Des Vigilanseuses contre les récidives suicidaires

Aux CHU de Nîmes et de Montpellier, VigilanS, un dispositif innovant de veille - expérimenté dans cinq régions de France – accompagne après leur sortie d’hôpital des personnes qui ont tenté de se suicider. Créer ce lien permet de prévenir et de réduire les récidives. Article paru dans le n°30 d'ActuSoins Magazine (septembre 2018).

Maïté Doulat Olivier, psychologue, une des quatre Vigilanseuses

Maïté Doulat Olivier, psychologue, une des quatre Vigilanseuses. © Myriem Lahidely

« Au moins on est pris en considération, on n’est pas un rebut de la société. » Début août, Michel, un Montpelliérain de 29 ans qui a tenté de se suicider en juin dernier, vient de raccrocher sur ces mots de reconnaissance. Marie-Christine Cartigny rappelait pour la seconde fois, à un mois d’intervalle, cet homme qui vit quasiment comme un SDF. « Quand je l’ai contacté début juillet il était assez hostile et je n’avais pas pu l’évaluer. Aujourd’hui il est plus apaisé, il a m’a raconté sa vie, difficile. »

Cette infirmière du service des post-urgences psychiatriques au CHU de Montpellier, vient de passer la journée, sur son tiers-temps d’appelant/écoutant, à Vigilan’S Languedoc-Roussillon, un casque téléphonique sur la tête, à appeler des patients sortis d’un TS et passés par un service de post-urgences psychiatriques, comme Michel. Ce dispositif de veille et de suivi de personnes fragilisées, initié à Lille en 2015, est en place depuis 2016 dans les CHU de Nîmes et de Montpellier.

A 17h30, elle attend encore l’appel d’une auxiliaire de vie, 49 ans, à qui elle a proposé ce rendez-vous téléphonique. « Cette femme a fait une TS il y a un an, et ne s’est pas fait suivre par un psychiatreElle se sent perdue, elle a des angoisses et parfois des idées noires », confie-t-elle.

Des entretiens téléphoniques d’évaluation

Cette infirmière officie en binôme, dans la cellule opérationnelle de Vigilan’S, basée au sein du Samu, à Vailhauquès. L’équipe compte trois infirmières et une psychologue provenant du même service hospitalier, soit l’équivalent de deux emplois temps plein au total.

Les appelés sont Héraultais, Gardois, ou habitants de l’ex Languedoc-Roussillon, une région dont dix hôpitaux, sur les douze à être dotés d’un service d’urgences et d’un psychiatre, sont aujourd’hui dans le dispositif. « Dix à vingt jours après sa sortie d’hôpital, nous appelons chaque suicidant pour savoir comment il va », précise Marie-Christine Cartigny.

Lors d’un entretien de dix minutes à une demie-heure, l’appelant évalue son état en lui posant des questions sur son humeur, ses angoisses éventuelles, son appétit, son sommeil, la présence ou non d’idées suicidaires, le motif de son geste, ses antécédents, ses amis, sa famille…

« Si le patient semble en voie de guérison, avec un bon étayage médical, il n’est plus rappelé avant six mois », précise l’infirmière. Après les six mois, si tout va bien, et après un entretien d’une demie heure à une heure et demie, le dossier est clôturé. Sinon, la veille est maintenue six mois de plus. Chaque appel sortant ou entrant donnant lieu à l’envoi d’un compte-rendu au correspondant médical. En revanche, « Si nous sentons une fragilité, nous reprogrammons un appel, une semaine ou deux plus tard, voire avant, pour s’assurer qu’il est bien entouré », précise-t-elle.

Au CHU de Montpellier où se trouve la cellule de coordination, le médecin psychiatre du service des urgences est sollicité si la situation s’avère compliquée, si le patient ne veut ni se rendre aux urgences ni que sa famille soit appelée, par exemple. Autre ressource : l’attaché de régulation médicale du SAMU, à même de déclencher une intervention.

Créer du lien

Sandrine Jalade, Infirmière, lors d'un entretien téléphonique avec un patient

Sandrine Jalade, Infirmière, lors d'un entretien téléphonique avec un patient. © Myriem Lahidely

« A l’instar de la télémédecine, cette télésurveillance est un nouveau métier. Les infirmiers et les psychologues y ont une marge d’autonomie beaucoup plus grande », remarque le professeur Guillaume Vaiva, au CHU de Lille, à l’origine du projet. C’est aussi leur connaissance des réseaux et de la réalité des soins qui fait d’eux des intervenants de première ligne de ce dispositif.

Ce rôle d’appelant n’est pas toujours simple. « Faire du lien, évaluer les situations, à distance alors que notre métier est basé sur une présence physique est assez perturbant au début »,confie Marie-Christine Cartigny. « Les gens sont le plus souvent contents qu’on les appelle », se réjouit-elle.

La cellule opérationnelle s’occupe aussi d’appeler et de mobiliser l’entourage du patient, le médecin ou le psychiatre traitant. Et parfois, de faire le lien entre eux. « Les Vigilanseurs font du management de cas », précise Charly Crespe, psychiatre du département urgences et post-urgencespsychiatriques au CHU de Montpellier, coordonnateur de Vigilan’S Languedoc-Roussillon. « Leur rôle au téléphone est complémentaire d’une prise en charge en face à face avec un médecin ou un psychologue ou en hospitalisation », ajoute-t-il.

Avant la mise en place du dispositif, la plupart des patients quittaient le service des urgences aussitôt après leur TS. « Il y avait un fort taux de perdus de vue, car aucune surveillance n’était proposée par l’hôpital », évoque le médecin.

Du téléphone à la carte postale

Désormais, chaque patient suicidant quitte l’hôpital muni d’une carte ressource avec un numéro gratuit à appeler en cas de besoin. Il répond aussi à un questionnaire transmis à l’équipe des Vigilanseurs, qui sert ensuite de base pour le contact téléphonique. « S’il s’agit d’une récidive, l’appel à dix jours ou vingt jours est systématique, les primo étant eux appelés à six mois », précise Marie-Christine Cartigny. « Début août nous avons déjà contacté près de 900 patients de la région, nous en avions appelé 700 sur toute l’année 2017 », indique-t-elle.

Dernier volet du dispositif : une carte postale envoyée une fois par mois pendant quatre mois, en priorité à ceux qui n’ont pas répondu aux appels téléphoniques du service. « A Montpellier l’envoi de cette carte est systématique, pour conserver un lien, leur dire qu’onpense à eux, et leur rappeler le numéro », note Charly Crespe. Certains répondent, parfois, pour dire qu’ils vont bien. 

Myriem Lahidely

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Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°30 d'ActuSoins Magazine (septembre 2018).

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Des passages aux urgences réduits de 12 %

Ce dispositif d’accompagnement des post-suicidants a été lancé dans la région Nord-Pas-de-Calais où le 1ersite a ouvert en février 2015. « La caractéristique de cette démarche est qu’elle vient du terrain, elle paraît simple mais nous y travaillons depuis 20 ans », évoque le professeur Guillaume Vaiva. En quatre ans, le dispositif, en place dans vingt-huit sites de cette région, a permis de réduire le passage aux urgences pour TS de 13 % en moyenne et la morbidité de 12 %. Et ce, dans une région de 4,2 millions d’habitants qui enregistre 12 000 à 14 000 TS par an. « Les bons élèves sont à – 30 % », ajoute ce professeurqui est aussi secrétaire général du Groupement d’études et de prévention du suicide (GEPS).

Et les bénéfices sont suffisamment notables en terme de réduction du nombre de TS pour qu’Agnès Buzyn, ministre de la santé, ait demandé la généralisation de VigilanS à tout le territoire, lors de l’annonce de son Plan d’actions pour la psychiatrie et la santé mentale, en janvier 2018… pour faire face aux 220 000 TS annuelles et aux 11 000 morts, dénombrés en France.

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