Infirmières hygiénistes : des coulisses au-devant de la scène

Infirmières hygiénistes : des coulisses au-devant de la scène

La crise sanitaire a placé les infirmières hygiénistes dans l'œil d'un cyclone d'une ampleur et d'une intensité absolument inédites. A partir de mars 2020 et pendant plus d'un an, les missions de celles qui travaillent à l'hôpital – la très grande majorité- n'ont quasiment concerné que la lutte contre le coronavirus. Article paru dans le n°41 d'ActuSoins Magazine ( juin 2021). 
Mathilde Roussia, infirmière hygiéniste au CHU de Lille
Mathilde Roussia, infirmière hygiéniste au CHU de Lille. © Géraldine Langlois

« En janvier, déjà, nous avions commencé à formaliser des protocoles », se rappelle Habiba Derance, infirmière hygiéniste dans les centres hospitaliers d’Apt et de l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). En mars, la réduction des activités hospitalières ordinaires s’est répercutée sur les missions habituelles des infirmières hygiénistes et la priorité a été donnée à la lutte contre le coronavirus.

« On travaillait sur la Covid le matin, le soir, la nuit, se souvient Marion Gleizes, infirmière hygiéniste à l’unité de lutte contre les infections nosocomiale (Ulin) du CHU de Lille. On a organisé des permanences les week-ends… » Tout à coup, les infirmières hygiénistes, dont l’avis est consultatif en temps ordinaire, ont été sollicitées de toute part par les équipes confrontées aux inconnues de ce nouveau virus.

Beaucoup d’inconnues

« Elles nous posaient des questions auxquelles elles attendaient des réponses immédiates mais parfois, au début notamment, on n’en avait pas car le virus était nouveau, se rappelle Mathilde Roussia, infirmière hygiéniste au CHU de Lille également. Il a fallu du temps pour que les sociétés savantes se prononcent et émettent des recommandations. » Quand elles en ont produit, « il a fallu “traduire” très rapidement (dans des protocoles, NDLR) les textes officiels mais ils changeaient presque tous les jours », ajoute sa collègue.

Cette course à la mise à jour et cette veille permanente ont fortement marqué les infirmières des équipes opérationnelles d’hygiène (EOH). Tout comme le manque d’équipements de protection individuels (EPI) dans les premiers mois de la pandémie, qui a rendu les protocoles difficilement applicables… Et provoqué une « chasse » aux EPI à laquelle elles ont toutes participé.

« Nous avons tout fait pour que les soignants soient suffisamment protégés », indique Habiba Derance, en concentrant dans les services « Covid » les masques et les surblouses des unités moins exposées ou à l’arrêt ou en sollicitant les fournisseurs habituels ou les entreprises locales… A Lille, un fabricant de sacs poubelle a proposé un prototype de surblouse en plastique. L’étonnement de l’ULIN a fait place à la confiance : « il fallait trouver une alternative » aux surblouses qui manquaient, rappelle Mathilde Roussia. Et expliquer ensuite aux soignants, que l’idée n’a pas enchantés d’emblée, la nécessité d’adopter ces nouvelles surblouses.

Protéger les soignants

Les infirmières hygiénistes ont aussi été beaucoup plus présentes dans les services que d’habitude. D’abord pour aider les équipes à appliquer les pratiques adéquates face aux patients atteints par la Covid. « Dès qu’il y avait un cas dans un service, on allait sur place, raconte Marion Gleizes, pour aider les équipes à organiser le circuit du patient, rappeler les étapes de l’habillage et du déshabillage, etc. »

Puis les patients atteints ont été pris en charge dans un seul établissement du CHU qui a recruté du personnel en renfort. L’activité de formation des agents a beaucoup occupé les infirmières hygiénistes. Pendant plusieurs semaines en 2020, des groupes de dix agents se sont succédé en formation à l’Ulin, trois fois par jour…

Le programme a été le même dans tous les établissements : procédure d’habillage et de déshabillage lors des soins auprès d’un patient atteint ou lors des prélèvements, hygiène des mains mais aussi circuit du linge, de la vaisselle, etc. En présentiel et via des présentations, affiches ou vidéos que les infirmières ont réalisés.

Plus isolée, car seule infirmière hygiéniste sur les deux établissements où elle travaille, Habiba Derance s’est appuyée quant à elle sur le réseau Interclin 84 dont les membres, professionnels de l’hygiène du Vaucluse, ont mutualisé leurs ressources et leurs productions.

Ressources mutualisées

Marion Gleizes, infirmière hygiéniste à l'unité de lutte contre les infections nosocomiales (Ulin) du CHU de Lille
Marion Gleizes, infirmière hygiéniste à l’unité de lutte contre les infections nosocomiales (Ulin) du CHU de Lille. © Géraldine Langlois.

L’univers professionnel des infirmières hygiénistes « n’a jamais autant été sur le devant de la scène, souligne Pascale Chaize, vice-présidente paramédicale de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H). C’est une chance, en quelque sorte, car on travaillait dans l’ombre et certaines unités ont pu ainsi découvrir leurs équipes d’hygiène ». En particulier dans les grands établissements.

« Nous avons rencontré beaucoup plus de monde que d’habitude », confirme Mathilde Roussia. Des soignants, d’autres professionnels, des cadres de santé mais aussi des cadres supérieurs de santé, des directeurs… A Apt ou l’Isle-sur-la Sorgue, Habiba Derance a participé directement aux cellules de crise des deux établissements. Elle est aussi allée plus que d’habitude, au début de la pandémie, dans l’Ehpad adossé à l’hôpital d’Apt. La crise sanitaire a d’ailleurs révélé le besoin criant des interventions des infirmières hygiénistes dans les établissements médicosociaux (lire ci-dessous).

La reprise des activités hospitalières ordinaires n’a pas encore totalement signifié le retour des infirmières hygiénistes à leurs activités habituelles. D’abord parce que la crise sanitaire n’est pas terminée. Il faut ainsi gérer les cas de Covid découverts pendant un séjour à hôpital, donc potentiellement nosocomiaux, dont il est souvent difficile de trouver l’origine quand ils sont isolés. Et gérer la cohabitation dans les chambres doubles selon le statut vaccinal, sérologique ou les facteurs de risque des patients…

Des gestes acquis ?

Malgré les craintes, la fatigue, le stress et les difficultés, nombre d’infirmières hygiénistes ont trouvé intéressant de traverser cette période. Mais cette expérience hors du commun n’a pas vraiment révolutionné leurs missions. Pour Mathilde Roussia, « nous avons fait notre travail, ce pour quoi nous venons tous les jours, mais sur un sujet particulier ». « Nous avons vécu notre rôle pleinement », ajoute Marion Gleizes.

Comme les moyens de prévenir la transmission du coronavirus ne sont pas différents de ceux utilisés face aux autres virus et bactéries, les protocoles habituels n’ont pas été modifiés mais plutôt renforcés, souligne Habiba Derance. En revanche, certaines pratiques ont manifestement évolué. Pour elle, « nous avons gagné vingt ans sur l’hygiène des mains », que ce soit sur le lavage des mains ou le port des bijoux, même si certains, ici ou là, restent à convaincre.

Le port du masque, qui a tant manqué à certains moments, semble acquis et devrait se maintenir dans les situations à risque de transmission par aérosols ou gouttelettes. Plus d’un an après le début de la pandémie, observe Mathilde Roussia, les soignants du CHU de Lille continuent de limiter leur nombre dans leurs salles de pause, de laisser la fenêtre ouverte et de garder leur masque quand ils ne mangent pas : des signes de bon augure, selon elle.

Les équipes n’ont pu que constater la baisse du nombre de personnes ayant contracté la grippe, la gastro ou des affections par le virus respiratoire syncytial, soulignent toutes les infirmières hygiénistes. A Lille, par exemple, « très peu de soignants ont contracté la Covid, observe aussi Marion Gleizes. Nous pouvons sûrement en déduire que nos préconisations étaient efficaces ». De quoi convaincre du bien-fondé des pratiques préconisées durant cette pandémie et inciter à continuer de les adopter ? L’avenir le dira. Selon Pascale Chaize, « il y aura sûrement un avant un après la crise sanitaire, mais il est peut-être un peu tôt pour le dire car ce n’est pas fini ».

Géraldine Langlois

L’expertise des infirmières hygiénistes se déploie dans les Ehpad

« L‘épidémie de Covid-19 a mis en évidence la très grande plus-value pour les Ehpad de disposer de la compétence des infirmières hygiénistes en matière de prévention et de prise en charge du risque infectieux », a indiqué l’ARS de Bretagne début décembre 2020, quand elle a annoncé le déploiement d’équipes mobiles d’hygiène (EMH) dans tous les Ehpad de la région.

Pour Pascale Chaize, « les besoins sont criants dans les établissements médicosociaux » où travaillent beaucoup de personnes qui n’ont pas de formation sanitaire. Certaines régions en ont pris conscience plus tôt que d’autres du besoin d’EMH. Ainsi, selon elle, « 100% des Ehpad de la région Auvergne-Rhône-Alpes sont couvertes » par une EMH.

Le rapport que le ministère de la Santé a demandé à la SF2H sur les éléments clé d’un programme de pratique avancée infirmière en prévention et contrôle de l’infection en ville et dans les secteurs hospitalier et médicosocial préconisera que ce soit le cas sur tout le territoire. Le hic : le financement de ces équipes n’est pas pérenne et peu d’infirmières sont tentées de suivre un DU d’hygiène sans être sûres de pouvoir exercer plus de trois ans (la durée d’une convention).

Besoins criants

Valérie Legrand, infirmière hygiéniste, travaille à mi-temps à l’hôpital de Paimpol (Côte-d’Armor) et à mi-temps pour une des équipes mobiles de la filière hygiène du groupement hospitalier de territoire d’Armor. Cette filière est issue de la Fédération interhospitalière en hygiène qu’elle a créée à partir de cet hôpital et qui s’est ouverte à quinze structures médicosociales en 2013. Cinq établissements sanitaires et quarante Ehpad et résidences autonomie (public et privés) seront concernés en septembre, pour cinq ans. « La crise de la Covid a accéléré les choses sur le territoire », observe l’infirmière. L’équipe, dont elle était, au début, la seule infirmière hygiéniste, comptera 4,5 équivalent temps plein (ETP) d’infirmière hygiéniste et un praticien hygiéniste deux jours par mois.

Pendant la crise sanitaire, Valérie Legrand a travaillé uniquement auprès des Ehpad : ceux du réseau mais aussi des établissements extérieurs qui avaient besoin d’appui. Les problématiques liées à l’hygiène et à la prévention des infections ont explosé dans l’accompagnement des résidents, leur prise en soin, les visites, les repas ou le circuit du linge. 

Nouveaux réflexes

L’infirmière a constaté que les structures qui avaient déjà développé et formalisé une démarche en hygiène et en prévention des infections avaient été moins en difficulté que les autres. Dans les premiers, quand l’épidémie est survenue, l’infirmière hygiéniste avait déjà finalisé le document d’analyse du risque infectieux (DARI) qui évalue les actions menées et à mener, accompagné de la rédaction de protocoles et formé les équipes sur de nombreux points. Dans les seconds, il a fallu parer à l’urgence. 

Bientôt des IPA (Infirmière en Pratique Avancée) en prévention et contrôle de l’infection ?

La SF2H préconise depuis plusieurs années la création d’un domaine de pratique avancée infirmière en prévention et contrôle de l’infection (PCI) que les infirmières hygiénistes pourraient tout à fait investir. Le récent rapport Pittet sur l’évaluation de la gestion de la crise sanitaire le propose également, pour « renforcer, au-delà̀ du corps médical, l’expertise » dans ce domaine.

Cette pratique avancée pourrait comprendre des consultations et le suivi de patients sous antibiothérapie au long cours, la prescription d’examens de dépistage en microbiologie ou des précautions complémentaires concernant l’isolement ou la pose de cathéters midline pour les antibiothérapies au long cours, mais aussi la recherche et l’enseignement.

La crise sanitaire, souligne Nouara Baghdadi, cadre de santé et administratrice de la SF2H, a prouvé que certaines compétences de infirmières hygiénistes étaient « indispensables dans la gestion des risques infectieux émergents ». Le sujet est entre les mains du ministère de la Santé.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°41 d’ActuSoins Magazine (juin 2021). 

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