Intelligence artificielle, terra trop incognita des infirmiers

Le déploiement accéléré des outils issus de l'intelligence artificielle dans la société interroge les infirmiers comme toutes les autres professions du monde de la santé.

Intelligence artificielle, terra trop incognita des infirmiers

© everything possible / ShutterStock

Selon Vincent Vuiblet, néphrologue au CHU de Reims et directeur de l'Institut d'intelligence artificielle en santé (I2AS), « le cœur des outils d'intelligence artificielle à destination du personnel soignant relève de deux catégories. Il y a d'abord ceux qui visent à l'automatisation de certaines tâches administratives ou logistiques qui occupent une partie des fonctions paramédicales (organisation de plannings, commandes de produits ou de matériels..). Il y a aussi les outils qui vont leur permettre d'évaluer certains éléments chez les patients comme la douleur et l'anxiété, ou qui vont permettre d'identifier les critères d'évolutivité d'une plaie ou proposer le type de pansement le plus adapté ».

L'offre, issue généralement d'acteurs privés, se développe à une vitesse croissante. À l'I2AS, poursuit son directeur, « nous avons à cœur que la recherche (sur l'IA, NDLR) soit prise en main par les acteurs publics » au niveau académique et scientifique, et que les IDE participent à la conception et à la validation de ceux qu'ils sont susceptibles d'utiliser. « C'est par les infirmiers que les meilleurs outils se développeront », insiste-t-il.

Impliquer les infirmiers dès la conception

Un des moyens d'y parvenir consiste, selon Vincent Vuiblet, à favoriser la participation des infirmiers à des programmes de recherche.

« On sent une poussée de l'appétence des infirmiers pour la recherche (sur l'IA, NDLR), observe le médecin, mais aujourd'hui, ils n'ont pas encore suffisamment d'espace pour la développer ».

 Les écosystèmes académiques publics qui se penchent sur ces sujets (l'I2AS, au CHU de Reims et d'autres CHU) lancent des appels à projet sur l'IA dans les soins. Ils peuvent accompagner les IDE intéressés sur les plans juridique, technique, réglementaire et scientifique, leur faire bénéficier des données utiles à l'entraînement des IA mais aussi et proposer des terrains d'expérimentations ancrés dans la clinique.  

Ils ont tout à y gagner, estime-t-il : plus leur expertise sera prise en compte dans leur conception, plus ces outils leur rendront service et leur dégageront du temps, améliorant leur qualité de vie au travail et dégageant du temps, potentiellement, pour la recherche...

« L'intelligence artificielle peut être un nouveau champ de recherche paramédicale qui peut dynamiser encore plus la profession », insiste Vinent Vuiblet. La Fédération nationale scientifique des données en santé, qui doit être créée avant la fin 2023, « aura pour objectif d'animer la rechercher collaborative sur les données de santé notamment l'IA », et constituera un réseau de structures pouvant accompagner la recherche, ajoute-t-il.

Pour la grande majorité des IDE qui sont ou seront utilisateurs d'outils basés sur l'intelligence artificielle, une acculturation s'avère nécessaire, estime le médecin. Pour limiter les inquiétudes (l'IA ne remplacera pas les infirmiers) mais aussi pour qu'ils gardent la maîtrise de ces outils et en connaissent le fonctionnement et les limites. La formation en la matière peut encore beaucoup progresser.

Formation balbutiante

Selon Lisette Cazellet, responsable formation de l'association FORMATIC Santé, qui se penche sur ces sujets depuis de nombreuses années, l'enseignement en IFSI sur les sujets numériques n'en est qu'à ses débuts – et celui sur l'IA est encore moins présent.

Avant d'aborder ce sujet, souligne-t-elle, « il faut d'abord avoir saisi les enjeux du numérique et des usages du numérique puisque l'intelligence artificielle s'appuie sur des données numériques ».

Sinon, ajoute Lisette Cazellet les enjeux de la qualité et de la sécurité des données numériques, ceux de la construction des algorithmes et ceux du traitement de ces données par l'IA « peuvent rester très abstraits » voire ignorés.

Or « toutes les compétences du métier vont se conjuguer avec le numérique », rappelle-t-elle, et quelle que soit la confiance qu'on accorde aux outils issus de l'IA, « la responsabilité de l'infirmier qui les utilise reste entière. Il faut être en capacité de dépister une anomalie. L'outil ne peut pas remplacer la décision infirmière. D'où l'intérêt de bien comprendre comment il fonctionne ». 

Savoir globalement, comme certains étudiants ou professionnels, ce qu'est l'intelligence artificielle ne suffit pas. Si la formation initiale ne déploie pas son enseignement numérique au rythme où évoluent les outils, notamment en intelligence artificielle, la formation continue à destination des professionnels de santé sur l'IA reste encore balbutiante ou, quand elle existe, reste axée sur les outils et leurs usages, note Lisette Cazellet.

« Certaines universités proposent des DU sur l'intelligence artificielle, et quelques infirmiers, un ou deux, les ont suivis et se forment à leur utilisation ». C'est encore très peu.

Géraldine Langlois

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter Actusoins

Abonnez-vous à la newsletter des soignants :

Faire un don

Vous avez aimé cet article ? Faites un don pour nous aider à vous fournir du contenu de qualité !

faire un don

Réagir à cet article

retour haut de page
379 rq / 4,389 sec