Quel est le point commun entre les grenouilles et l’Ondam ? Tous deux peuvent être utilisés comme instrument de prévision. Pour savoir le temps qu’il va faire, les Anciens observaient en effet le comportement des batraciens sur une échelle. Et pour connaître l’ampleur des restrictions budgétaires auxquelles ils seront confrontés, les professionnels de santé scrutent ce petit chiffre annoncé chaque année en amont de la présentation du PLFSS, et qui porte le poétique nom d’Ondam.
L’augmentation de celui-ci pour 2019 a été fixée à 2,5 %, ainsi que l’a annoncé le gouvernement au mois de septembre dernier. Ce qui veut dire que les dépenses de santé remboursées par l’Assurance maladie pourront en 2019 être supérieures de 2,5 % à celles de 2018. On pourrait être tenté de sabler le champagne, car il faut remonter à 2011 pour trouver un chiffre aussi élevé. Mais le secteur de la santé n’en a toutefois pas fini avec les plans d’économies et autres gels de crédits pour autant. Bien au contraire.
Augmenter le budget tout en faisant des économies
Il faut en effet savoir que sous le double effet du progrès médical et du vieillissement de la population, le taux de croissance naturel des dépenses de santé est de l’ordre de 4,5 % par an. « Un Ondam à 2,5 %, ce sont donc encore des mesures d’économies », souligne le sociologue et spécialiste des politiques de santé Frédéric Pierru. Pour pouvoir respecter les 2,5 % d’augmentation de l’Ondam, le Rapport économique, social et financier (RESF) publié début octobre par la direction du Trésor prévoit donc des restrictions s’élevant à 3,8 milliards d’euros.
Frédéric Pierru remarque toutefois que les économies seront moindres en 2019 que lors des années précédentes. Le coup d’œil en arrière est en effet rassurant : l’augmentation de l’Ondam avait été fixée à 2,3 % pour 2018, 2,2 % pour 2017, et même 1,8 % pour 2016, son plus bas niveau historique. « C’est une époque où tenir l’Ondam relevait de l’exploit », se souvient Frédéric Pierru. Un exploit qui n’a d’ailleurs pas toujours été réalisé.
Un guichet de moins en moins ouvert
Car contrairement au budget de l’Etat, celui de la Sécurité sociale n’est pas constitué de lignes de crédit figées. « Si l’Ondam fonctionnait comme le budget de l’Etat, on arrêterait de rembourser les soins une fois que le budget prévu est dépensé, ce qui n’est bien entendu pas possible : l’Assurance maladie fonctionne à guichet ouvert », explique Frédéric Pierru. C’est ce qui explique comment l’Ondam a d’abord été systématiquement dépassé. Une situation qui a démarré dès création par le plan Juppé de 1996, et qui s’est prolongé à l’année 2010.
« Avant 2010, l’Ondam était surtout destiné à faire plaisir à Bruxelles », sourit Frédéric Pierru : une manière de rassurer les Européens sur la volonté française de réduire ses déficits publics. « Il s’agissait également d’un instrument pédagogique, d’un signal adressé aux professionnels de santé pour leur montrer qu’on avait l’intention de maîtriser les dépenses de santé », ajoute le sociologue.
Mais celui-ci constate qu’en 2010, tout a changé, et qu’on est « passé d’un instrument pédagogique à un instrument budgétaire ». De nouvelles mesures ont été mises en place, comme la possibilité de geler automatiquement les Missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation (Migac, partie du budget des hôpitaux non directement liée à leur activité) si l’Ondam était en passe d’être dépassé.
Arbitrages en haut lieu
Reste une question : Qui fixe l’Ondam ? En théorie, celui-ci est inscrit dans la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), et donc votée par l’Assemblée et le Sénat. Mais en pratique, la marge de manœuvre des parlementaires est très réduite. « C’est Bercy qui a la haute main sur la construction de l’Ondam, et les grands arbitrages sont faits à Matignon ou à l’Elysée », détaille Frédéric Pierru.
Des arbitrages qui ne portent pas uniquement sur le montant global de la progression de l’Ondam. La LFSS fixe en effet également la répartition des dépenses entre les trois grands secteurs que sont l’hospitalisation, la ville et le médicament. A titre d’exemple, la progression des dépenses de santé pour les soins de ville pour 2019 a été fixée à 2,5 %, contre 2,4 % pour les établissements de santé.
Ce dixième de point de pourcentage de différence qui peut paraître dérisoire, mais il représente plusieurs millions d’euros et est le fruit de longues tractations entre représentants des professionnels concernés et les cabinets ministériels : chacun susurre à l’oreille de la grenouille de l’Ondam pour la faire monter ou descendre son échelle au mieux de ses intérêts.
Adrien Renaud
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