de Elior, ndlr) met l’accent sur le côté humain de l’emploi, affirmant “valoriser les hommes”, lutter contre la discrimination et favoriser la diversité. En effet, nombre des employés de ces sociétés sont d’origine étrangère, parlant parfois à peine français, comme le reconnaît M.Benkir. Dans ces cas-là, Challancin propose des fiches avec des dessins pour former les agents à leurs responsabilités. Elior Restauration annonce proposer une majorité de CDI à ses agents, mais à quel prix? Horaires décalés, salaires très bas, temps de transport qui atteint parfois les 5 ou 6 heures quotidiennes, le CDI ne fait pas toujours rêver.

Flore, ASH à Toulouse, dénonce elle aussi les conditions de travail des employés d’entreprises privées. Dans son hôpital, le nettoyage de la maternité a été complètement externalisé. Et elle est témoin de la cadence de travail de ses “collègues”. “En externe, elles sont très surveillées. Elles ont 3 minutes chronomètre en main pour faire une chambre. Chaque mètre carré en moins est retiré sur le salaire par une pénalité”, explique-t-elle. Conséquences : il faut aller plus vite, mais dans des salles niveau 3 ou 4, là on ne plaisante pas avec l’hygiène, quand la vie d’un enfant en dépend éventuellement. Elle et ses collègues sont bien décidées à “récupérer la maternité” et à inverser la tendance.

Compétition entre personnel?

Au niveau du personnel, les choix d’externaliser ne sont pas sans conséquences. “Cela peut induire des incompréhensions”, reconnaît pudiquement Yves Gaubert, évoquant toutefois la mission théorique de reclassement des hôpitaux. “Si par exemple, la blanchisserie d’un établissement ferme, on peut reclasser quelqu’un comme brancardier. Si le service de restauration ferme, alors on peut utiliser ce personnel pour le recyclage des repas », imagine Yves Gaubert. A son souvenir, il n’y a pas d’exemple où l’on a fait “basculer une activité qui se serait traduit par des licenciements abusifs”, affirme-t-il, comme dans une volonté d’apaisement.

Luc Lebeaupain, qui officie sur l’HEGP parle de son expérience. “On veut que ça créé le moins de trouble possible”, reconnaît-il. Et affirme lui que les “salariés restent sur le site que ce soit un prestataire ou un autre. Le personnel reste le même.” Les ASH supprimés sont quant à eux “redéployés sur d’autres métiers, on réorganise globalement le fonctionnement du centre hospitalier”.

La direction de l’HEGP n’a pas souhaité répondre à notre demande d’interview. Mais dans sa lettre de cadrage 2013, la Directrice générale parle de la nécessité “d’identifier des marges de manoeuvres dans la perspective des efforts d’efficience nécessaires sur l’année 2013.” Autrement dit, comment faire travailler plus en payant moins. Les ASH, invisibles pourtant indispensables de l’hôpital, “éléments interchangeables, car peu qualifiés, nombreux, qui travaillent dans des conditions proches de l’usine”, comme le dit la directrice d’une maison d’information professionnelle (MIP) de Bourgogne, interrogée pour les besoin de l’enquête, sont en première ligne pour tomber. De la chair à canon sociale?


Delphine Bauer

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18 réactions

  1. Je vais tester en tant que brancardier.
    Merci pour l’info !

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  2. AVS en général il faut un diplômel, pour ASH en revanche tu peux trouver assez facilement, sinon essaye brancardier, il recrutent à l’approche des grandes vacances souvent.

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  3. Mais les cadres ne peuvent pas ! Ils ont réunion !

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