L’influence de l’expérience patient dans l’offre de soins libérale

La prise en compte de l’expertise patient s’est considérablement développée dans les services hospitaliers. Dans les prises en charge libérales les patients peuvent aussi avoir leur mot à dire et intervenir sur la pratique des soignants. Article paru dans le n°33 d'ActuSoins Magazine (Juin 2019).

Amah Kouévi, fondateur de l'Institut de l'expérience patient

Amah Kouévi, fondateur de l'Institut de l'expérience patient. © DR

« Il peut être intéressant pour les professionnels de santé de s’arrêter sur ce que vivent les patients et d’adapter leur perspective », soutient Amah Kouévi, fondateur de l’Institut de l’expérience patient.

La notion de patient expert se distingue de l’expérience patient mais, dans les deux cas, il s’agit de composantes de la démocratie sanitaire et de la participation à l’offre de soins.

Ces deux visions du rôle du patient dans le système de soins ne s’opposent pas mais l’une des deux approches est plus globale que l’autre.

La notion de patient-expert repose principalement sur l’idée qu’un patient a acquis de solides connaissances sur sa maladie (lire aussi sur ActuSoins.com : "Quand le patient devient acteur du système de santé").

Son expérience et ses compétences sont alors de solides atouts pour établir une relation de confiance avec les autres patients et avec les professionnels de santé.

Il ne remplace pas le soignant mais favorise le dialogue entre équipes médicales et malades.

Généralement le patient-expert est formé à cette expertise. C’est le cas notamment à l’Université des patients, fondée en 2009 par Catherine Tourette-Turgis, enseignante-chercheure, qualifiée professeur des Universités, qui dirige le master en éducation thérapeutique à l’Université Pierre et Marie Curie.

Ce master forme des personnes ayant vécu un épisode de soins, afin de conforter leur expérience en santé et leur permettre de devenir des patients-experts davantage impliqués.

« L’expérience patient, que nous défendons au sein de l’Institut est plus vaste car elle concerne ce que tout un chacun peut être amené à connaître en tant qu’accompagnant et patient sur la maladie chronique, l’épisode aigu », rapporte Amah Kouévi.

Un enjeu pour les patients et les soignants

Solliciter l’intervention des patients est un enjeu tout d’abord pour le patient. « Il doit prendre conscience que son savoir expérientiel a un intérêt et une valeur, considère le fondateur de l’Institut de l’expérience patient. Souvent, il garde pour lui son ressenti, son analyse d’une situation donnée, et ne la partage pas avec le professionnel de santé qui le prend en charge. Ce dernier en a pourtant besoin pour répondre au mieux aux besoins des patients et éventuellement revoir sa pratique. »

Ce type de comportement est historique entre le sachant, à savoir le professionnel de santé, et tous les patients qui sont en situation de vulnérabilité. L’équilibre de la relation n’est pas acquise, ni admise, d’autant que le patient ne comprend pas toujours les tenants et aboutissants de son parcours de santé qu’il subit parfois. « Même si de plus en plus de patients cherchent à garder la main sur la conduite de leur parcours, ce sont encore les professionnels de santé qui sont à la manœuvre », indique Amah Kouévi.

Et d’ajouter : « Nous cherchons à encourager et à faire comprendre aux professionnels de santé tout l’enjeu qu’ils ont à aller au devant des demandes des patients pour améliorer la prise en charge. » Pour se faire, ils doivent prendre du temps pour échanger avec eux et envisager des changements lorsqu’ils discutent, par exemple, de la qualité de la prise en charge.

« Les soignants peuvent par exemple intégrer des patients à certaines de leurs réunions de travail ou organiser la collecte et le recueil de leurs avis avec un questionnaire afin de savoir comment changer une organisation », propose Amah Kouévi. L’expérience des patients devient une ressource à capter et à analyser pour améliorer l’offre de service en santé. L’échange, qui concerne donc tous les patients et pas uniquement les patients chroniques, est envisagé dans un bénéfice plus global.

Une question de confiance

Jean-Luc Plavis, membre de l'université des patients

Jean-Luc Plavis, membre de l'université des patients. © DR

« La prise en compte de l’expérience patient par les professionnels de santé repose avant tout sur une question de confiance, soutient Jean-Luc Plavis, membre de l’Université des patients. Si le patient a confiance, il va être mieux amené à échanger sur son expérience et sur ce qu’il vit. Mais si le professionnel de santé ne prend pas le temps de l’écouter, ne repère pas des signaux faibles, cela ne va pas fonctionner. »

Selon lui, chaque patient dispose d’un savoir expérientiel objectif ou subjectif. « Je suis atteint de la maladie de Crohn depuis 30 ans et stomisé depuis 2010, témoigne-t-il. Avec toutes ces années de maladie, j’ai acquis un savoir expérientiel que j’essaye de transformer en expertise. »

Il est d’ailleurs très impliqué dans le milieu associatif et coordonne France Assos Santé pour la région Ile-de-France.

Il participe aux formations de l’Université des patients, notamment sur la branche de la démocratie sanitaire, sur la place des patients dans les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et sur la façon de faciliter la coordination dans la prise en charge des patients complexes.

Il a également cofondé une MSP avec des professionnels de santé.

Proposer un questionnaire

Dans la pratique libérale, malgré une activité qui peut être davantage isolée et morcelée, il est tout à fait possible de tenir compte de l’expérience patient. « L’enjeu est réel car les libéraux font partie de la chaîne de prise en charge. Ils doivent se coordonner et ont ainsi la possibilité de remettre en cause leur mode de travail en tenant compte de l’expérience patient », estime Amah Kouévi.

Il leur est alors bénéfique de se mettre au contact de leurs patients pour maximiser la valeur ajoutée de leur prise en charge. Cela requiert d’être inventif car, chez les libéraux, le temps est convertible en honoraire donc consacrer du temps « improductif » sur le plan de la rémunération reste une question délicate.

Pourquoi ne pas envisager des expérimentations dans des lieux d’exercice libéral comme les MSP ? « Dans le cadre d’une réflexion que nous avons menée sur les consultations externes au sein d’un service hospitalier, nous avons constaté que les patients ne sont pas assez préparés à leur rendez-vous avec les médecins, note Amah Kouévi.

C’est uniquement une fois de retour chez eux qu’ils pensent aux questions qu’ils auraient voulu poser à leur soignant. Une solution a été trouvée : placer dans les salles d’attentes un guide pour les patients et une petite affiche avec une invitation à noter par écrit les questions qu’ils souhaitent aborder avec le médecin.

« Cela peut paraître simpliste mais le patient doit développer une stratégie d’interaction efficace avec le professionnel de santé et doit y être guidé », poursuit-il. Cette solution est simple à mettre en place dans les cabinets libéraux.

« L’expérience patient peut changer les règles de fonctionnement collectif des libéraux, surtout lorsqu’ils exercent dans des MSP, indique Amah Kouévi. Sur le plan individuel, la manière dont chacun se l’approprie va être différente en fonction de sa pratique et de son métier. Les modalités opérationnelles doivent être exploitées et développées. »

L’écoute, la mise en place d’un questionnaire pour en tirer des enseignements et aider les professionnels de santé à mieux comprendre ce que les patients vivent ou encore pour améliorer les pratiques est une bonne idée, selon Jean-Luc Plavis. « Cela peut se faire dans un cabinet libéral, au sein d’une MSP ou encore au cours du colloque singulier », explique-t-il.

Participer à des réunions avec les soignants

Certaines MSP mettent aussi en place des comités d’usagers ou de patients qui se réunissent, échangent entre eux et avec les professionnels d’une structure, afin de faire connaître le point de vue des patients (Lire aussi, sur ActuSoins.com : Professionnels de santé : se former pour collaborer avec des patients partenaires)

« Je participe aux réunions de concertation pluriprofessionnelle dans la MSP que j’ai cofondée, témoigne Jean-Luc Plavis. Au départ, les professionnels de santé étaient un peu sceptiques. Mais aujourd’hui, ils me disent que ma participation apporte un plus à l’équipe. J’ai une droiture, une éthique. Je vois ce qui fonctionne et ce qui marche en interne. Lorsqu’ils réfléchissent à des questions larges comme les déterminants de santé, je peux, en tant que patient-expert, les guider et leur expliquer pourquoi le patient ou sa famille peuvent, dans telle circonstance, réagir de telle manière. Cela permet de s’interroger sur les enjeux de la prise en charge médicale. »

Cette réflexion peut aussi être instaurée sur des questions de santé publique, lorsque des actions sont menées au sein des MSP.

« Aujourd’hui, cette idée de savoir expérientiel est un peu à la mode, estime-t-il. Mais je m’inquiète quand je vois sur Internet des personnes malades qui se considèrent comme coach. Il faut faire attention à leur légitimité et au cadre d’intervention. C’est une bonne initiative, de la part des professionnels de santé, d’interroger leurs propres patients pour avoir un regard croisé sur ce qu’ils font et aider les malades. Mais cela doit être cadré. »

Pour Jean-Luc Plavis, « il faut transformer le savoir expérientiel des patients en expertise mais cela doit se faire en bonne intelligence avec les professionnels de santé et les institutions. En ville, la difficulté est réelle et c’est normal. Je pense que les professionnels de santé sont dans une méfiance et une défiance sur ces dispositifs car ils savent que ce n’est pas si simple à mettre en œuvre et d’en tenir compte dans la pratique au quotidien. »

Du coté des patients, un mouvement est enclenché. Les citoyens ont une aspiration à une plus grande prise sur leur vie, à une plus grande autodétermination. « On sent qu’il y a une volonté plus forte de participer que par le passé », conclut Amah Kouévi.

Laure Martin

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Cet article est paru dans le N°33 d'ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2019). 

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« Nous tenons compte du ressenti des patients »

Florence Libert, infirmière libérale au sein de la MSP Les Allées, à Corbeil-Essonnes et membre de l’association Espace Vie

« L’association Espace Vie, qui regroupe des professionnels de santé, dont ceux de la MSP au sein de laquelle je travaille, dispose d’un comité d’usagers, membre du conseil d’administration de l’association. Ce comité participe aux réunions et transmet le ressenti des usagers. Cela nous permet, en tant que professionnels de santé, de nous poser des questions sur notre façon de travailler et de remettre le patient au centre de nos interrogations. Sa présence nous amène à ne plus accomplir nos actes par automatisme mais en tenant compte du ressenti du patient, de son expérience. En tant que membre du CA, le comité des usagers participe au vote des décisions, aux débats d’idées et, lorsqu’il n’est pas d’accord, il nous le fait savoir.

A titre d’exemple, nous travaillons à la création de Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Le représentant du comité des usagers est venu à nos réunions avec l’Agence régionale de santé (ARS) pour demander du soutien pour le montage des CPTS sur l’Essonne. Il nous suit parce qu’il y croit et il le fait savoir. Nous lui posons aussi des questions sur les décisions que nous prenons, par exemple, concernant l’organisation de journées de prévention sur le diabète et l’insuffisance rénale avec l’ARS et la Caisse primaire de l’assurance maladie. Il nous donne son point de vue et nous permet d’adapter notre démarche. Il est fondamental d’avoir le ressenti des patients et de les prendre en compte dans notre prise en charge. Auparavant, en ville, ces questionnements n’existaient pas. Cela s’installe progressivement. » 

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