Crise sanitaire : un impact majeur sur la formation des infirmiers

Crise sanitaire : un impact majeur sur la formation des infirmiers

La crise sanitaire a eu bien des conséquences sur l’organisation des soins au sein des établissements hospitaliers comme en libéral. Et le temps dédié à la formation n’a pas été épargné. Face à un arrêt total, puis une reprise en distanciel, tous les acteurs se sont mobilisés et ont adapté les contenus.  

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°42 d’ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2021). Il est à présent en accès libre. 

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Crise sanitaire : un impact majeur sur la formation des infirmiers
© M.Surbled / ActuSoins

« Pendant la première vague, toutes les formations institutionnelles, organisées au sein de l’établissement avec des formateurs extérieurs ont été annulées », rapporte Pascale Sontag, cadre de santé au sein du Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard à Lyon.

Même constat pour Chrystelle Croitor, cadre de santé au sein de l’Unité de soins prolongés complexes (USPC) de l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP) : « En raison du plan blanc, toutes les formations ont été annulées par nécessité de service. ».

Des formations liées à la Covid

Exit formations et congrès, afin également d’éviter toute prises de risque et contaminations. Les seules formations maintenues et qui ont même parfois été organisées en urgence, sont celles qui concernaient directement la prise en charge des patients atteints par la Covid-19 et le respect des mesures barrières ainsi que des gestes d’hygiène.

« Au sein de l’USPC, nous avons proposé aux infirmières qui le voulaient des formations aux gestes d’urgence ou à la réanimation pour devenir réservistes pour le secteur réanimation au sein de l’AP-HP », indique Chrystelle Croitor. Certaines Agences régionales de santé (ARS) ont même demandé l’organisation de formations en réanimation. « Nous avons eu l’injonction, au sein de l’Institut de formation interhospitalier Théodore Simon, de mettre en place assez rapidement des formations courtes d’initiation à l’exercice infirmier en réanimation pour répondre aux besoins du territoire, explique Christophe Debout, infirmier anesthésiste, cadre de santé et formateur. Idem pour la formation de préleveurs pour les tests PCR. Ces formations visaient à réagir à l’urgence de la situation. »

Du côté des libéraux, « aucune formation en lien avec la Covid-19 n’a été financée par l’Agence nationale du DPC ou par le Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIF-PL), indique Marcel Affergan, directeur d’Orion Santé qui s’adresse principalement aux infirmiers libéraux (idels). Pourtant, ils étaient les premiers concernés avec les tests PCR, la visite domiciliaire ou encore la vaccination. » Orion Santé a malgré tout proposé des formations à titre gratuit pour réactualiser les connaissances des idels, dans le cadre de la Covid.

« Si nous avons eu l’interdiction totale de proposer des formations prises en charge, en lien avec la Covid, c’est parce que, d’après les explications que nous avons obtenues, les informations liées à la Covid étaient trop mouvantes et variantes », confirme Caroline Guillot de Suduiraut, directrice de la communication de La Formation Santé, qui ne s’adresse qu’aux libéraux et a toutefois proposé des formations en lien avec le télésoin.

Pour aller plus loin : formation DPC pour infirmier et infirmière

 

La mise en place du distanciel

Les organismes de formation ont également, de leur côté, subi la crise… Du moins, dans un premier temps. Car très rapidement ils ont dû et su s’adapter pour faire face à toutes les annulations des formations de la part les établissements hospitaliers et des structures de prises en charge.

Pour envisager une reprise des formations après les vagues successives de la Covid-19, ils ont misé sur le distanciel avec le e-learning, les webinaires et les visioconférences. « Pour que nos formations soient prises en charge, nous avons dû redéposer les programmes à l’Agence nationale du développement professionnel continu (DPC) », souligne Sylvie Cleyet-Sicaud, responsable commerciale de Pôle Formation Santé, organisme de formation pour les libéraux ainsi que les établissements médico-sociaux, sanitaires et de services à la personne. Une formalité obligatoire pour dispenser les formations.

L’Agence nationale du DPC a d’ailleurs été très vigilante à l’adaptation des outils et de la méthodologie au distanciel. « Il n’y a pas toujours eu beaucoup de bienveillance de la part des organismes financeurs, regrette le directeur d’Orion Santé. La durée du temps de présence des personnes formées, le temps de connexion pour valider la formation, les formalités administratives, tout était relativement compliqué. »

De nombreux organismes dispensaient déjà des formations en distanciel avant la crise mais pas à une telle échelle. « Nous avons un pôle e-learning depuis une dizaine d’années et nous avons donc essayé de transposer toutes les formations possibles en distanciel », indique Patricia Minssieux, directrice générale du Grieps, organisme de formation auprès des professionnels de santé. « Les contenus restent similaires, ajoute Olivier Miche, président et responsable recherche et développement. La difficulté porte surtout autour de la transformation de l’outil pédagogique. »

Healico application

La Formation santé « a proposé encore plus de visio-conférences pour apporter une réponse aux difficultés de déplacements et à la masse de travail supplémentaire qu’ont dû absorber les soignants », rapporte Caroline Guillot de Suduiraut. Et de reconnaître : « C’était tout de quand même compliqué à mettre en place car notre ADN, c’est le présentiel. Et puis, si au départ, la visio a séduit tout le monde par son aspect novateur, rapidement, les soignants ont regretté le présentiel et les interactions qu’il permet. »

Les inconvénients du distanciel

Aujourd’hui, les formations ont repris mais nombreux sont les soignants à préférer attendre le retour du présentiel pour s’inscrire [article paru en septembre 2021, ndlr]. « La formation, c’est aussi un moment pour rencontrer d’autres personnes, rappelle Chrystelle Croitor. Nous avons besoin de nous voir, de nouer des relations. »

« L’intérêt des formations, c’est aussi de créer du lien social, abonde Laurence Camacho, cadre de Santé et formatrice à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du CHRU de Tours. Elles sont utiles pour que les agents puissent retrouver un réseau, recréer le lien physique que l’on avait perdu, échanger sur le ressenti de chacun. »

La visio a aussi des contraintes en termes d’apprentissage, notamment en ce qui concerne l’attention. Le risque majeur, derrière l’ordinateur, c’est de faire autre chose, en même temps. Si les équipes ont su rebondir et modifier les outils pédagogiques, dans certains cas, le format plus ou moins imposé par la situation sanitaire n’a pas toujours été adopté avec conviction.

« Nous avons essuyé des refus de formation en visio car certains établissements pensaient qu’elles seraient de moins bonne qualité, souligne Mathilde de Stefano, directrice de l’organisme de formation AFAR, dédié aux professionnels de santé, majoritairement infirmiers hospitaliers ou en structures médico-sociales, avec une spécialisation en psychiatrie. Il nous a fallu parfois convaincre les établissements que nous pouvions adapter nos pédagogies. » Un point de vue qu’elle entend néanmoins puisqu’en psychiatrie notamment, le présentiel permet, dans le cadre des jeux de rôle, d’analyser les réactions non verbales.

Les établissements ont malgré tout dû adopter le mode distanciel, au risque de ne pas pouvoir former leurs agents. Mais certains ont tout de même annulé des formations, en raison de l’indisponibilité des soignants pour se former, de problèmes informatiques, de manque de matériels, de problèmes de connexion, voire parfois du fait d’une résistance forte au distanciel de la part des soignants. Pour certains, il est synonyme de déshumanisation alors qu’eux-mêmes exercent un métier centré sur l’humain.

Bien entendu, pas question sur le long terme de basculer sur du 100 % distanciel. Aujourd’hui, ce nouveau format peut être perçu comme un complément avec un côté ludique qui, dans certains cas, permet, grâce à des quizz par exemple, de mieux intégrer des informations. Le modèle mixte aurait donc de beau jour devant lui. D’ailleurs, sur le terrain, cela se ressent déjà.

« Sur le DU réanimation urgence et salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI), alors que nous étions exclusivement sur du présentiel, aujourd’hui, dans la reprogrammation, le modèle mixte a été adopté », rapporte Christophe Debout. Et de poursuivre : « En regardant les contenus, les objectifs et les acquisitions visées, nous n’avons aucun argument, si ce n’est l’habitude, pour dire que le présentiel est mieux. Ce sont les évaluations qui nous diront si le choix était opportun. »

Management de crise, coordination : de nouveaux besoins en formation

La crise n’a pas seulement eu une incidence sur l’organisation des formations. Les thématiques ont, elles aussi, été impactées. La crise sanitaire a été révélatrice de nombreux besoins de la part des professionnels de santé et les organismes de formation ont su s’adapter.

« Lors du premier confinement, nous avons mené une étude auprès des directeurs d’établissements pour connaitre leurs difficultés, leurs besoins, ce qui nous a permis d’anticiper et de proposer un certain nombre de nouvelles formations », souligne Anne Robin, responsable du département Formation d’Armonis, un organisme spécialisé dans le sanitaire et le médico-social. Celui-ci a retravaillé ses offres entre mars et juin, pour les directeurs et les infirmières de coordination (idec), en organisant des groupes de travail avec différents formateurs pour croiser les regards et co-construire un programme en fonction de l’expertise de chacun.

L’une des premières thématiques qui est ressortie concerne le management et la gestion de crise. L’organisme offre désormais une formation permettant de donner des outils pour savoir traverser une crise. Il propose également une formation pour développer sa capacité à travailler en équipe car « nombreux ont été les directeurs à nous dire qu’il y aurait un avant et un après crise et que les idecs allaient être confrontées à des difficultés, au sein des équipes, entre les agents qui ont été sur le front et ceux qui ont arrêté de travailler, indique Anne Robin. Afin d’éviter que la crise n’impacte la dynamique d’équipe, nous dispensons cette formation sur la capacité à faire et à être ensemble. »

Armonis offre aussi une formation pour « s’adapter au changement » car dans le contexte de la crise sanitaire, « les missions mentionnées dans les fiches de poste ont beaucoup varié », constate Anne Robin. L’objectif est donc de former à l’adaptabilité et à l’agilité au quotidien, car « il est essentiel, lors d’une crise, de savoir sortir de sa zone de confort pour réadapter son organisation et ses pratiques », estime-t-elle.

Chez l’AFAR une formation sur ce thème a aussi été mise en place « car depuis l’année dernière, les nombreux départs dans les services ont entraîné des glissements de tâches entre les professions, observe Mathilde de Stefano. Nous avons donc des demandes pour former des infirmiers à certaines thématiques qu’ils n’ont pas l’habitude de traiter. »

« Nous avons reçu des demandes sur l’accompagnement à la réflexion éthique pluriprofessionnelle en établissement », indique Sylvie Cleyet-Sicaud. Et d’expliquer : « Les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) notamment, appliquent des chartes de bienveillance et de posture. Or, la privation de liberté qui a eu lieu pendant la crise a pu être difficile à gérer pour certains soignants. » L’objectif de cette formation est de parvenir à trouver une cohérence, une donnée acceptable tout en étant dans des postures de privation vis-à-vis des résidents.

Prendre soin des soignants

Autre besoin déjà présent avant la crise mais qui s’est manifesté encore plus pendant et depuis : la nécessité de prendre soins des soignants. « Nous avons développé une formation sur la prévention de la santé des salariés qui porte sur l’épuisement professionnel et les risques psychosociaux, informe Anne Robin. Elle s’adresse principalement aux cadres afin qu’ils réalisent de la prévention au sein des équipes. »

Pôle formation santé a aussi développé des formations sur le prendre soin des soignants, « afin de savoir repérer les situations à risque en amont, indique Sylvie Cleyet-Sicaud. C’est d’autant plus important que les facteurs de protection reposent sur de l’organisationnel et sur l’identification de solutions externes. »

C’est l’occasion de parler de la juste présence envers les patients et de comment prendre soin de soi pour prendre soin des autres. « Nous leur donnons des outils qu’ils peuvent aller chercher mais que nous ne pouvons pas utiliser pendant cette formation car l’Agence nationale du DPC ne les prend pas nécessairement en compte », explique Sylvie Cleyet-Sicaud. C’est le cas par exemple pour la sophrologie. En revanche, des formations dédiées peuvent être suivies en parallèle.

Armonis a en outre été sollicité pour des formations sur la gestion du stress pour tout le personnel, notamment en lien avec la Covid, car des soignants ont eu de nombreux décès à gérer, tout comme, dans ce contexte, les relations aux familles. Une formation a d’ailleurs été dédiée à « comment faire face au deuil » pour accompagner les soignants submergés par la gestion de crise. Ces formations leur permettent de travailler sur l’accompagnement de la personne endeuillée en période épidémique.

Les formations sur les soins palliatifs et la fin de vie, qui existaient déjà, ont été intensifiées. C’est le cas chez Pôle formation santé, justement « parce que les décès des patients ont été nombreux, ce qui rend l’approche psychologique très importante dans cette gestion, soutient Sylvie Cleyet-Sicaud. Il s’agit d’aborder la fin de vie dans ce contexte particulier et de donner les outils aux soignants sur l’accompagnement des familles. »

Pôle formation santé a aussi vu s’accentuer la formation sur la prévention de la dépression et le suicide de la personne âgée. Et du côté de l’AFAR, les demandes de formations ont été nombreuses sur les violences intrafamiliales et conjugales ainsi que sur les risques suicidaires chez l’adolescent. « Nous avons de nombreuses demandes d’établissements spécialisés en santé mentale adulte qui sont confrontés à la prise en charge d’adolescents faute de places dans les services dédiés », précise Mathilde de Stefano.

Face à tous ces changements, certains organismes de formation prévoient de sonder de nouveau les directeurs de structures au cours du quatrième trimestre 2021, afin de réajuster leurs offres si besoin.

Laure Martin

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La formation des formateurs

Les formateurs des organismes de formation ont été les premiers concernés par la crise sanitaire, et ont, eux aussi, dû faire preuve d’adaptation. Si certains, encore en exercice et sur le terrain n’ont pas pu dispenser de formation, nombreux sont les autres à avoir suivi des formations pour savoir dispenser des enseignements en distanciel.

« Nos équipes étaient déjà prêtes mais il a quand même fallu s’adapter, fait savoir Marcel Affergan. Nous avons dû former nos formateurs à enseigner en classe virtuelle, ce qui n’était pas toujours simple ». « 90 % de nos formateurs ont été favorables à suivre une formation que nous leur avons proposé sur la base du volontariat », indique pour sa part Sylvie Cleyet-Sicaud.

« Les ingénieries de formation ont été pensées et repensées »

Catherine Prigent, cadre supérieur de santé, formatrice, CHU de Tours

« Pendant la crise sanitaire, tous les services se sont mobilisés pour accompagner les professionnels sur le terrain. Les départements d’hygiène ont fait des supports vidéo sur le lavage des mains et l’habillage/déshabillage. Les services de réanimation ont construit des tutoriels pour l’intubation en “vase clos”. Des temps d’informations ont été assurés par les médecins impliqués dans la vaccination des professionnels, là aussi souvent en appui de visioconférences enregistrées.

L’investissement des directions a permis aux soignants d’être très régulièrement informé soit par un bulletin hebdomadaire, soit par des vidéo d’informations. Il y aussi eu des campagnes d’affichage sur les circuits, les horaires d’ouverture des centres de vaccination et les autorisations des visites.

Concernant les étudiants et les professionnels en formation dans les instituts de formation, le distanciel s’est imposé à tous. Les ingénieries de formation ont été pensées et repensées pour se faire en visioconférence synchrone ou asynchrone. Il a fallu accompagner les étudiants, souvent isolés. Des temps dit “baromètres” ont été planifiés pour échanger sur les histoires de vie et de formation.

Il a fallu accompagner les intervenants pas toujours à l’aise avec le numérique. Certains n’ont pas souhaité intervenir, il a fallu les remplacer. Notre implication institutionnelle était notre engagement : continuer la formation, être exigeants pour ne pas brader le diplôme. J’espère que nous y sommes parvenus. »

Des lacunes chez les nouveaux diplômés

L’une des craintes des établissements de santé est d’être confrontés, d’ici les prochains moins aux « lacunes » des infirmiers nouvellement diplômés, qui n’ont pas pu suivre leur formation initiale dans des conditions optimales. « La crise a eu un impact important sur la formation des ESI ou des aides-soignants, rappelle Pascale Sontag. De nombreux cours se sont déroulés en visioconférences et des stages n’ont pas été effectués dans leur intégralité. Certains n’ont même pas du tout eu lieu. Cela risque d’avoir des conséquences sur l’apprentissage. »

« Nous avons accueilli dans notre service, poursuit-elle, des stagiaires en pratique avancée qui n’avaient pas pu effectuer leur stage de première année en raison de la crise sanitaire. Elles avaient beaucoup de crainte et de peur car elles se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas acquis certaines connaissances. » Face à cette situation, le tutorat s’en trouve d’autant plus renforcé.

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