Depuis plus de 20 ans, la « maison accueillante » en Seine-Saint-Denis accompagne des femmes vulnérables en provenance d’Afrique subsaharienne atteintes du VIH. Objectif : leur redonner autonomie et estime de soi en prenant en compte leur langue et leur culture. Mais surtout en faisant preuve d’écoute et de bienveillance. Cet article est paru dans le n°36 d’ActuSoins Magazine (mars 2020). Il a été rédigé avant le début de la crise sanitaire, ndlr.
Les locaux de l’association Ikambere sont coincés sur un bout de terrain dans une zone industrielle à Saint-Denis, en Ile-de-France, entre deux routes très fréquentées.
Une fois dans les locaux : changement de décor et d’atmosphère. Des odeurs de cuisine chatouillent agréablement le nez, le sourire et l’accueil des permanentes de l’association réchauffent le corps et le coeur.
Bienvenue à à la bien-nommée Ikambere, « maison accueillante » en Kinyarwanda (une langue du Rwanda).
Dans la grande salle principale, plusieurs femmes discutent entre elles. Dans la cuisine attenante, d’autres s’activent pour la préparation du déjeuner aux saveurs africaines. Au menu de ce jour de décembre ensoleillé : salade de crudités, poulet braisé accompagné d’ignames et de petits légumes. Rien d’exceptionnel puisque Ikambere propose tous les jours aux femmes accompagnées un repas complet, bienvenu pour beaucoup d’entre elles qui vivent dans des situations de grande précarité.
D’autant plus, qu’elles sont toutes porteuses du VIH. « Il est important que les personnes sous traitement antirétroviral mangent de façon équilibrée », souligne Aminata Sinon, coordinatrice prévention santé et permanences hospitalières de l’association.
Sans tabou, ni jugement
Au quotidien, ce sont entre trente et quarante femmes, dont une majorité en provenance d’Afrique Subsaharienne, qui se rendent dans les locaux d’Ikambere, après y avoir été orientées par une assistante sociale. « Alors que ces personnes sont arrivées en France pensant y trouver la vie et échapper à la misère, elles se découvrent séropositives. C’est le choc », explique Marie-Jeanne, médiatrice santé à Ikambere.
L’association fait en sorte qu’à ce choc ne s’ajoutent pas la honte et l’isolement.
Le déjeuner quotidien est au coeur de l’accueil et de l’action de l’association. C’est un moment convivial fait d’échanges où les langues se délient. Sans tabou, ni jugement. « 95% d’entre elles taisent leur maladie à leurs proches. Cette maladie fait toujours peur. Elle est associée à une mauvaise vie ou une punition divine. En être atteint pour provoquer l’exclusion et le rejet », précise Aminata Sinon. Ici, elles peuvent partager leur vécu, se donner des conseils et reprendre espoir.
Ces repas sont aussi pour les cinq médiatrices santé de l’association, l’occasion de voir régulièrement ces femmes et d’évaluer leur santé. « Si on s’aperçoit que l’une perd du poids par exemple, on va lui demander si elle va bien, si elle prend correctement son traitement, si elle souffre d’effets secondaires », explique la coordinatrice santé.
L’association est née en 1997 sous l’impulsion de l’anthropologue Bernadette Rwegera, bouleversée par l’ampleur de l’épidémie du sida en Afrique dans les années 90. Ici les personnes sont prises en compte dans leur globalité et elles sont accompagnées dans l’accès à leurs droits en matière de soins, de logement, d’emploi.
Ikambere est ainsi un lieu où les femmes peuvent pratiquer des activités physiques, prendre des cours d’informatique ou de couture, participer à des actions de prévention en santé, d’éducation thérapeutique ou encore de prendre soin d’elles avec la socio-esthétique. « Notre objectif est qu’elles vivent mieux, qu’elles soient bien dans leur tête et dans leur corps. Sans oublier le VIH pour autant. Nous travaillons à ce qu’elles deviennent autonomes, actrice de leur santé et qu’elles retrouvent confiance en elles », insiste la coordinatrice santé.
Permanences hospitalières
Le travail d’Ikambere ne se limite pas aux murs de l’association.
Outre leur intervention dans des foyers de migrants et différents lieux de St-Denis pour informer, sensibiliser sur les infections sexuellement transmissibles et proposer des dépistages du VIH, les médiatrices santé se rendent toutes les semaines dans onze hôpitaux franciliens pour aider les personnels de santé avec ces patients. Ces permanences hospitalières sont nées en 2001, à la demande d’un médecin, face au nombre croissant de patients atteints par le VIH, en provenance d’Afrique subsaharienne.
« Il ne savait pas comment expliquer à ces patients la maladie et le traitement à suivre, explique Aminata Sinon. Il fallait des Africains pour parler à des Africains ». Pour Corinne Elia, infirmière au service maladies infectieuses de l’hôpital Delafontaine en Seine-St-Denis depuis 2003, cette médiation « facilite la prise en charge de ces patients ».
Pour une question de langues d’abord : ces patients ne parlent pas tous ou suffisamment bien le français. « A l’annonce de la maladie, nous leur communiquons beaucoup d’informations. Cela peut être très lourd […]. Cela les rassure qu’une personne parle leur langue », explique l’infirmière.
Il s’agit aussi de prendre en compte leur culture et croyances pour déconstruire leurs représentations du VIH et in fine leur faire accepter leur séropositivité et mieux les impliquer dans leur traitement. « Le VIH est considérée comme une maladie “ de papier”. Elle ne se voit pas et le corps ne le dit pas, explique la coordinatrice santé d’Ikambere. Seul un papier médical en atteste. En revanche, le traitement antirétroviral provoque, lui, des effets secondaires, des diarrhées, une perte de poids… Dans ce cas, c’est le médicament qui rend malade alors qu’il est censé guérir ». Ce qui va à l’encontre de ses effets attendus.
Bien moins anecdotique qu’il n’y paraît, durant ces permanences hospitalières, l’association prévoit un « soutien nutritionnel » pour les patients qui refusent de manger les plats servis à l’hôpital en leur apportant les mets qu’ils aiment. « Au bout de trois repas africains, réhabitués à manger, ils acceptent la nourriture de l’hôpital, constate Aminata Sinon. Nous travaillons en amont pour faire accepter les repas français et leur expliquer que ces repas sont équilibrés et qu’ils en ont besoin ».
« Le travail d’Ikambere est complémentaire du nôtre », résume Corinne Elia. Avec des résultats tangibles. « Certaines qui ne parlaient pas du tout français arrivent à dire quelques mots et à se faire comprendre au bout d’un moment », précise l’infirmière. Au point de réussir à se rendre seules en consultation à l’hôpital, sans une personne de l’association pour les accompagner.
Finalement, entre les permanences hospitalières et les activités proposées dans ses locaux, l’association permet « à ces femmes de rencontrer d’autres femmes, à des stades différents dans leur cheminement de vie. Ikambere leur redonne le goût de vivre, l’envie de se battre et de réaliser de nouveau des projets », analyse l’infirmière. C’est certainement pour toutes ces raisons qu’entre elles, les femmes appellent l’association : « le village ».
Alexandra Luthereau
Ikambere, la maison qui relève les femmes a paru aux Éditions de l’Atelier, en novembre 2019.Écrit par Annabel Desgrées Du Loû, directrice de recherches à l’Institut des migrations et illustré par Jano Dupont, cet ouvrage restitue le quotidien au sein de l’association, les moments forts qui rassemblent les femmes et le travail de toute l’équipe d’Ikambere. Les droits d’auteur du livre sont versés à l’association.
Cet article est paru dans le n°36 d’ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2020)
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