Travailler avant la diplomation : des écueils juridiques subsistent

L'arrêté du 10 juin qui autorise les étudiants en soins infirmiers qui ont terminé leurs études  à exercer des vacations dans des établissements de soins ou médicosociaux avant d'avoir été notifiés de leur diplomation pose plusieurs questions d'ordre juridique. Le cadre légal de son application présente manifestement plusieurs zones d'ombres.

Travailler avant la diplomation : des écueils juridiques subsistent

© high fliers / ShutterStock

Certains étudiants en soins infirmiers (ESI) vont pouvoir exercer dans les hôpitaux, les cliniques ou les établissements médicosociaux avant d'être officiellement diplômés.

C'est ce que prévoit un arrêté du 10 juin, complété par une instruction ministérielle du 17, pour accélérer l'arrivée sur le marché du travail des étudiants ayant achevé leurs études.

Pour Mathilde Padilla, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi), cette mesure officialise et sécurise ce qui se pratiquait auparavant ici ou là dans un certain flou juridique.

« Nous avons demandé que les étudiants soient protégés au maximum », commente-t-elle, afin qu'ils ne soient pas envoyés sans filet de sécurité dans les services.

Cette protection ne semble pas suffisante à Edern Perennoù, infirmier et expert judiciaire près la cour d'appel de Rennes. Selon lui, le dispositif fait fi de trois conditions cumulatives hors desquelles l'exercice de la profession d'infirmier est illégal : « il faut avoir le diplôme d'Etat, être inscrit au répertoire partagé des professionnels de santé, le RPPS, et être inscrit à l'Ordre des infirmiers ».

Les étudiants qui exerceront dans le cadre du nouvel arrêté ne disposeront pas de leur diplôme puisqu'ils travailleront avant que les jurys aient rendu leurs décisions. Ils ne pourront pas non plus être inscrits au RPPS puisque c'est l'Oni qui en fait la demande quand un nouvel infirmier s'inscrit à l'Ordre...

Or les ESI concernés ne pourront pas s'y inscrire avant d'avoir leur diplôme. De plus, ajoute l'expert judiciaire, l'inscription à l'ordre prend un certain temps car « il doit s'assurer de la bonne moralité » des demandeurs, via l'interrogation de leur casier judiciaire notamment, avant que son conseil valide l'inscription au tableau, ce qui peut prendre trois semaines, selon lui. A la différence des internes en médecine, les étudiants en soins infirmiers ne sont pas connus de leur ordre avant d'être dûment diplômés.

Illégalité ?

« Tous les contrats de travail précisent qu'ils se déroulent dans le respect du cadre légal de profession », ajoute l'infirmier, ce qui signifie de remplir les conditions ci-dessus. « En cas de faute ou de dommage causé par les étudiants, précise l'instruction, la responsabilité relève des régimes de responsabilités juridiques de droit commun appliquées aux infirmiers diplômés d'Etat » dans le cadre de leur exercice professionnel. Et l'inscription au tableau de l'ordre n'est pas requise durant la validé de l'autorisation provisoire d'exercice. Il s'agira donc d'un étudiant - c'est le terme utilisé dans l'instruction et il n'est pas inscrit à l'Ordre - mais il sera soumis au même régime de responsabilités qu'un IDE, alors que justement il n'a pas encore obtenu son DE...

Edern Perennoù estime qu'en cas de faute ou de dommage d'un ESI concerné durant un contrat tel que ceux qui pourraient être conclus dès juillet, « si un juge estime que la légalité n'est pas respectée, un assureur peut décider de ne pas couvrir l'infirmier ».

Il devient ainsi responsable sur ses bien personnels... « Il y a un gros risque assurantiel pour ces jeunes, estime aussi Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI (CFE-CGC). Ils seront certes munis de l'autorisation du préfet mais ils exerceront sans être diplômés ni inscrits à l'Ordre ». Les textes n'indiquent pas non plus qui assurera le suivi des décisions des jurys qui valideront les diplômes des uns, enverront certains au rattrapage et recaleront les autres, ce qui mettra fin à certains contrats...

La directrice des soins d'un EPSM ne souhaite pas de son côté « prendre le risque », surtout pour très peu de temps. Même si l'instruction ministérielle  vise à accélérer la diplomation des ESI pour qu'elle soit effective au plus tard la deuxième semaine de juillet, dans sa région, les cours s'arrêtent le 4 juillet et le jury se réunit le 8.

Peu d'ESI motivés

Mais ces délais varient d'une région à l'autre : selon Mathilde Padilla, il peuvent s'allonger jusqu'à un mois. Et Isabelle Bouyssou, directrice d'un IFSI en Ile-de-France, conçoit que quelques jours de gagnés pour une équipe hospitalière en souffrance, « c'est toujours ça ».

Mais selon elle, le signal envoyé par ce dispositif aux étudiants d'une promotion qui a suivi sa formation dans une période chaotique et qui a déjà été envoyée en renforts durant les pics de Covid n'est pas positif. Il n'annonce pas non plus de très bonnes conditions d'accueil et d'accompagnement dans l'emploi dans les services...

Il n'est pas sûr de toute façon que beaucoup d'étudiants soient tentés. Moins de 10 % des troisième année de l'IFSI qu'elle dirige ont participé à la séance d'information qu'elle a organisée.

La directrice des soins d'un EPSM considère qu'il s'agit avant tout d'un effet d'annonce, d'une « mesurette qui ne sert à rien » finalement. Les ESI qu'elle rencontre en vue d'une embauche veulent tous partir un peu en vacances avant de plonger dans le grand bain du travail...

Pour Isabelle Bouyssou, le dispositif présente entre autre le défaut de ne prendre en compte, chez les étudiants volontaires, que la validation du dernier stage par un formateur, et non les 2 UE théoriques du dernier semestre ni le mémoire puisque ces éléments ne le seront que par le jury final. « Cela donne à penser que l'infirmier n'est qu'un technicien », souligne-t-elle, et dénigre en quelque sorte le diplôme.

Pour la présidente de la FNESI, une chose est sûre, ce dispositif imaginé à la demande des établissements, les aidera « peut-être temporairement mais ne répond pas durablement à la problématique des recrutements ». Et il crée un précédent potentiellement problématique.  

Géraldine Langlois

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Réactions

1 réponse pour “Travailler avant la diplomation : des écueils juridiques subsistent”

  1. HC dit :

    Je suis également directeur d’un EPSM.
    D’accord avec le caractère très très limité en réalité de l’impact de cette mesure
    En revanche l’argument de la non inscription à l’ordre est déconnecté de la réalité !
    J’y suis pourtant favorable, mais nous sommes très loin d’une inscription généralisée des professionnels

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