Le goût amer des chocolats

Le goût amer des chocolats

Il s'est éteint le lendemain de Noël, comme une bougie sur une table de fête. Rangées les belles assiettes, finie la dinde, oubliés les chants de Noël et les cadeaux. Les chocolats avaient un goût amer ce matin.

bougieSa famille s’était rassemblée à son chevet pour l’accompagner dans ses derniers instants. Ses enfants avaient fait des kilomètres pour venir le voir. Ils se doutaient que la fin était proche. Depuis plusieurs jours, son état déclinait. Le service de soins palliatifs avait été appelé.

Le jour de Noël, Il a mangé quelques huîtres, bu une gorgée de champagne alors ses proches y croyaient encore un peu. Le miracle n’a pas eu lieu. Il est parti au petit matin, entouré de sa femme et de ses enfants.

Seulement voilà, le lendemain de Noël et de surcroît un samedi, trouver un médecin est une tâche bien difficile. Les rares qui exercent dans nos campagnes ne travaillent pas les samedis matins. De plus, la garde médicale ne commence qu’à 14 heures donc impossible de savoir avant l’heure fatidique qui arpentera les chemins ! Il ne vaut mieux pas avoir besoin d’un avis médical le samedi avant 14 heures, alors un certificat de décès n’en parlons pas ! C’est bien cela le problème, la mort n’est plus une urgence.

Personne ne répondait aux appels téléphoniques de l’épouse de notre monsieur qui quelques instants après son décès était contrainte de passer un temps infini au téléphone ; ni le SAMU, ni les soins palliatifs, ni le service qui le suivait, personne ! Heureusement, un médecin remplaçant appelé en dernier recours s’est déplacé. Combien de temps aurait attendu cette famille en détresse s’il n’était pas venu ? Le désert médical de notre belle campagne progresse de jour en jour. Il est d’autant plus présent au moment des fêtes de fin d’année. Combien de temps va-t-on laisser les gens mourir chez eux, sans accompagnement ? Combien de temps va-t-on accepter qu’une famille endeuillée se dépatouille seule, à côté du corps sans vie ?

Ce monsieur voulait finir ses jours chez lui. Il a pu le faire parce que sa femme et ses enfants étaient très présents. Mais qu’en est-il des prochains, quand le service de soins palliatifs se trouve à plus de cinquante kilomètres, quand les médecins se font de plus en plus rares, quand les pathologies sont de plus en plus lourdes et les personnes de plus en plus seules ? Ils ne pourront sans doute pas rester chez eux s’ils le souhaitent. Oubliée leur maison, oubliés les champs autour et le petit étang qu’ils aiment tant. Au lieu de cela, ce sera la pâle lumière d’une chambre d’hôpital et ce sera là-bas qu’ils pousseront leur dernier souffle.

L’exaltation de Noël a laissé place à un sentiment d’impuissance et de tristesse. Pas de la colère mais une inquiétude quant au devenir de nos patients à domicile. On nous rabâche à longueur de journée, que les hospitalisations sont plus courtes, que les gens doivent rester chez eux le plus longtemps possible mais est-ce réalisable ? Rangées les belles assiettes, finie la dinde, oubliés les chants de Noël et les cadeaux, les chocolats ont désormais un goût bien amer.

La petite infirmière dans la prairie
http://lapetiteinfirmieredanslaprairie.over-blog.com

Ce billet a été publié le 27 décembre 2015. ActuSoins remercie la petite infirmière dans la prairie pour ce partage. D’autres articles – des tranches de vie, des réflexions,…- à lire (presque tous les jours) sur son blog la petite infirmière dans la prairie.

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Une réaction

  1. Ide en zone rurale…..j’ai pas l’impression qu’en ville à partir du vendredi 12h ou 16h les médecins soient plus présents qu’en campagne…..J’ai participé à un accompagnement de fin de vie en ville,j’ai vraiment trouvé ça catastrophiques !!!!!

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