La prise en charge spécifique de la personne âgée en service de chirurgie

La prise en charge de la personne âgée en service de chirurgie est devenue une préoccupation majeure et relève de l’interdisciplinarité entre le médecin anesthésiste, le chirurgien, les infirmières et aides-soignantes. Aux manifestations du vieillissement physiologique, viennent se greffer des facteurs de risques comme les maladies chroniques. Outre la surveillance postopératoire et la prise en charge de la douleur, le rôle de l’infirmier est d’encourager et de stimuler la fonctionnalité de la personne âgée.

La prise en charge spécifique de la personne âgée en service de chirurgieL’Organisation Mondiale de la Santé définit une personne âgée (PA) par un âge supérieur à 65 ans, répartie en trois catégories : le jeune vieillard entre 60 et 74 ans, le vieillard entre 75 et 84 ans et le grand vieillard au-delà de 85 ans. Le vieillissement est un processus physiologique universel et progressif. Il entraîne des modifications structurelles et fonctionnelles de l’ensemble des organes et des tissus, variables selon les individus et induit une fragilité potentielle. Plus que l’âge, c’est la diminution de la réserve fonctionnelle des organes qui impacte la capacité des patients à réagir à une brutale augmentation des besoins.

La personne âgée (PA) se différencie de la population générale par sa vulnérabilité au stress : infection plus ou moins sévère, modifications thérapeutiques, hospitalisation imprévue, changement de lieu de vie, isolement social… Sa prise en charge péri-opératoire est donc significativement différente de celle d’un patient jeune, du fait de modifications physiologiques et pharmacologiques liées à la vieillesse. On estime que 16 % de la population française aura plus de 85 ans en 2020 et le personnel soignant devra par conséquent s’adapter.

Le concept de fragilité : un risque spécifique du sujet âgé

Selon la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), « la fragilité est un syndrome clinique. Il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux.

Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’évènements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome.

La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi elle s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. »

Il existe différents modèles pour évaluer la fragilité. Selon le modèle inspiré de Fried, cinq critères sont à prendre en compte : perte de poids involontaire, sensation d’épuisement ressentie par le patient, diminution de la force musculaire, vitesse de marche lente (+ quatre secondes pour parcourir quatre mètres) et sédentarité. Ils permettent de déterminer trois modes évolutifs du vieillissement.

Les patients sont dits « robustes » si aucun des critères n’est présent. Ils sont dits « pré-fragiles » si au moins un critère est présent et sont dit « fragiles » en présence de trois critères ou plus.

Le repérage précoce de la fragilité permet de prédire le risque de perte d’autonomie, de chutes, d’institutionnalisation, de décès et d’hospitalisations dans un délai de un à trois ans. A ce titre, c’est devenu une réelle priorité de santé publique. Chaque anesthésie, chaque intervention chirurgicale chez la PA peut provoquer une perte d’autonomie du patient, favorisée par l’apparition de troubles cognitifs. La physiopathologie de ce syndrome de glissement reste encore mal connue mais sa prévention doit rester une des priorités, et permettre la restauration d’une autonomie optimale dans le même environnement que celui existant en préopératoire. Ainsi la fragilité peut être considérée comme un état de pré-dépendance et permet la mise en place d’actions de prévention avant le stade le plus souvent irréversible de la dépendance. Cette prévention est d’autant plus efficace que la fragilité est débutante.

Les modifications physiologiques de la personne âgée

Elles sont multiples et concernent toutes les grandes fonctions de l’organisme.

La fonction cardio-vasculaire

Chez le sujet âgé, les atteintes physiologiques de la pompe cardiaque et du système circulatoire sont nombreuses et progressives : les fibres myocardiques sont diminuées ainsi que le nombre et l’efficacité des cellules de conduction. Les valves cardiaques se rigidifient et se calcifient, d’où un dysfonctionnement valvulaire, et le ventricule gauche (VG) s’hypertrophie. Cela a pour conséquence des anomalies de la fréquence cardiaque (FC), du débit cardiaque (DC), de la fraction d’éjection (surtout en situation de stress), de l’inotropisme (capacité du VG à éjecter le sang dans l’organisme) ainsi qu’une augmentation de la survenue de troubles du rythme et de la conduction. L’hypertrophie myocardique peut conduire à une incompétence cardiaque, voire à une insuffisance cardiaque. Le baroréflexe est détérioré, ce qui explique l’inadaptation du coeur aux variations de la volémie.

De plus, l’hypertension artérielle (HTA) est fréquente chez la PA. Elle s’explique par une diminution de l’élasticité des artères, du fait de la rigidification de l’élastine et du collagène, et par l’augmentation des résistances vasculaires systémiques.

La fonction cardiovasculaire est donc altérée. Cela a pour conséquence une mauvaise tolérance à l’hypovolémie préexistante (diminution de la sensation de soif, jeûne préopératoire, altération de la fonction rénale) ou brutale (saignements ou déshydratation importante) et une difficulté d’adaptation à l’effort (situation de stress, surcharge volémique, frissons…).

La fonction respiratoire

Les volumes respiratoires, la compliance pulmonaire et l’élasticité de la cage thoracique sont abaissés. La fonte musculaire globale provoque une diminution du tonus des muscles respiratoires. L’altération du réflexe de toux, le contexte de douleur postopératoire, l’incidence de l’incision chirurgicale (laparotomie, par ex) sur la mécanique ventilatoire ainsi que l’alitement ont pour conséquence un risque majeur d’hypoventilation postopératoire avec un encombrement pulmonaire et un risque d’atélectasie (affaissement des alvéoles).

Les échanges gazeux sont aussi perturbés, avec une diminution de la réponse ventilatoire à l’hypercapnie (augmentation de la pression partielle en CO2 dans le sang) et à l’hypoxémie (diminution de la pression partielle en O2 dans le sang).

Des troubles de la déglutition favorisent la survenue de fausses routes, ayant pour conséquence des pneumopathies.

La fonction cérébrale

L’altération des fonctions cognitives, coordinatrices et sensorielles est liée à une diminution du nombre de neurones, de synapses, de la synthèse des neurotransmetteurs (acétylcholine) et de la masse cérébrale. La baisse du débit sanguin et du métabolisme cérébraux entraîne un ralentissement cérébral et, parallèlement, le cerveau est plus sensible à l’hypoxie (manque d’apport d’O2 au niveau des tissus).

Le risque de désorientation temporo-spatiale et/ou d’hallucinations post opératoires peuvent s’expliquer par plusieurs éléments : une acuité visuelle et/ou auditive diminuée, l’existence de pathologies altérant les fonctions cognitives (démence sénile, Alzheimer), un retard d’élimination des produits anesthésiques, des troubles du sommeil, l’existence d’un syndrome dépressif, une altération des perceptions du monde extérieur avec changement de repères, surtout la nuit. Concernant la douleur, les avis sont controversés : il semble que la sensibilité à la douleur aiguë diminue avec l’âge mais, parallèlement, la douleur chronique s’accroît (arthrose, lombalgie, douleurs cancéreuses…).

La sensation de soif est altérée, entraînant un risque potentiel de déshydratation. La thermorégulation est aussi perturbée par diminution du seuil de déclenchement des effecteurs à l’hypothermie et du métabolisme basal.

Toutes ces modifications ont pour conséquence une majoration du risque d’altération cognitive, des épisodes d’agitation et/ou de chutes, un syndrome confusionnel surtout en postopératoire associé à des troubles du sommeil. La fonction cognitive déjà fragilisée chez le vieillard est particulièrement sensible à l’anesthésie.

Enfin, la prise en charge de la douleur (analgésie multimodale) doit être anticipée dès le peropératoire et poursuivie en salle de soins post interventionnelle, avec une titration morphine si besoin, puis en service de chirurgie.

La fonction rénale

La fonction rénale décline elle aussi. La baisse du nombre de glomérules fonctionnels (unité fonctionnelle du rein) et du débit sanguin rénal entraînent une diminution de la filtration glomérulaire, plus ou moins associée à des troubles hydro-électrolytiques.

Ce ralentissement de l’épuration rénale a pour conséquence un risque d’accumulation de certains médicaments dans l’organisme (métabolites actifs de la morphine par exemple). De plus, la mauvaise adaptation au stress, à l’hypovolémie et à l’hypoperfusion rénale majore la survenue d’insuffisance rénale en postopératoire, d’où la nécessité d’un dosage sanguin de l’urée et de la créatinine.

Il existe aussi un risque de rétention urinaire liée à l’hypertrophie prostatique ou à l’utilisation des morphiniques lors d’une rachianesthésie.

La fonction digestive

La PA a une prédisposition aux hernies hiatales et aux reflux gastro-oesophagiens (RGO) par relâchement du tonus du sphincter de l’oesophage. La fonction hépatique est altérée par la diminution de la perfusion et du métabolisme hépatique. Le péristaltisme et le transit intestinal sont diminués, entraînant fréquemment une constipation. Cela majore le risque d’inhalation bronchique lors de l’induction anesthésique et favorise le retard d’élimination des médicaments d’anesthésie, entre autres.

Au niveau musculo-squelettique et cutané

La masse et de la force musculaire sont nettement diminuées. La peau est moins bien vascularisée et moins élastique, favorisant la survenue d’escarres. L’arthrose et l’ostéoporose sont fréquentes chez le sujet âgé majorant le risque de chute, de luxation et de fracture.

Prise en charge infirmière en préopératoire

Le développement de la chirurgie ambulatoire et l’arrivée le matin même de l’intervention en service de chirurgie écourtent cette étape cruciale de l’accueil du sujet âgé. Ce moment permet cependant d’instaurer un climat de confiance, de favoriser les échanges et de répondre aux questions éventuelles.

De nombreux points de vérification sont incontournables comme celle du dossier et de la consultation d’anesthésie où sont consignés les antécédents médico-chirurgicaux qui permettent d’évaluer l’état général du patient, ses capacités d’adaptation restantes et son syndrome de fragilité (voir encadré). Le dossier comprend aussi une carte de groupe sanguin, les examens complémentaires - bilan biologique, électrocardiographie, radio pulmonaire, recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) valides en fonction de l’acte chirurgical – ainsi que les traitements en cours. Certains traitements comme les bétabloquants sont poursuivis et d’autres arrêtés, tels les Inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou les antivitamines K, avec relais éventuel par une héparine de bas poids moléculaire. La prémédication n’est plus systématique, sauf prescription médicale (PM) en cas d’anxiété majeure, car elle majore les troubles cognitifs en postopératoire et le risque de dépression respiratoire.

En postopératoire

La surveillance chirurgicale est incontournable lors de la prise en charge globale du patient mais elle n’est pas abordée ici. Seuls sont énumérés les points spécifiques de la prise en charge de la PA en postopératoire.

D’un point de vue cardio-vasculaire

Il s’agit de prévenir la difficulté d’adaptation face aux situations de stress.

La principale caractéristique du système cardiovasculaire de la PA est une difficulté d’adaptation face aux situations de stress (hémorragie, hypothermie…). Il est important de détecter toute anomalie ou instabilité hémodynamique (FC, tension artérielle, pâleur, marbrure). En cas de suspicion de saignement, il est nécessaire de surveiller tous les signes d’hémorragie (constantes hémodynamiques, pansement, redon, drain, douleur brutale), de prévenir le chirurgien et le médecin anesthésiste, de réaliser un dosage de l’hémoglobine par HemoCue (taux supérieur à 10 g/dl) et/ou un bilan sanguin complet (numération et formule sanguine, taux de prothrombine, temps de céphaline activée, fibrine…) et de vérifier la bonne perméabilité de la voie veineuse périphérique.

D’un point de vue respiratoire

Il existe un risque majeur d’hypoventilation postopératoire avec encombrement pulmonaire et risque d’atélectasie. Lors d’intervention chirurgicale lourde, l’oxygénothérapie est quasi-systématique en postopératoire afin d’améliorer les échanges gazeux. Le lever précoce au fauteuil, plus ou moins associé à des séances de kinésithérapie respiratoire, va faciliter le travail respiratoire et l’élimination des secrétions bronchiques, tout en diminuant le risque d’encombrement et d’atélectasies.

D’un point de vue neurologique

Prise en charge la douleur postopératoire

L’infirmier participe à la prévention, à l’évaluation, plus difficile chez la PA, et au soulagement de la douleur. Son intensité est évaluée avec diverses échelles (EVA, EN, Algoplus chez la PA non communicante) mais aussi son retentissement émotionnel. Les antalgiques sont administrés selon la PM et l’efficacité du traitement ainsi que la survenue des effets secondaires sont étroitement surveillés. L’utilisation de la pompe PCA morphine (analgésie contrôlée par le patient) est contre-indiquée chez la PA non communicante ou démente. De plus, en fonction de l’incision opératoire, l’installation est primordiale et doit être confortable (bras correctement positionnés, jambes surélevées, dossier du lit relevé). Le froid possède de véritable vertu analgésique et une vessie de glace peut être proposée plusieurs fois par jour. Enfin une écoute attentive et un soutien psychologique sont essentiels.

La prise en charge spécifique de la personne âgée en service de chirurgie tableau

Prévention de la survenue de troubles cognitifs et limitation du risque de confusion en postopératoire

Pour cela, il est important :

  • d’assurer une information adaptée et de resituer la PA dans le temps et dans l’espace dès son retour du bloc opératoire autant de fois que nécessaire,
  • de restituer les prothèses dentaires, auditives et visuelles dès que possible,
  • de mettre en place un environnement calme, en chambre seule, si possible, et sécurisée afin d’anticiper les risques d’accidents et de chutes (sonnette à disposition, téléphone à proximité, barrières de lit le cas échéant), avec la présence et le soutien de l’entourage familial,
  • de favoriser un sommeil de qualité, en évaluant la qualité et le nombre d’heures de sommeil, en limitant l’usage de sédatifs (sur PM), en stimulant le lever au fauteuil et la mobilité dans la journée en fonction du contexte douloureux,
  • d’encourager la réhabilitation postopératoire précoce et d’organiser le retour à domicile dans les meilleures conditions.

D’un point de vue digestif

En opératoire immédiat, il est important de vérifier l’absence de globe vésical, qui peut être favorisé par une rachianesthésie ou l’utilisation de morphiniques, afin d’éviter éventuellement le recours à un sondage évacuateur (sur PM). De plus, afin de limiter tout épisode d’insuffisance rénale, les médicaments néphrotoxiques comme certaines antibiotiques, sont à utiliser avec précaution, sur PM et sous surveillance biologique rapprochée.

Afin de limiter les troubles du transit, notamment provoqués par l’alitement et l’utilisation de morphiniques, il est indispensable de favoriser l’hydratation en proposant au patient de boire au moins un litre et demi d’eau par jour. L’alimentation doit être riche en fruits, légumes et fibres avec une texture adaptée. Cela nécessite quelquefois une aide à l’installation et à la prise de repas.

Le transit ainsi que la diurèse sont évalués quotidiennement, en proposant le bassin, la chaise percée ou l’utilisation de protections.

D’un point de vue ostéo-cutané

Il est nécessaire de s’assurer d’une installation correcte avec des manipulations douces et de vérifier tous les points d’appuis pour prévenir les complications de chutes, d’escarres… Des effleurages peuvent être réalisés plusieurs fois par jour.

Laurence PIQUARD,
Infirmière anesthésiste
Abonnez-vous gratuitement à la newsletter Actusoins

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (juin - juillet - août 2020). 

Il est à présent en accès libre. 

ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.

Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d'informations professionnelles, de reportages et d'enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner. 

Pour s' abonner au magazine (14,90 €/ an pour les professionnels, 9,90 € pour les étudiants), c'est ICI

Abonnez-vous au magazine Actusoins pour 14€90/an

Abonnez-vous à la newsletter des soignants :

Faire un don

Vous avez aimé cet article ? Faites un don pour nous aider à vous fournir du contenu de qualité !

faire un don

Réagir à cet article

retour haut de page
393 rq / 3,468 sec