Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie,  face aux maladies hépatiques et rénales chroniques

Dans ce territoire ultramarin situé à 17 000 km de la métropole, les maladies chroniques ont bondi ces trente dernières années. Parmi elles, le syndrome hépato-rénal, véritable fléau local lié au boom du diabète. Au CHT Gaston Bourret, dit « Médipôle » de Nouméa, le service de néphrologie et d’hémodialyse permet de prendre en charge les nombreux patients. Article paru dans le n°33 d'ActuSoins (Juin 2019).

Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie afin de créer un cadre agréable pour les malades, le Médipôle comporte de nombreux jardins aux espèces endémiques

Afin de créer un cadre agréable pour les malades, le Médipôle comporte de nombreux jardins aux espèces endémiques. © Marion Parent.

Dans l’écrin ultramoderne du Médipôle, entouré de jardins exotiques [en Nouvelle-Calédonie, 80 % des plantes sont endémiques, ce qui en fait une bulle de biodiversité incroyable, ndla], les malades, qui souffrent environ trois fois plus qu’en métropole de maladies hépatiques, bénéficient de soins de très haute qualité.

Le service de néphrologie et d’hémodialyse s’avère en effet plus que nécessaire alors que la Nouvelle-Calédonie enregistre le quatrième taux le plus élevé de maladies rénales au monde, après le Mexique, les Etats-Unis et Taïwan. (voir encadré ci-dessous).

Les populations mélanésiennes [issues des îles de l’Océan pacifique, ndlr] sont les plus touchées. « Ce sont des patients que nous avons du mal à prendre en charge », détaille Nicolas Quirin, néphrologue métropolitain arrivé en janvier 2001.

Il est régulièrement confronté à des patients souffrant de maladies chroniques qui ont des difficultés à suivre correctement leur traitement et arrivent avec des pathologies à un stade déjà avancé. Une chose est sûre : « Les Mélanésiens ont plus de diabète que les autres habitants et cela se vérifie sur l’ensemble des territoires de la Nouvelle-Calédonie. »

Karine Dolle, cadre de santé, nous présente l’unité d’hémodialyse. « On peut dialyser les patients ici, si besoin », explique-t-elle, en désignant les dix lits disponibles pour les séances.

Pratique puisque les malades peuvent faire des allers-retours entre le service de néphrologie et les urgences de l’hôpital.

Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie Karine Dolle, cadre de santé dans l'unité d'hémodialyse

Karine Dolle, cadre de santé dans l'unité d'hémodialyse. © Marion Parent

Toutes les douze heures, trois infirmières et une aide-soignante se relaient. « Avec toujours, une infirmière d’astreinte 24/24, disponible lors des dialyses d’urgence ou des dialyses hors horaire », précise-t-elle. « Dès qu’une personne arrive en réa, poursuit-elle, l’infirmière d’astreinte se déplace pour la dialyser ».

Le service compte également une coordinatrice de prélèvement d’organe (PMO), qui doit agir dans la journée dans le cas où un patient décède.

Il faut alors s’assurer de la compatibilité entre le donneur et le receveur et, naturellement, de l’accord de la famille. « Nous prélevons les deux reins des patients à destination de deux patients potentiellement greffables ici, puis tout le monde est ensuite transporté en Australie pour réaliser l’opération ».

En effet, la Nouvelle-Calédonie est située à deux heures d’avion de ce pays anglo-saxon, tandis qu’il faudrait compter 24h de vol pour la France métropolitaine, un laps de temps trop important entre le prélèvement et la greffe.

 

Des avancées pour les greffes

Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie,  face aux maladies hépatiques et rénales chroniques

© Marion Parent

D’après une thèse parue en octobre 2018, en cas de pathologie rénale chronique, l’hémodialyse est le traitement le plus commun (pour 72 % des patients), suivi de la dialyse péritonéale. En revanche, l’accès à la greffe est encore largement insuffisant, reconnaît le néphrologue Nicolas Quirin.

Jusqu’en 2012, aucun prélèvement ne pouvait être réalisé sur place et les patients partaient en métropole pour attendre un greffon de donneur décédé (ce qui impliquait de longs mois d’attente sur place) ou pour Sydney, en Australie, voire en métropole, quand ils pouvaient bénéficier d’une greffe avec un donneur vivant, ces deux options étant encore majoritairement le cas aujourd’hui, compte tenu du faible nombre de donneurs potentiels locaux.

Depuis 2012, une ordonnance du 18 avril a étendu les lois de bioéthiques françaises à la Nouvelle-Calédonie et ainsi autorisé le prélèvement sur donneur décédé pour les seules greffes de rein, le patient étant pris en charge à Sydney pour la greffe.

Cela a permis d’uniformiser les pratiques en métropole et en Nouvelle-Calédonie.

Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie Le hall opératoire permet d'effectuer plusieurs opérations en simultané

Le hall opératoire permet d'effectuer plusieurs opérations en simultané. © Marion Parent.

En effet, « la greffe de rein a été très difficile à mettre en place, notamment le prélèvement sur donneur cadavérique, car cela nous faisait rentrer dans les lois de bioéthique et la bioéthique, cela relève du registre de l’État, pas de la Nouvelle-Calédonie[territoire qui ne dépend de la métropole que sur les compétences régaliennes, ndla] », confirme Dominique Cheveau, le directeur général de Médipôle.

« Entre 2013 et 2018, nous avons effectué au Médipôle dix-huit prélèvements sur donneurs cadavériques, à raison de trois à six prélèvements par an, ce qui a permis d’effectuer 36 greffes (deux reins, donc deux receveurs, ndlr). Le taux de refus de 50 % (30 % en métropole, ndlr) est lié à des raisons culturelles, mais la tendance change », explique Nicolas Quirin, bientôt rejoint par un quatrième néphrologue afin de développer la transplantation.

Pour 2019, l’objectif est de procéder aux transplantations directement sur place. « Nous avons une équipe suffisante et pérenne ainsi qu’un un chirurgien vasculaire pour lancer l’activité », précise-t-il. Il aura fallu plus de dix ans pour que les choses se mettent en place mais le Nicolas Quirin est satisfait : « le pas principal à franchir était de réaliser le prélèvement cadavérique et nous le faisons désormais. Nous pouvons être fiers. » Parallèlement, recruter du personnel performant est un autre véritable enjeu. « Dans notre service ultra-spécialisé, nous avons vraiment besoin de gens formés », reconnaît-il.

 

Les « Zoreilles », très présents

Dans le hall opératoire, l'une des spécificité du Médipôle. © Marion Parent

En Nouvelle-Calédonie, une politique de rééquilibrage, autrement dit de « discrimination positive », est menée depuis 1984 afin de favoriser l’emploi local, notamment en faveur des Kanaks, peuple qui a particulièrement souffert de la colonisation française.

Cela n’empêche pas les métropolitains de venir travailler en masse.

Pendant longtemps, les infirmières « sac à dos » sont arrivées, nombreuses, car les conditions de travail leur étaient très favorables : leur déménagement et leur voyage étaient pris en charge, leur salaire conservé et elles bénéficiaient d’une prime de déplacement… « On avait 12 candidatures pour un poste ! », se souvient Marc Fermand, infirmier de bloc opératoire (Ibode) au Médipôle.

Si la tendance est aujourd’hui moins marquée – notamment parce que les hôpitaux métropolitains sont en manque de personnel et qu’ils ne lâchent plus aussi facilement leur personnel – les « Zoreilles », surnom donnés aux métropolitains, sont encore très nombreux, notamment aux postes clés.

Le Médipôle en Nouvelle-Calédonie Les enfants hospitalisés bénéficient de cours à l'hôpital

Les enfants hospitalisés bénéficient de cours à l'hôpital. © Marion Parent

Une problématique à laquelle Nicolas Quirin est confronté, du fait de l’obligation de « pratiquer une politique d’emploi local. » Aujourd’hui, les Européens et les Caldoches (Calédoniens d’origine européenne) occupent majoritairement encore les postes d’infirmières, tandis que les Mélanésiens sont plus représentés sur les emplois d’aides-soignantes hospitalières.

Malgré l’existence d’IFSI en Nouvelle-Calédonie, il faudra encore sans doute attendre avant que les conséquences délétères de la colonisation ne soient corrigées par ces politiques volontaristes.

Le parcours d’Odyl Pradel, infirmière au sein du service de néphrologie et d’hémodialyse, illustre bien ces problématiques. Partie de métropole pour la Nouvelle-Calédonie à l’âge de 22 ans pour un an... elle n’est jamais revenue, charmée « par une terre ensorceleuse ».

Pour elle, pas de doute : « on vient en Nouvelle-Calédonie et on y reste », explique-t-elle en blouse, un sourire aux lèvres. « Je suis arrivée à Gaston Bourret pour un CDD d’un an, puis je suis passée en CDI, enfin j’ai été intégrée fonctionnaire en 2004 ».

Du point de vue du travail, elle voit beaucoup de différences entre ce territoire ultramarin et la métropole. Quand elle est retournée en métropole, elle n’a certes pas eu de mal à retrouver un emploi grâce à son expérience valorisante en hémodialyse, mais elle « n’avait plus les codes » et elle y a « rencontré de nombreux problèmes administratifs » concernant la retraite, le chômage, etc.

En Nouvelle-Calédonie, la vie coûte 30 % de plus qu’en métropole, certes, mais elle a gagné en qualité de vie au travail. « Dans notre service, nous sommes en nombre », contrairement au personnel manquant en métropole, déclare-t-elle, conquise et épanouie. Une différence de taille ».

Delphine Bauer

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actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le N°33 d'ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2019). 

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Le boom des maladies chroniques

« Dans l’archipel, les maladies chroniques ont bondi ces trente dernières années. La faute aux changements de vie très rapides induits par le mode de vie à l’occidentale, notamment pour ce qui concerne l’alimentation », estime Marie-Claire Kabar, cadre supérieure de santé au Médipôle, ouvert en décembre 2016.

Boissons sucrées et aliments transformés, gras et caloriques, ont remplacé les modes d’alimentation traditionnels. Son constat est confirmé par la pédiatre Isabelle Missotte : « l’obésité touche davantage notre pays et nos jeunes, d’où un projet d’éducation thérapeutique et des petits groupes de parole instaurés dans le service pédiatrique ».

Dans une thèse récente portant sur l’accès à la transplantation rénale en Nouvelle-Calédonie, les chiffres sont éloquents : 50 % de la population calédonienne est en surpoids et la prévalence de l’obésité atteint les 26 %. Malgré le plan de santé calédonien intitulé « Do Kamo, être épanoui », adopté en septembre 2018, qui mise sur la prévention, les conséquences de l’obésité en Nouvelle-Calédonie sur les habitants de l’archipel sont importantes.

Médecine traditionnelle

En Nouvelle-Calédonie, la médecine traditionnelle est encore largement pratiquée, surtout en « brousse ». Elle est très éloignée de la médecine allopathique occidentale, puisque elle considère la maladie comme une résultante d’un déséquilibre entre l’homme et son environnement. Les Kanaks estiment en effet qu’ils font partie de la nature et leurs croyances se basent sur la présence des esprits. Ainsi, selon le Dr Paul Kaeze (cité sur le blog Ecrivainducaillou), pour les maux ordinaires, « les gens combinent souvent la pharmacopée traditionnelle et des consultations aux dispensaires ». Mais pour les maladies plus graves, souvent la consultation a lieu trop tard, quand l’état du patient s’est déjà dégradé.

Le très riche écosystème de la Nouvelle-Calédonie a permis l’élaboration d’une pharmacopée, principalement végétale comme l’aloès (contre les brûlures), le pommier kanak qui aide en cas d’intoxication alimentaire, le niaouli qui soulage les rhumatismes et les courbatures ou encore l’hibiscus (toux et jambes lourdes). « Lorsque je constate des réactions hépatiques surprenantes, je demande au patient s’il y a un traitement traditionnel en cours, et si oui, si l’on peut le suspendre », éclaire le Dr Missotte.

Le Médipôle-CHT, un hôpital d’excellence

En décembre 2016, le Médipôle, plus gros investissement public jamais réalisé dans l’archipel, ouvrait. Depuis, les Calédoniens ont accès à un plateau technique qui n’a rien à envier à la métropole, bien au contraire : soins intensifs, réanimation, technologie de pointe (avec notamment la présence d’un hall opératoire, ce qui est très rare, même en métropole). Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’éloignement de certaines îles calédoniennes est parfaitement pris en compte dans le système de soins : si une urgence vitale survient, en l’espace d’une heure, un hélicoptère peut rallier n’importe quel point de Nouvelle-Calédonie. Pour Marc Fermand, Ibode, la Nouvelle-Calédonie, aurait même, du point de vue du ratio nombre de structures de soins versus nombres d’habitants (environ 270000), la meilleure offre de soins de tout le territoire français.

Un système de soins indépendant

La Nouvelle-Calédonie, qui a voté non à l’indépendance lors du référendum du 4 novembre dernier a néanmoins développé un système de santé autonome. La santé ne fait pas partie des domaines régaliens, qui dépendent de l’État français. Depuis les accords de Matignon de 1998, marquant un pas important vers l’autonomie, c’est donc le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, doté d’un budget propre, et les instances de santé locales, qui développent les politiques de santé publique jugées prioritaires.

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