Infirmiers, aides-soignants, aides à domicile : des professions sous tension

L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a publié, courant novembre, une étude portant sur les tensions entre dynamiques professionnelles et interprofessionnelles dans le travail des aides à domicile, des aides-soignants et des infirmiers en soins primaires. Le point avec avec Matti Suchier, doctorant en sociologie, l’un des auteurs de l’enquête.  

©  DGLimages / ShutterStock

Dans quel contexte l’Irdes a-t-il été amené à effectuer cette étude ?

Le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) a contacté l’Irdes dans le cadre d’un travail sur les soins primaires afin d’obtenir davantage d’éléments sur le travail des paramédicaux.

Ils nous ont demandé de mener une recherche afin de comprendre l’articulation entre les professionnels exerçant en soins primaires. En raison de leur grand nombre, nous avons dû cibler les professions.

Comme le HCAAM souhaitait avoir plus de renseignements sur la prise en charge des patients à domicile dans le cadre du vieillissement de la population et de la hausse des maladies chroniques, nous avons décidé d’étudier les infirmiers et les aides-soignants.

Lorsque nous avons constitué la revue de littérature, nous nous sommes rendu compte que les aides à domicile représentaient également une profession incontournable dans la prise en charge des patients à domicile. Nous les avons donc intégrées à l’enquête, afin de comprendre les relations au sein et entre ces trois groupes professionnels. 

Comment avez-vous mené votre étude ?

Deux semaines après avoir débuté l’enquête, le premier confinement a été annoncé. Il était difficile, en pleine pandémie, de joindre les soignants totalement débordés par la gestion de la crise sanitaire.

Nous avons donc sollicité des personnes que l’Irdes avait déjà interrogées dans le cadre d’autres enquêtes. Puis, nous leur avons demandé si elles connaissaient d’autres personnes qui accepteraient de répondre à nos questions.

Par effet boule de neige, nous avons ainsi pu constituer notre panel.  Notre revue de la littérature montre que malgré des similitudes, les trois groupes professionnels n’en sont pas au même stade d’avancement dans leurs processus de professionnalisation, ce qui produit des effets importants sur les relations entre ces groupes aujourd’hui. Il était donc particulièrement intéressant d’étudier la façon dont ils s’articulent au quotidien dans leur travail.

A quelle conclusion avez-vous abouti ?

Nous avons tiré plusieurs fils. A titre d’exemple, la structuration de l’offre de soins, en particulier des soins infirmiers sur un territoire, exerce une influence sur les relations entre les acteurs du soin. Et la réalité des interactions professionnelles et des modalités d'exercice ne permet que rarement à ces acteurs de se coordonner.

Selon le nombre de cabinets infirmiers sur un territoire, elles ne vont pas pouvoir toutes exercer les mêmes soins. Nous avons eu l’exemple d’un cabinet installé depuis de nombreuses années sur un territoire, et au sein duquel les infirmières libérales s’étaient spécialisées dans les actes techniques.

Lorsque d’autres cabinets se sont implantés, la demande en actes techniques n’étant pas suffisante pour qu’elles s’orientent dans cette voie, les nouvelles infirmières se sont donc spécialisées dans les soins de nursing. Dans ce cas-là, cela a pu être générateur de tensions avec le Service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), déjà positionné sur les mêmes tâches.

Les tensions sont aussi le fait de tâches plus ou moins partagées par l’ensemble des professionnels, et qui varient selon les professionnelles elles-mêmes, selon les territoires, selon la population, ou encore selon l’offre de soins…

Autre exemple : un médecin a souhaité monter une Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et a convié l’ensemble des acteurs de soin du territoire pour en parler. L’une des infirmières avec laquelle nous avons échangé nous a expliqué qu’elle avait été la seule à vouloir se lancer dans le projet car les autres infirmières libérales ne souhaitaient pas s’engager, de crainte d’être sous la coupe des médecins.

Cet exemple illustre le fait que de nombreuses infirmières s’installent en libéral pour fuir le modèle hospitalier et ses rapports hiérarchiques, et pouvoir exercer et décider seules. Cela constitue aussi un frein au développement de davantage de coordination. 

Quels sont les rapports entre les infirmières et aides-soignantes d’une part, et les aides à domicile d’autre part ?

Il y a une frontière entre le monde soignant et le monde de l’aide à domicile. Cette barrière est symbolique et se traduit par peu de communication entre les acteurs.

Les difficultés reposent principalement sur la délimitation des métiers et des tâches de chacun. Les tensions naissent parfois du fonctionnement libéral en tant que tel. Face à des situations de concurrence, les cabinets infirmiers, les SSIAD ou les structures d’aide à domicile cherchent en effet à être rentables.

Les tensions peuvent s’apaiser lorsque les professionnels décident de s’organiser ensemble, dans le cadre d’un exercice regroupé ou en tous cas articulé, permettant de délimiter les rôles de chacun en fonction des sphères de compétences et dans le cadre d’actions coordonnées pour une prise en charge optimale des patients.

Ce résultat est généralisable à l’ensemble du territoire du fait de l’hétérogénéité qui existe en soins primaires, liée à une absence de structuration de ces pratiques. Nous montrons que certains dispositifs peuvent contribuer à la construction d'une culture commune, comme les formations pluriprofessionnelles, ou les réunions plurisectorielles. Néanmoins les organisations observées émergent localement et sont généralement le fruit d’une histoire longue et d’acteurs particulièrement engagés.

Propos recueillis par Laure Martin

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