Cet après-midi de juin, comme quatre fois par semaine, un atelier, disons original, se tient au niveau inférieur de la belle bâtisse bourgeoise du Relais Jeune de Sèvres (groupe Clinea) un hôpital de jour destiné aux adolescents avec des troubles de la santé mentale.
Dans la salle ornée d’affiches de jeux vidéo, équipée d’ordinateurs et de manettes de consoles, Rémi et quatre jeunes parlent de frame, attaques, Unity, random, arborescence etc. Comprenez, les adolescents travaillent sur la création de leur propre jeu vidéo avec l’aide d’un développeur professionnel… Alors même que ces jeunes souffrent d’addiction aux jeux vidéo. Bienvenue à l’École des héros.
Ce programme, conçu par Michaël Stora, est bien moins paradoxal qu’il n’y paraît. C’est que le psychologue connaît bien le sujet. Pendant douze ans, il a reçu en consultation des jeunes « qui ne font plus que jouer aux jeux vidéo ». Leur profil et leur parcours sont à chaque fois sensiblement les mêmes : ce sont des garçons à 99 %, avec un haut potentiel intellectuel (HPI), souffrant souvent de phobie sociale et/ou scolaire. Certains sont atteints d’un trouble autistique de type Asperger.
Après avoir été d’excellents élèves sans travailler, des difficultés apparaissent au collège. Un prof néfaste, une situation de harcèlement, un début d’échec scolaire… et c’est l’effondrement. Ils décrochent, ne vont plus en cours et s’enferment dans leur chambre. Le jeu vidéo devient alors un « refuge du monde réel, celui-ci étant fait d’échecs, explique Michaël Stora. L’addiction est alors une façon mortifère de se soigner. Une lutte antidépressive ».
Faire de leur passion une alliée
Constatant les limites de la psychothérapie auprès de ces jeunes et les conséquences possiblement néfastes sur eux d’une hospitalisation pourtant nécessaire, il réfléchit à un dispositif alternatif.
En tant que pionnier de l’utilisation des jeux vidéo comme outil thérapeutique dès les années 90 et auteur d’ouvrages sur la manière dont les jeux vidéo peuvent “soigner”, la solution est toute trouvée. « Faire de la passion qu’ont ces jeunes pour les jeux vidéo une alliée plutôt que la cause de tous leurs maux, sachant que les patients ne souffrent pas des jeux vidéo en tant que tels mais de mal y jouer, c’est-à-dire trop, détaille Michaël Stora. L’addiction n’est qu’un symptôme parmi d’autres comme le handicap social », précise-t-il.
Marine Urvoy, infirmière coordinatrice du pôle ambulatoire de la clinique abonde : « On utilise leur attirance pour le numérique pour les aider. En fait, cette façon de faire paraît évidente », argumente-t-elle soulignant l’intérêt d’utiliser des outils faisant partie du paysage culturel de ces adolescents.
Concilier apprentissages et soins
L’École des Héros a ouvert ses portes début 2020. Après une première phase d’expérimentation, le programme est accueilli au Relais Jeune de Sèvres qui a mis en place une équipe dédiée.
Si cela peut rebuter certains jeunes que le programme soit installé dans un établissement, « c’est la condition pour que ce soin soit pris en charge par l’Assurance maladie », insiste le psy gamer.
Car il s’agit bien d’un soin à visée thérapeutique. « Ici notre objectif est d’amener le jeune dans le soin et la reprise des apprentissages. Cela rappelle un peu des dispositifs existants comme les soins-études, détaille Marie-Eline Guillet-Nicaisse, psychologue-clinicienne et coordinatrice de l’École des Héros. Concilier apprentissage et soins, c’est aussi une manière de déstigmatiser le soin et de renforcer l’alliance thérapeutique ».
Au programme, tous les après-midis, les adolescents participent à des ateliers de graphisme ou de codage de jeux vidéo, animés par des professionnels du secteur. La pédagogie utilisée rompt avec le système scolaire classique pour être adaptée à leurs besoins spécifiques. À l’École des héros, il n’y a pas de sanction, de note ni d’obligation de présence physique.
Si un socle de connaissances commun est enseigné, les jeunes ont la possibilité d’explorer des points précis, en fonction de leur projet de jeu et de leurs idées. « Les jeunes sont responsabilisés dans le développement de leur jeu et les relations avec les intervenants sont horizontales », souligne Rémi Pascolo, l’enseignant en codage.
Pour faciliter encore la tenue de ces ateliers de trois heures en groupe, des psychologues stagiaires sont présents. « Si certains éprouvent de l’anxiété par exemple, nous allons discuter avec eux pour les aider à la surmonter. Mais cela était surtout vrai au début du cursus, aujourd’hui c’est moins nécessaire. Nous assurons surtout une présence rassurante, aussi bien pour les jeunes que pour les intervenants », commente Maximilien Godard, qui assiste aux ateliers depuis novembre 2020.
Objectif : sortir les jeunes de l’isolement
Mais l’objectif de ce programme n’est pas uniquement pédagogique. « Il s’agit aussi de sortir ces jeunes de leur isolement, de leur permettre de recréer du lien social et de se projeter de nouveau dans l’avenir », précise-t-elle. En somme, « ils ne sont pas là pour réaliser le meilleur jeu vidéo du monde. Mais pour aller mieux », résume Rémi Pascolo, l’enseignant.
Pour cela, les matinées sont consacrées à la « balance thérapeutique ». Ils vont travailler sur eux en groupe à l’aide d’ateliers thérapeutiques, encore une fois liés au jeu vidéo, ou de plateaux, animés par Marie-Eline Guillet-Nicaisse, spécialisée en médiation par le jeu vidéo.
« Avec ces ateliers, on les amène à redevenir acteur de leur vie, à réfléchir sur eux-mêmes avec les autres. Il s’agit de les “faire sortir de leur zone de confort” comme ils le disent eux-mêmes. Et les amener à se confronter à leur réalité interne, c’est-à-dire leur propre souffrance, et aux conflits qui les traversent. Tout comme nous cherchons à les confronter à la réalité externe soit le monde extérieur. Sachant qu’en s’isolant, ils sont en arrêt dans le temps, ils s’inhibent, ils taisent toute souffrance ou tout conflit », détaille-t-elle.
Vers de nouveaux outils
Cela dit, les participants au programme de l’École des héros ont peu à peu décroché des ateliers au cours du cursus, des ateliers auxquels participent également les adolescents suivis par le Relais Jeunes. « Les jeunes qui jouent beaucoup la nuit ont du mal à se lever le matin. Ils ont aussi des difficultés avec les autres jeunes qui souffrent de problématiques différentes des leurs », précise l’infirmière coordinatrice. Le programme est récent et tout n’est pas encore parfaitement rôdé.
« Nous sommes toujours en train d’innover », commente Marie-Eline Guillet-Nicaisse. Celle-ci réfléchit déjà à la mise en place de nouveaux outils pour la prochaine rentrée : un groupe de parole entre jeunes, un autre dédié aux parents, des ateliers twitch et youtube, etc. De son côté, Michaël Stora aimerait également doubler voire tripler les effectifs. « ll y a beaucoup de demandes pour l’école. Les confinements successifs ont amplifié le phénomène », justifie-t-il.
En attendant, les premiers résultats positifs de ce programme sont déjà perceptibles. « Ils ont des horaires, cela les rythme. Pour venir aux ateliers, ils doivent se lever, se préparer, venir jusqu’au Relais. Ils créent des liens avec d’autres jeunes pendant les ateliers et les moments de pause, détaille l’infirmière. Certains ont repris confiance en eux. Pierre (l’un des jeunes du programme, ndlr) fait désormais l’école à l’hôpital depuis avril 2021. L’an prochain, il sera en programme adapté. D’autres, ont repris des activités en dehors. Des choses se réamorcent », énumère l’infirmière.
Pour Hugues Lefebvre, le père d’un des élèves-patients, l’École des héros transforme ces jeunes : « Cela les rend à la vie ».
Alexandra Luthereau
Cet article a été publié dans le n°41 d’ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2021)
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