La création de cette équipe, pionnière, il y a vingt ans par les EPSM Lille-Métropole et de l’agglomération lilloise et le CHU de Lille, découle du constat que « certains citoyens, les plus démunis et souffrant de troubles de santé mentale, accédaient rarement aux soins », souligne le Dr Massimo Marsili, psychiatre et responsable médical de l’équipe. Il fallait un « dispositif » à la charnière des mondes du social et du médical : Diogène.
Le repérage des personnes constitue l’une des grandes missions de l’équipe car elles n’expriment pas de demande de soin. Huit infirmières et infirmiers à mi-temps et deux à plein temps, deux psychologues et un psychiatre à mi-temps assurent un système de veille*.
Ils cherchent à approcher les personnes « dont on voit qu’elles vivent en situation de souffrance psychique et de précarité sociale, psychologique, culturelle », précise le médecin. Des situations souvent très complexes.
Il s’agit de SDF ou de personnes en itinérance, d’exilés vivant dans des squats, de personnes vivant dans des campements de fortune… Des personnes qui vivent « des souffrances physiques et psychiques atroces, qui viennent de très loin », souligne Tony Kluziak, l’un des deux infirmiers à plein temps de l’équipe. Auprès de ces personnes, « le mot “accompagnement” revêt toute sa complexité », souligne le psychiatre.
Un travail de repérage
La veille se déroule tous azimuts. « Nous travaillons sur la base de signalements de nos partenaires, indique l’infirmier. Ils sont plus d’une cinquantaine… Nous travaillons beaucoup avec le Samu social, la CMAO (Coordination mobile d’accueil et d’orientation). Nos interactions sont quotidiennes. » Et facilitées par le fait qu’ils occupent le même étage d’un bâtiment de l’EPSM de l’agglomération lilloise, à Saint-André-lez-Lille. Les professionnels des accueils de jour, centres d’hébergement, services de soins somatiques pour les personnes très défavorisées, services d’aide aux usagers de drogues, centre d’accueil pour demandeurs d’asile, foyers de jeunes travailleurs, entre autres, peuvent solliciter l’équipe lorsqu’ils rencontrent une personne dont ils estiment qu’elle pourrait avoir besoin de l’accompagnement de Diogène.
Les huit infirmiers à mi-temps de l’équipe travaillent le reste du temps sur un secteur de psychiatrie et, durant leurs missions pour Diogène, ils font le relais entre leur secteur et le dispositif. Ils se rendent notamment dans les structures de leur secteur qui accueillent des personnes en situation de précarité.
Nadia Annouh, une des infirmières à mi-temps, passe ainsi une journée par semaine dans une structure de jour. Elle rencontre de manière informelle les personnes qui vont et viennent, seule ou avec des bénévoles ou des professionnels de la structure. « S’ils observent ou sentent que quelqu’un souffre d’un problème d’ordre psychiatrique, ils lui proposent de me rencontrer. Il peut être d’accord et venir. S’il ne vient pas, nous proposons à nouveau… »
Maraudes
Dans la journée, mais aussi très tôt le matin ou tard le soir, « nous faisons aussi des maraudes avec nos partenaires, notamment le Samu social, et nous organisons des maraudes spécifiques, toujours en binôme », ajoute Tony Kluziak. Dans les locaux des partenaires ou dans la rue, lors de ces maraudes, les soignants de Diogène vont rencontrer les personnes déjà repérées. A chaque fois, « avant d’entamer quoi que ce soit, il y a un lien à établir, poursuit l’infirmier. C’est parfois très rapide, parfois cela prend des semaines, des mois… » Donner envie de se soigner à des personnes en grand manque d’insertion, très isolées et souffrant de troubles psychiques n’a rien d’évident. Certains disparaissent du jour au lendemain…
« Si la personne nous regarde, nous écoute, et que nous pouvons échanger, c’est déjà extraordinaire, raconte Tony Kluziak. Parfois nous n’y parvenons pas. Mais pas question d’abandonner. » Si l’équipe évalue que la personne est en danger, une hospitalisation sous contrainte sera nécessaire. Massimo Marsili en a demandé « moins de dix fois en quatre ans, pour des situations très complexes », observe-t-il.
Accompagner vers le soin
Après le temps de l’évaluation de la situation psychique et celui de l’émergence de leur demande de soin, ils sont orientés vers la structure de soin la plus pertinente comme le CMP, un service ambulatoire d’addictologie, un service de psychiatrie… Une démarche qui nécessite parfois encore de desserrer les « freins institutionnels », remarque Massimo Marsili. Un délai de trois mois pour un rendez-vous en CMP risque fort de faire capoter l’accompagnement vers le soin.
Parfois la seule solution réside dans l’hospitalisation alors qu’une prise en charge ambulatoire aurait suffi. Faute de possibilité de prise adéquate, certaines personnes finissent soignées au service médico-psychologique… de la prison. L’« accordage » entre cette équipe mobile, par essence très flexible, et les rigidités du système de soins, encore très centrée sur l’hospitalisation, nécessite un travail de longue haleine, a souligné le Dr Marsili en juin 2018, lors du congrès de l’Association des équipes mobile en psychiatrie.
D’autre freins résident dans les difficultés de communication avec les personnes, dues aux troubles psychiatriques, à la désinsertion parfois très profonde mais aussi du fait de la langue : 37% des personnes accompagnées par Diogène viennent par exemple d’Afrique sub-saharienne (contre 32,9% de France). Le recours à des interprètes est souvent nécessaire.
Une équipe pour favoriser le suivi
Durant la phase d’accompagnement vers les soins, les partenaires du réseau se réunissent pour envisager des solutions, sanitaires et sociales comme un hébergement. Ensuite, explique Tony Kluziak, sauf exception, l’équipe de Diogène passe la main car elle n’est pas une équipe de soins. Les soignants ne savent pas forcément ce que deviennent les personnes ensuite : « parfois nous avons des échos », note Nadia Annouh.
Repérage, tissage du lien et accompagnement sont émotionnellement très prenants pour les soignants. Les séances de supervision leur sont très utiles.
Une autre mission de Diogène porte sur l’accompagnement d’équipes qui prennent en charge des personnes accompagnées. « Par exemple, si on oblige une personne, qui ne s’est pas lavée depuis années, à se laver en arrivant dans un service, elle risque de faire une très grosse crise, souligne l’infirmier. Alors nous prévenons les équipes en amont pour que l’arrivée de la personne se passe bien, en différant par exemple la toilette de deux jours… ». Des membres de l’équipe animent aussi des formations pour les professionnels de santé, psychiatrique ou somatique, et du secteur social.
Le succès des démarches d’accompagnement des membres de l’équipe ne s’évalue pas en termes de guérison. Le fait de créer un lien avec une personne très isolée peut déjà constituer une victoire… De même, c’est une réussite « quand, après quelques entretiens, une personne parle pour la première fois de sa souffrance », souligne Nadia Annouh, ou quand « la personne retrouve une place dans la société, avec un logement, un travail, et en plus un suivi, en CMP par exemple, qui perdure ».
Géraldine Langlois
*L’équipe compte 14 personnes (7,7 équivalent temps plein).
Cet article est paru dans le N°32 d’ActuSoins Magazine.
Il est à présent en accès libre.
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