A l’hôpital du Pôle Nord : « Ici il faut savoir tout faire »

A l’hôpital du Pôle Nord : « Ici il faut savoir tout faire »

A 1000 kilomètres du Pôle Nord, la petite équipe soignante de l'hôpital le plus septentrional de la planète soigne près de 5000 patients par an. Blessures d'ours polaires, hypothermies, avalanches et missions héliportées en haute mer, les six infirmières de Longyearbyen sont comparées à des « aventurières ».

A l'hôpital du Pôle Nord : « Ici il faut savoir tout faire »
© Axelle de Russe / La petite ville de Longyearbyen est plongée dans le noir plusieurs mois par an. L’hôpital reçoit 5000 patients en moyenne par an.

Dans la salle d’attente un ours blanc observe le visiteur. Personne ne s’en étonne, ici, à 1000 kilomètres du Pôle Nord : le mammifère fait partie du paysage. Dans l’entrée du petit hôpital de Longyearbyen, il est empaillé, mais à moins d’une dizaine de kilomètres, en dehors des limites de la petite capitale du Svalbard, il n’est pas rare de croiser l’un des 2000 ours de l’Archipel le plus septentrional du monde.

C’est d’ailleurs dans cette salle d’attente que les victimes de ces attaques -moins de cinq en douze ans- se retrouvent la plupart du temps. Tout comme les accidentés de motoneige (l’accident le plus fréquent du Svalbard), les pêcheurs russes blessés par une manœuvre malheureuse, le glaciologue en hypothermie ou encore les victimes d’une avalanche.

« A l’hôpital polaire, il y a quand même quelques petites particularités… », ironise Aksel Bilicz, 61 ans, infirmier anesthésiste et… directeur de l’hôpital le plus au nord de la planète. « Officiellement je ne suis pas directeur, corrige le soignant débonnaire. Je suis chef du département de Longyearbyen qui est une annexe de l’hôpital universitaire de Tromso sur le continent (sur la côte norvégienne, ndlr)».

Pourtant quand il s’adresse à ses subordonnés et marche d’un pas assuré dans les couloirs de l’immeuble de trois étages, il n’y a pas de doute, c’est bien lui qui dirige l’équipe médicale. Déjà douze ans qu’il soigne les patients du Pôle, mais « pas un jour il ne s’est pas ennuyé ». Il faut dire qu’après 37 ans de carrière, dont 25 passés aux urgences à Oslo, la capitale norvégienne, l’infirmier aime les services où « ça bouge un peu».

 

« Faire preuve d’initiative »

Eclairé par les lumières artificielles des néons et des lampadaires extérieurs, le petit hôpital de l’Arctique est plongé dans la nuit polaire depuis octobre et le soleil ne se lèvera de nouveau que dans deux mois. Au beau milieu de l’après-midi, il pourrait être minuit. Ce qui ne perturbe pas le fonctionnement de cet établissement qui accueille plus de 5000 patients par an. « Nous allumons une lampe spéciale pour éviter les carences durant la nuit polaire, mais nous continuons toute l’année à faire les 3-8», indique Aksel.

Aksel Billicz, 61 ans, infirmier anesthésiste et directeur de l'hôpital
Aksel Billicz, 61 ans, infirmier anesthésiste et directeur de l’hôpital, à la tête d’une équipe de treize soignants. © Axelle de Russe

Les  six infirmières – trois anesthésistes et trois ayant une spécialité en chirurgie – et les quatre médecins – trois généralistes et un chirurgien-, une sage-femme, un orthopédiste et un dentiste, continuent d’assurer l’ouverture du centre polaire 24 heures sur 24. « Ici, il faut savoir tout faire, ajoute le directeur-infirmier. Dans un grand centre, tout est très cloisonné. Chacun intervient dans son service, dans sa spécialité. Mais ici, il faut savoir se diversifier et faire preuve d’initiative quand on est seul. C’est pour cela que nous ne recrutons que des infirmiers avec cinq ans au minimum d’expérience et souvent avec une spécialité ».

En réalité, pour avoir une chance à Longyearbyen, il faut attendre « dix ou quinze ans » car les places sont chères. Grâce à un statut fiscal particulier, les salaires au Svalbard sont peu taxés, les soignants sont donc mieux payés qu’en Norvège continentale.

Comme en France, en Norvège, le diplôme s’obtient au bout de trois ans d’école après le baccalauréat. Les candidats à une spécialité poursuivent pour un an ou, dans le cas des anesthésistes, pour un an et demi.

Else-Berit, l'une des six infirmières de l'hôpital, avec un patient
Else-Berit, l’une des six infirmières de l’hôpital, avec un patient. © Axelle de Russe

« Un véritable challenge, professionnel comme personnel »

Else-Berit, 56 ans, infirmière depuis 1985, estime aussi que pour travailler ici, il faut avoir une certaine expérience professionnelle. « Il faut se faire un peu confiance, surtout quand on est toute seule le week-end mais aussi pour les interventions extérieures ». La soignante fait référence aux soixante-dix missions héliportées auxquelles participent chaque année en moyenne ces infirmiers du bout du monde. Ces missions sont aussi passionnantes que risquées en raison des conditions météorologiques instables.

« Le problème majeur de l’Arctique, c’est la distance et la météo qui peuvent nous empêcher d’accéder aux patients. Quand ce n’est pas possible de décoller, il faut obéir au pilote. Mais quand il y a quelque chose à faire, il faut lui faire confiance car il le fera. Parfois il faut jusqu’à quatre heures d’hélicoptère pour aller chercher les patients sur des bateaux ou dans des bases scientifiques éloignées », raconte-t-elle.

Healico application

Le plus souvent les infirmiers partent au secours des marins de toutes nationalités qui se sont blessés lors de manœuvres en haute mer. « Parfois il faut descendre dans le bateau pour aller les chercher mais pas tout le temps, ajoute Else-Berit. Pour moi, ce métier c’est un véritable challenge, professionnel comme personnel ». On imagine mal la sage infirmière de cinquante six ans se balancer au bout d’une échelle de corde par grand vent et moins 50 degrés. Et pourtant… « Les infirmières ici sont un peu des aventurières » rigole encore Aksel, le directeur, en désignant l’équipement -combinaisons, casques et sacs imperméables- réservé aux interventions extérieures.

Leur pire souvenir : une avalanche

En douze ans, l’hôpital n’a jamais connu d’accident d’hélicoptère. Pour toute l’équipe, l’évènement le plus traumatisant a été l’avalanche qui s’est écrasée au coeur même de la ville, au mois de décembre 2015. Cinq mille tonnes de neige ont balayé une dizaine de maisons de Longyearbyen (2100 habitants). « Nous sommes préparés aux menaces extérieures, mais là personne ne s’attendait à ce que la communauté soit frappée chez elle, avec un aussi grand nombre de blessés », raconte Aksel. Trois ambulances héliportées ont été envoyées depuis le continent mais, au cours des premières heures, le petit centre a été submergé par l’arrivée de dizaine de blessés.  «C’était très difficile, se rappelle Else-Berit. Les gens sont arrivés couverts de sang et de neige et deux personnes sont décédées cette nuit là ».

« C’est une petite communauté, poursuit-elle. Les gens ont été traumatisés par l’évènement et craignent que cela ne se répète ». En effet, la petite ville de l’Arctique subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique (+ dix degrés au dessus des normales de saison). Selon les climatologues, Longyearbyen serait l’endroit habité qui se réchauffe le plus vite de la planète. Les évènements climatiques -avalanches, coulées de boue, fonte du permafrost- pourraient donc se multiplier ses prochaines années et mettre à nouveau l’équipe de l’hôpital à l’épreuve.

Infirmier et directeur d’hôpital

Pourtant, le directeur-infirmier qui approche de l’âge de la retraite (70 ans pour les infirmiers ayant un emploi administratif, 65 ans pour ceux dont l’activité auprès des patients est supérieure à 50 %, un départ anticipé pouvant être demandé à partir de 62 ans avec un mise à disposition au moins un quart de l’année) a la ferme intention de terminer sa carrière à l’hôpital polaire.

« Je ne trouverai jamais de postes plus intéressant et aussi bien payé », répond-t-il. Car les emplois de direction pour les infirmiers sont assez rares. « La plupart du temps, ce sont des médecins qui sont les directeurs des hôpitaux, mais cela change de plus en plus, il y a de plus en plus d’infirmiers, mais aussi des administratifs et des juristes, explique le directeur de l’hôpital polaire.

Pour lui le résultat est probant : « Un infirmier a une vision plus globale du soin. Il en voit tous les aspects alors qu’un médecin reste souvent sur le médical, mais ce n’est que mon point de vue personnel. Et comme je suis le directeur personne ne peut me contredire, blague-t-il. Aksel admet aussi que le fait d’être un homme l’a énormément aidé à se faire accepter dans cette fonction : « mes collègues femmes au même poste ont bien plus de mal à s’imposer, notamment devant les médecins qui n’acceptent pas toujours qu’une infirmière les dirige car ils pensent que nous n’avons pas les compétences médicales nécessaires ».

Aksel s’est cependant doté d’un médecin « conseiller » pour l’aider à prendre les décisions d’ordre médical. Quant à Else-Brit, elle se dit satisfaite de cette nouvelle possibilité de carrière : « Ce n’est pas une question de métier, c’est une question de personnalité. Il y a de très bons médecins qui sont des mauvais directeurs, c’est pareil pour les infirmiers. C’est comme travailler à l’hôpital de l’Arctique,  tout le monde n’est pas fait pour ça ! ».

Leila Miñano 

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est initialement paru dans le n°24 (avril 2017) d’ ActuSoins Magazine.

Pour recevoir ActuSoins chez vous, c’est ICI

 

Aucun vote pour le moment.
Please wait...

Découvrez notre offre de formation spéciale IDE
Nouveau catalogue Formation Santé 2025 disponible !

Téléchargez le catalogue


Soyez le premier à laisser un commentaire !

Réagir