La vie de château pour la santé de tous

En 2018, le Château en Santé a abrité plus de 5 000 consultations avec des professionnels du médico-social dans un quartier qualifié de désert médical. Le lieu est devenu incontournable. Article paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre 2019).

Christophe Roux, infirmier au Château, en consultation

Christophe Roux, infirmier au Château, en consultation. © Sandrine Lana.

La cité Kallisté dans le 15ème arrondissement de Marseille est en travaux pour sa rénovation totale.

Ces immeubles hauts de dix-huit étages sont vieillots et fatigués. Des tours d’habitation sont en train d’être démolies. Quelques passants circulent ici, vers la pharmacie, vers l’arrêt de bus ou l’école.

Au milieu de la cité construite dans les années 1960, le Château en Santé, centre de santé communautaire associatif, a été ouvert en janvier 2018 par des soignants convaincus de l’importance de l’« aller-vers » dans un territoire déserté par l’administration publique et les professionnels de santé.

Au rez-de-chaussée, la vaste salle d’attente reçoit les patients, une fois l’accueil pour l’inscription passé. C’est aussi là que la plupart des rendez-vous avec les soignants se prennent, davantage que par téléphone. Des enfants dessinent et accrochent leurs dessins au mur. Les adultes se font un thé, un café. Une médecin et l’assistante sociale reçoivent ce matin dans des bureaux mitoyens.

Beaucoup de femmes et d’enfants fréquentent le centre. Ils viennent des cités environnantes : Kallisté, la Granière, la Solidarité, les Bourrely. « C’est plus près que l’hôpital Nord et on est toujours bien reçus », reconnaît Béatrice Kherrab qui fréquente le centre depuis son ouverture. « C’est convivial, les soignants prennent le temps de nous expliquer. Ce n’est pas ‘à la chaîne’ comme à l’hôpital».

Un projet infirmier

Les soignants qui ont imaginé ce projet ont décidé de s’installer au centre de Kallisté car les déterminants sociaux de santé y étaient les plus mauvais de Marseille. « C’est un bassin de population qui regroupe 18 000 personnes et il n’y a que deux médecins actifs dont un en fin de carrière», explique Christophe Roux, infirmier, qui a imaginé le projet et convaincu l’ARS avec des confrères depuis plus de sept années.

L’approche de la santé publique, sous le prisme de la santé communautaire, a modelé l’offre de soins : les professionnels de santé présents répondent aux besoins identifiés par et pour la population locale. Par exemple, les femmes étant les plus nombreuses à être reçues en consultation, les médecins traitants ont toutes des compétences en consultation gynécologique.

Pour être au plus près des besoins repérés, le Château en Santé a lié des partenariats avec l’association Marseille Diabète ou Santé & Habitat en charge de diagnostic sur la salubrité des logements. Christophe Roux en est référent et travaille à la prévention des maladies liées au plomb présent dans certains appartements.

L’équipe est composée de sept médecins généralistes, d’une assistante sociale, de deux orthophonistes, deux médiateurs en santé, d’une assistante, de deux infirmières Asalée. Au Château, il n’y a pas de hiérarchisation des postes mais une entraide aussi formelle qu’informelle entre les professionnels, tous salariés.

Ce matin, Christophe Roux assure l’accueil. Ce poste-clé permet de connaître le public du centre.

Transversalité des tâches

Apo Acikyuz, médiateur et interprète d'origine kurde. Au fond, la salle d'attente et les nombreux dessins des enfants

Apo Acikyuz, médiateur et interprète d'origine kurde. Au fond, la salle d'attente et les nombreux dessins des enfants. © Sandrine Lana.

Sur l’ordinateur qui lui fait face, il consulte un dossier patient. « Nous partageons ici le secret médical et avons tous le même accès au dossier. Cela nous sert à poser un regard croisé sur tous les patients, notamment lors de nos réunions hebdomadaires ».

L’équité et la transversalité des tâches sont deux piliers de la structure : les salaires y sont d’ailleurs compris entre 1400€ et 2000€ nets mensuels.

Le Château a opté pour le statut d’association où des salariés siègent au conseil d’administration, aux côtés de personnes de confiance issues du secteur médico-social ou de la recherche, en collège solidaire[i].

La transversalité se ressent également dans la prise en charge individuelle. Les patients non-francophones ont la possibilité d’être reçus par des professionnels de santé, accompagnés par un ou une médiatrice en santé.

Ces interprètes sont là pour faciliter la compréhension des actes médicaux, les interactions et donc, la prise en charge.

Les deux médiateurs, respectivement d’origine kurde et comorienne, attirent des patients de loin : « des Kurdes du quartier et de beaucoup plus loin viennent ici car je suis présent pour expliquer les différents documents et être présent lors des rendez-vous », explique Apo Acikyuz, médiateur en santé.

Si un professionnel ou un patient estime qu’il a besoin d’une aide linguistique, ils ont la possibilité d’appeler les interprètes-médiateurs de l’association Osiris pour une aide téléphonique.

Asalée au château

Apo Acikyuz, médiateur et interprète d’origine kurde, accompagne parfois les infirmières en consultation, Carole Coquantif et Christophe Roux.

Tous deux sont des infirmiers "Asalée", travaillant en coordination avec les médecins du centre.  « Nous restons des salariés du Château en Santé et nous avons signé une convention avec l’association Asalée qui subventionne en partie ces postes. », explique l’infirmier.

Ils travaillent ainsi sur les axes du protocole Asalée : diabète, facteurs de risques cardio-vasculaires, sevrage tabagique et font aussi un travail important d’éducation thérapeutique du patient très inclusif. Des financements particuliers de l’ARS permettent aux patients de bénéficier notamment de consultations avec une diététicienne sur place, au Château.

Carole Coquantif promeut la mobilité de ses patientes en organisant une fois par semaine une sortie promenade non-mixte dans les collines environnantes.

«Deux patientes se plaignaient de leur surpoids, voulaient prendre du temps pour elles, se faire du bien. Se mettre en mouvement, c’est très bon ! Au fil des saisons, c’est l’occasion de découvrir les plantes, les saveurs,…  Maman de deux enfants, je peux aussi parler de mon expérience de la parentalité. L’idée, c’est que je ne sois pas indispensable pour que ce moment ait lieu. Aujourd’hui, ces femmes qui ne se connaissaient pas, il y a un an, se rencontrent, parlent de cuisine, marchent ensemble. », explique-t-elle. Pour promouvoir les activités plus sociales, culturelles, l’infirmière est en contact avec les centres sociaux les plus proches.

La consultation infirmière permet parfois de déceler des besoins d’accompagnement plus social, et vice versa.

Carolina Moyano, l’assistante sociale, tient également sa porte ouverte avec ou sans rendez-vous :« j’aide à comprendre les dispositifs de garde d’enfants existants, les procédures d’ouverture de la CMU ou à résoudre un problème de logement. Des personnes sont orientées vers moi. Même les orthophoniste peuvent sentir quand une famille a un parcours de soin compliqué ou détecter une situation de handicap. » Les orientations se font beaucoup de manière informelle.

L’équipe du Château est très soudée, déjeune autour d’une grande table garnie des plats de chacun, propice aux échanges. Dans les prochains mois, ils espèrent recruter un ou une psychologue, un besoin identifié en concertation avec les patients.

Sandrine Lana

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[i]     L’association n’a pas de président, secrétaire ni trésorier, remplacé par un collège solidaire où tous les membres sont responsables.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2019)

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