Soignants : de l’utilité de se former à la prévention de l’agressivité et de la violence

Face à la montée des agressions et des violences dans le milieu de la santé, des formations professionnelles destinées aux soignants, exerçant dans un établissement ou en libéral, sont proposées par de nombreux organismes de formation continue. L’objectif : enrayer ces violences par l’écoute et la compréhension. Cet article a été publié dans le n°39 d'ActuSoins Magazine (décembre 2020).

Soignants : de l’utilité de se former à la prévention de l’agressivité et de la violence

© ShutterStock

« Un jour, aux urgences, nous étions sur le point de prendre en consultation une jeune femme malade. Son mari tenait absolument à l’accompagner dans le box de consultation.  Sauf que ce n’est pas autorisé, se souvient Oriane Bouton-Vialet, infirmière depuis 20 ans. J’ai donc posé un cadre ferme au mari en lui disant que c’était les règles. Le ton est monté. Le médecin est finalement intervenu et a accepté que le mari accompagne sa femme en consultation ».

Combien de fois, les professionnels de santé ont-ils rencontré cette situation ? Ou bien se sont fait traiter d’incapables par la famille d’un patient, ont dû subir un patient énervé refusant un soin, quand ils n’ont pas dû esquiver les coups lancés par une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer refusant d’être changée ?

Plusieurs facteurs expliquent cette violence dans le milieu sanitaire et son augmentation depuis plusieurs années. « Les émotions du patient et de sa famille viennent perturber la perception de la situation vécue. La maladie exacerbe les angoisses et mène à un ressenti passionnel », souligne Dominique Le Pestipon, cadre de santé formateur au sein de l’organisme de formation continue Trilogie santé.

Deuxième raison invoquée : une tolérance à la frustration devenue très faible. « Les patients et les familles sont, comme le reste de la société, devenus individualistes et veulent tout immédiatement. Ils avancent leurs droits sans penser que ceux-ci s’accompagnent de devoirs », continue-t-il. Cette « frustration » se traduit alors par une réaction plus ou moins violente.

Enfin, dernier point, « ces dernières années se caractérisent par un manque de personnels, donc un temps d’écoute moins important, des délais d’attente de rendez-vous allongés…. On enlève du personnel, de l’humain, donc du temps accordé aux patients et leurs proches. Cela augmente les frustrations et donc l'agressivité », ajoute Oriane Bouton-Vialet.

Pour aller plus loin : formations DPC pour les infirmiers et infirmiers libéraux

Désamorçer la violence

Dès les années 80, « les soignants ont exprimé un besoin de compétences relationnelles face à l’agressivité et aux violences apparues dans le milieu hospitalier. Ils se sentent démunis d’autant plus qu’ils peuvent être perçus comme maltraitant dans ces situations », analyse Jean-Claude Monfort, directeur pédagogique du centre de formation Afar.

C’est pourquoi les formations sur la prévention et la gestion de ces situations sont apparues. L’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), créé en 2004 suite au meurtre de deux soignants par un patient, les considèrent d’ailleurs comme « extrêmement utiles », selon son dernier rapport de 2019 (cf encadré).

Comme le précise Oriane Bouton-Vialet, « dans 90% des cas, il n’y a pas d’intentionnalité de violence, celle-ci est conjoncturelle, et peut donc être désamorcée. Les patients ou leurs proches sont dans le choc, le traumatisme, la détresse psychologique… qu’ils déversent sur la première personne qu’ils voient, qui est souvent une infirmière ou une aide-soignante ». « La violence est réversible, abonde Jean-Claude Monfort. Un petit rien peut la faire monter ou bien la réduire en puissance ». 

C’est tout l’objectif de ces formations qui font partie du peloton de tête de celles les plus demandées par les directions d’établissements : apprendre aux participants à « limiter la montée de l’agressivité et à la temporiser », résume l’infirmière, devenue formatrice pour l’organisme de formation Perf Santé, il y a un an.

« La formation permet au soignant de réfléchir à sa relation de soin et à son sens pour communiquer sainement et savoir désamorcer une situation de crise, tout en étant bientraitant et respectueux à la fois du patient ou de sa famille ainsi que de ses valeurs », analyse Dominique Le Pestipon, formateur spécialisé dans « L’agressivité et la violence dans les soins » chez Trilogie Santé.

Au programme : des apports théoriques pour repérer les situations d’agressivité et de violence, comprendre leurs mécanismes et adopter les comportements adaptés.

Les connaissances sont utiles mais « pas suffisantes », estime le responsable pédagogique de l’Afar. Celui-ci préconise donc l’entraînement à l’aide de « simulations santé pour apprendre à apaiser la violence. C’est là l'essentiel ». Ces mises en situations sont élaborées à partir des scénarios imaginés par les stagiaires et inspirés de leurs vécus professionnels. Dans la formation de l’Afar qui dure cinq jours, les jeux de rôle sont filmés pour permettre aux participants de « se voir eux-mêmes » en situation.

Apprendre à écouter, reformuler

Oriane Bouton-Vialet a suivi la formation deux fois dans un des nombreux organismes de formation continue en santé qui la propose.

La première fois, en 2016, elle comprend alors que « cette agressivité n’est pas contre [sa] personne mais relève d’une frustration, explique-t-elle. Cela m’a appris à relativiser ». La seconde fois, cela a été le déclic. « J’ai mieux compris les subtilités de langages, les trucs et astuces pour ce genre de situation ».

Elle a ainsi changé de « posture ». « Ce n’est pas si facile d’écouter et de reformuler sans se laisser embarquer. Ce n’est pas non plus évident de prendre de la distance face à une frustration que l’on ressent peut-être aussi », commente-t-elle. C’est après cette seconde session, qu’elle découvre aussi l’envie de transmettre à son tour ses connaissances sur cette question.  

Avec le recul, l’infirmière-formatrice sait qu’elle aurait pu réagir différemment face à la demande du mari qui souhaitait accompagner sa femme en consultation. « Je lui ai édicté  une règle sans lui donner d’explication. J’aurais dû accueillir sa demande en la reformulant. Lui expliquer à quoi servait ce fonctionnement. Entendre l’angoisse et expliquer permet de désamorcer bien plus vite, décrypte-t-elle aujourd’hui. Il faut une souplesse dans l’accueil de la demande, c’est cela qui fait toute la différence. Les bases sont la communication non violente et l’écoute active. Mais ce n’est pas instinctif ».

Alexandra Luthereau

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Pour aller plus loin Formations DPC :

Formation l’infirmier devant la violence et l’agressivité des patients et de l’entourage

Formation la gestion de l’agressivité et de la violence

Formation Faire face et mieux gérer la violence et l’agressivité des patients et de leur entourage

Formation – Violence et agressivité : outils de prévention et de gestion

Faire face à l’agressivité et à la violence en situation professionnelle

Formation Gérer les situations d’agressivité et/ou de conflits avec les patients et/ou leur entourage

Chiffres de l’ONVS

Créé en 2004, l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) recense chaque année les signalements de ces actes de violence. Dans son rapport publié en 2019, à partir des données de 2018, l’ONVS a comptabilisé plus de 34 000 faits ou actes sur des personnes.

Les violences physiques et les menaces avec arme (arme blanche, arme à feu et en grande majorité objet détourné de son usage habituel) représentent 49% de ces atteintes aux personnes. Viennent ensuite les insultes et injures (32%), les menaces d’atteinte à l’intégrité physique (17%) et les violences avec arme (2%).

Parmi les victimes d’atteintes aux personnes, ce sont surtout les « personnels » de santé, et en particulier les infirmiers (47%), les aides-soignants et autres soignants (44%). Les services et établissements ayant le plus déclaré de violences sont : la psychiatrie (18%), les urgences (16%) et les Ehpad (11%).

L’échelle d’évaluation Epade

En 2018, une équipe de médecins dont le psychiatre Jean-Claude Monfort a élaboré l’échelle d’évaluation chez les personnes âgées des symptômes et des syndromes déconcertants (Epade).

Cet outil permet de « prendre la température psychologique d’un patient en moins de trois minutes », assure le psychiatre. Et d’évaluer la capacité des personnes âgées à épuiser les professionnels.

L’échelle récapitule notamment les quatre « pièges » de la violence et les quatre « chances » pour l’apaiser. D’abord, conçues pour les soins en gériatrie, les situations décrites peuvent s'appliquer à d’autres publics.

 

Cet article a été publié dans le n°39 d'ActuSoins Magazine (décembre - janvier - février 2021)

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Formation l’infirmier devant la violence et l’agressivité des patients et de l’entourage
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