
« Si les nécessités d’assurer la continuité du service l’imposent, le chef d’établissement peut modifier la répartition des horaires de travail d’un agent ».
Voilà un extrait qui revient souvent dans le décret [1] relatif au temps et à l’organisation du travail de la fonction publique hospitalière… et qui arrange bien les directions en leur permettant de rappeler les soignants n’importe quand et n’importe comment. Et ce, malgré tout ce qui légifère le rythme de travail et les heures supplémentaires.
« C’est simple, le planning est adapté aux besoins du service et non aux droits de l’agent » regrette Nathalie Depoire, présidente de la Coordination Nationale Infirmière. Alors que la loi n’autorise pas plus de 15 heures supplémentaires par mois [2], les soignants seraient souvent contraints d’en effectuer bien davantage, sans mettre pour autant leur hiérarchie dans l’embarras.
« L’hôpital joue avec les mots. En créant différents compteurs d’heures annexes qui n’ont aucun cadre réglementaire, il contourne le système pour que les infirmières puissent faire bien plus que ce qui est autorisé » explique la syndicaliste.
Et depuis l’annualisation – qui définit un temps de travail sur une année [3] et non sur un mois -, sur le terrain, plus que les heures supplémentaires effectuées – parfois sans récupération ni indemnisation – , c’est l’irrégularité dans les plannings qui semble gêner.
Philippe*, infirmier de nuit au Centre Hospitalier de Belfort-Montbéliar, témoigne. « J’ai fait 14 nuits en 4 mois. Puis au mois d’août, en un seul mois, j’en ai fait 16 ! Il y avait beaucoup d’absences et de départs en congés. Le problème, c’est que cela demande une organisation personnelle impossible et que ça peut entraîner des frais supplémentaires. Je paye la nounou de mes enfants au forfait. Si je fais plus d’heures, elle aussi. Si j’en fais moins, je dois tout de même la rémunérer ».
Même constat du côté de Montpellier. Sylvie est infirmière à temps partiel. Pour s’occuper de ses deux enfants, elle a pris un 80% parental. « Au mois de janvier, j’ai fait un plein temps en travaillant plusieurs dimanches consécutifs. Au mois de mai, je n’ai même pas travaillé à 40 %. Les enfants à l’école, cela ne me servait vraiment à rien » explique-t-elle.
L’annualisation en cause d’une telle irrégularité? Certainement selon Nathalie Depoire. « Cela aurait pu être positif, si le temps de travail était proratisé, si les amplitudes de repos et le rythme de travail étaient respectés. La réalité est bien éloignée de tout cela ».
Des abus de tous genres
« On est solidaire. Quand on voit les collègues surchargées, on accepte de revenir ». Christiane est infirmière depuis 30 ans, au CHU d’Aix-en-Provence. Régulièrement, elle accepte de « dépanner », au détriment de sa vie personnelle.
Jamais ne lui viendrait l’idée de se plaindre ou de se retourner contre sa hiérarchie. « Les supérieurs hiérarchiques jouent avec la corde sensible des infirmières : la conscience professionnelle. Altruistes de nature, les soignants connaissent davantage leurs devoirs que leurs droits. Pourtant, chaque infirmière pourrait aller devant le tribunal administratif en fin d’année avec son stock d’heures. Cela créerait ainsi une jurisprudence et pourrait faire évoluer les choses » explique Nathalie Depoire.
D’un point de vue légal, et même si le décret autorise beaucoup de dérives pour assurer la continuité des soins, il y des règles qui ne peuvent être contournées. « En ce qui concerne les heures supplémentaires, en général les infirmières ont gain de cause. Lorsque les agents nous demandent conseil, nous leur suggérons de solliciter leur direction, par le biais d’un syndicat ou du CHSCT. Et si ça n’aboutit pas, on pourra alors les accompagner jusqu’à la voie contentieuse », explique une juriste en droit hospitalier. « Il faudra surtout pouvoir démontrer le caractère abusif des mesures. Par exemple, si c’est toujours la même infirmière que l’on sollicite ».
Un sentiment d’injustice qui pourrait parfois être résolu par des méthodes alternatives de management, selon certains directeurs des soins. « Je suis pour un modèle participatif. Il faudrait désigner un soignant référent chargé du planning dans les services. Les infirmiers se débrouilleraient entre eux, puis feraient valider le planning par le cadre » explique J.F Zimmermann, directeur des soins du CHU de Toulouse.
A noter que les logiciels de planning, souvent mis en cause dans la gestion des heures, ne seraient en aucun cas responsables des incohérences d’emploi du temps dans les services. Et Nathalie Depoire de conclure « Un logiciel est un outil paramétrable. C’est un peu trop facile de faire porter le chapeau à un outil.»
Malika Surbled
* Afin de respecter l’anonymat, les prénoms des infirmiers interrogés ont été modifiés.
Ce que dit la loi : Extraits
[1] Décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l’organisation du travail dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
[2] Extrait de l’article 15 : Lorsque la durée du cycle de travail est inférieure ou égale à un mois, le nombre d’heures supplémentaires susceptibles d’être effectué par mois et par agent ne peut excéder 15 heures. Ce plafond mensuel est porté à 18 heures pour les catégories de personnels suivantes : infirmiers spécialisés, cadres de santé infirmiers, sages-femmes, sages-femmes cadres de santé, personnels d’encadrement technique et ouvrier, manipulateurs d’électroradiologie médicale. Lorsque la durée du cycle de travail est supérieure à un mois, ce plafond est déterminé en divisant le nombre d’heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées dans l’année par 52 et en multipliant ce résultat par le nombre de semaines que compte la durée du cycle de travail.
En cas de crise sanitaire, les établissements de santé sont autorisés, par décision du ministre de la santé, à titre exceptionnel, pour une durée limitée et pour les personnels nécessaires à la prise en charge des patients, à dépasser les bornes horaires fixées par le cycle de travail.
[3] Extrait de l’article 1 : Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées.
Article 9 : Le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail définis par service ou par fonctions et arrêté par le chef d’établissement après avis du comité technique d’établissement ou du comité technique.
Le cycle de travail est une période de référence dont la durée se répète à l’identique d’un cycle à l’autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d’heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier.
Il ne peut être accompli par un agent plus de 44 heures par semaine.
Les heures supplémentaires et repos compensateurs sont décomptés sur la durée totale du cycle. Les repos compensateurs doivent être pris dans le cadre du cycle de travail.











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