Les énergies au bloc opératoire : mieux les comprendre pour adapter la prise en charge

La nécessité de disséquer, de couper et surtout de coaguler existe, quel que soit le type d’intervention pratiquée au bloc opératoire. Lors d’une intervention, le chirurgien va donc utiliser différentes sources d’énergie en fonction des gestes qu’il aura à effectuer.

Les énergies au bloc opératoire : mieux les comprendre pour adapter la prise en charge

Quelles sont ces différentes énergies, comment fonctionnent-elles et quelles sont les précautions à prendre lors de la préparation préopératoire du patient en fonction de leur utilisation ?

Principe de base : l’électricité

L’électricité est une forme d’énergie produite par un flux d’électrons se déplaçant à l’intérieur d’un conducteur. Ce déplacement est dû à la différence de potentiel entre les deux extrémités de ce conducteur et doit s’effectuer dans un circuit fermé afin que les électrons glissent d’atome en atome. Ce flux de courant continu entraîne une production de chaleur. De plus, si une résistance à ce flux existe, la chaleur sera plus importante. Il est à noter que l’électricité cherche toujours le chemin offrant le moins de résistance, du fait de la notion de conductivité (Tableau 1a) (Tableau 1b).

Tableau 1a : Unités de mesures de l’électricité

Tableau 1b : Résistance spécifique pour différents types de tissus à +/- 300 kHz (source Erbe)

Des actions modulées sur les tissus

Effet de l’échauffement sur les tissus biologiquesLe chirurgien peut moduler ses actions en jouant sur le voltage, la fréquence, la puissance du courant, faisant ainsi varier la température appliquée sur les tissus. Il obtient des effets variables en fonction de la température atteinte et de la résistance des tissus, allant de la simple hyperthermie (à partir de 40°) jusqu’à la vaporisation (à partir de 300°) (Tableau 2).

Le chirurgien à donc à sa disposition différents outils et différents types d’énergies électriques pour effectuer ses gestes opératoires : 

  • l’électrochirurgie en mode monopolaire, bipolaire ou diffusée par gaz d’argon.
  • la thermofusion ou bipolaire avancée (type Biclamp® BiCision® Thermocut ® ou Ligasure®).

L’électrochirurgie

« L’électrochirurgie consiste à appliquer un courant électrique de haute fréquence sur des tissus biologiques dans le but d’obtenir un effet thermique utilisable à des fins médicales », selon la définition d’Erbe Elektromedizin (voir bibliographie).

La plupart des bistouris électriques actuels fonctionnent sur le principe de transformation de l’électricité en chaleur par le biais d’un instrument. Le patient étant conducteur, il est relié à l’appareil générateur par deux électrodes formant un circuit fermé (générateur → patient → générateur).

Deux modes de fonctionnement existent en chirurgie haute fréquence : monopolaire ou bipolaire.

L’énergie monopolaire

Schéma circuit monopolaireL’énergie monopolaire est utilisée en première intention quel que soit le geste chirurgical. Le trajet électrique se défini par :

Un générateur → une électrode active positionnée dans le patient (instrument) → le corps du patient → une électrode retour (plaque ou électrode neutre) collée à un autre endroit du corps du patient → retour au générateur. (Schéma 1)

Le courant traverse le patient depuis l’électrode active vers l’électrode neutre, en suivant le chemin offrant le moins de résistance, tout instrument conducteur susceptible d’être utilisé devra donc être correctement isolé.

La fonction de la plaque retour (électrode neutre) est de permettre la sortie du courant du corps du patient de manière sécurisée et le retourner au générateur. Elle est plus grande que l’électrode « active ». Elle doit être positionnée de façon à être sur une large zone musculaire la plus proche possible du site opératoire afin d’éviter que la traversée du courant ne passe par le coeur du patient ou un dispositif médical implanté (pacemaker par exemple). Elle ne doit pas être en contact avec du métal ni d’autres matières inflammables.

Lors de la préparation préopératoire les équipes de service de soins et du bloc opératoire, veilleront à ce que les patients ne portent aucun élément susceptible de conduire l’électricité afin d’éviter les brûlures. (Tableau 3)

Relation principes-risques : préparation de l’opéré et installation en salle

L’un des dangers de l’utilisation des bistouris monopolaires, est la création d’un arc électrique involontaire. Celui-ci s’apparente aux décharges électriques arborescentes émanant de la foudre lors d’un orage. Il peut se produire car le courant n’est pas concentré en une zone restreinte mais traverse le corps du patient notamment pour des voltages élevés. Lors des coelioscopies, le pneumopéritoine créé est un milieu favorisant la propagation du courant sous forme d’arcs électriques car c’est un milieu aérien, fermé et humide.

L’effet sur le tissu dépend de la rapidité et de l’intensité de production de la chaleur. La coupe ou section, résultera de l’application d’un courant continu, de faible voltage et de fréquence élevée produisant rapidement une forte chaleur.

Mais plus le temps d’application est long, plus la zone de chaleur est importante, plus le risque de lésions des tissus périphériques augmente. De ce fait, l’effet de section est plus efficace sur la peau ou le muscle (tissu ayant une composante aqueuse donc agissant comme un conducteur important) que sur la graisse (tissu peu conducteur).

La coagulation, elle, sera issue d’un courant discontinu, de fort voltage mais de basse fréquence produisant une chaleur plus faible.

Les électrodes monopolaires sont réservées à la coagulation de vaisseaux de petit diamètre car le sang absorbe la chaleur et empêche la transmission du courant électrique à la paroi opposée du vaisseau. De ce fait, la paroi en contact avec l’électrode peut se dessécher avant l’autre, se percer et créer un saignement.

L’énergie bipolaire

Schéma circuit bipolaireL’énergie bipolaire est essentiellement utilisée pour la coagulation des vaisseaux n’excédant pas 7 mm de diamètre.

Intégrant les deux électrodes dans un même instrument, le circuit se schématise par : un générateur → une électrode active positionnée dans le patient → le tissu ciblé du patient → une électrode retour dans le même instrument que l’électrode active → retour au générateur. (Schéma 2)

Le courant ne traverse pas le corps du patient mais se limite aux tissus situés entre les deux mors de l’instrument, l’utilisation de plaque de retour n’est donc pas nécessaire. La zone de transfert de la chaleur étant considérablement réduite, le risque de détérioration des tissus périphériques est tout autant limité.

Cependant le mode bipolaire ne permet pas la section des tissus ou vaisseaux (sauf lors d’utilisation de ciseaux bipolaires).

L’argon

Schéma circuit au gaz d’ArgonL’argon est un gaz inerte stable, facilement ionisable, donc un bon conducteur. Combinée à l’énergie monopolaire, la diffusion du gaz permet la transmission de l’électricité par arcs électriques provoquant une coagulation sans contact direct avec les tissus évitant les accolements de ces derniers à l’instrument et leur déchirement. Il est utilisé principalement pour la coagulation de saignements diffus, la dévitalisation superfi cielle ou la réduction de volume par rétractation, en chirurgie thoracique, dermatochirurgie, chirurgie ophtalmique… (Schéma 3)

La thermofusion

La thermofusion ou « bipolaire avancée » combine le mode bipolaire et l’analyse en temps réel du tissu concerné. Cette analyse consiste à calculer l’énergie nécessaire à l’hémostase des tissus ciblés, offrant une optimisation du mode bipolaire et une réduction maximale des lésions tissulaires périphériques.

Le dispositif choisit les réglages appropriés à l’hémostase en fonction de la constitution des tissus, délivre l’énergie pulsée et contrôle en continu la résistance au contact de l’électrode retour. Au moment où la fusion est efficace, il arrête automatiquement de délivrer de l’énergie et informe l’utilisateur par un signal sonore.

La combinaison des deux mécanismes – force physique (pression des mors de la pince) et élévation thermique – entraîne une dénaturation des protéines de collagène et d’élastine de la paroi. La fusion des parois occulte la lumière des vaisseaux. Cet effet est stable et permanent. Le caillot devient visible. La section peut se faire en toute sécurité.

Certaines pinces à thermofusion sont équipées de lames froides intégrées permettant de réaliser la section sans changer d’instrument, un avantage comparé aux pinces bipolaires classiques.

>> LIRE AUSSI - L’hémostase, une incroyable mosaïque de réactions ordonnées ! >>

Les autres technologies

Depuis la création de l’électrochirurgie, d’autres technologies sont venues compléter la panoplie des opérateurs afin de rendre leurs gestes de plus en plus précis et réduire au maximum les inconvénients liés à l’usage des énergies monopolaires et bipolaires (zone d’effet sur les tissus périphériques, risques de brûlure du patient…). Les générateurs transformant l’électricité en vibrations ultrasoniques (Ultracision®, Sonicision®, Sonicbeat®), ceux la convertissant en lumière (LASER) ou plus récemment, ceux couplant les ultrasons et l’énergie bipolaire (Thunderbeat®) font partie de la nouvelle panoplie de technologies disponibles.

Sabrina JACMARD,
Infirmière en Bloc Opératoire à l'Institut Curie
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Bibliographie :

« Bistouris à ultrasons en chirurgie : états des lieux en 2015 ». Boy Lauriane Université Toulouse III Paul Sabatier
« Principes de l’électrochirurgie ». Erbe
« Matériel et principes d’électrochirurgie ». Université Médicale Virtuelle Francophone 2008-2009
• HAS Santé
« Principe de base du bon usage de l’électrocoagulation en chirurgie ». Corporation IBODE

Historique

L’hémostase par la chaleur est connue depuis le Moyen-âge. Les arabes utilisaient des cautères pour stopper les hémorragies. La technique fut améliorée au XVIe siècle par Ambroise Paré qui introduisit l’utilisation de tiges de fer chauffées à blanc sur les plaies pour les cautériser. A partir de 1875, naît l’électrocoagulation. Un courant électrique passe par de fines boucles de fils produisant une chaleur intense, permettant une coagulation de contact.

En 1890, d’Ansonval découvre qu’un courant d’une fréquence d’oscillation supérieure à 100 000 hertz ne produit pas de dépolarisation nerveuse et n’entraîne donc pas de contractions musculaires ni de stimulations douloureuses des nerfs lors de son utilisation. Cette découverte combine la production de chaleur et la coagulation des tissus ciblés. Cette technologie n’a cessé de se perfectionner depuis avec l’invention des premiers générateurs à hautes fréquences par De Forest, Clark, Beer et Bovie (de 1908 à 1928), permettant l’utilisation de courant de coagulation et de coupe des tissus. Les dernières évolutions permettront la création de générateurs « isolés », c’est-à-dire non reliés à la terre, nécessitant l’utilisation d’une plaque positionnée sur le patient. Ils utilisent l’énergie domestique et la transforment en courant d’une fréquence comprise entre 200 kHz et 3,3 MHz afin de s’affranchir de la stimulation des nerfs et des muscles.

Les précautions d’usage

Du fait des divers besoins chirurgicaux, les précautions d’usage concernant la préparation de l’opéré s’appliquent de manière générale et systématique à tous les patients allant au bloc opératoire :

  • pas de sous-vêtements,
  • pas de bijoux,
  • signalisation de matériel orthopédique,
  • signalisation de dispositifs médicaux actifs,
  • maitrise de l’utilisation des produits conducteurs (antiseptiques alcooliques).

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