Les biais cognitifs, poison inconscient des prises en charge

Les biais cognitifs, inconscients mais inévitables, peuvent avoir des effets néfastes sur la façon dont les professionnels de santé abordent certains patients. Ils ne sont pourtant pas enseignés, pas mentionnés ou presque dans la littérature française, ni évoqués dans les recommandations et protocoles de santé. Pour le Pr Marc Bardou, auteur d'un mémoire sur le sujet, il est urgent que les professionnels de santé se forment pour les repérer et les déconstruire.

Les biais cognitifs, qui font qu'on n' aborde pas certaines personnes de la même manière que d'autres – et donc que les professionnels de santé ne prennent pas en charge certains patients comme les autres – existent chez tout le monde, de manière absolument inconsciente.

Ils portent sur certaines « catégories » de personnes identifiées ou identifiables, soit parce qu'elles sont visées par des représentations sociales négatives (biais d'attribut de groupe) soit parce qu'on a eu avec elles des expériences marquantes (biais d'ancrage).

Marc Bardou, médecin hépatologue et chercheur au CHU de Dijon, a consacré son mémoire d'Executive master en gestion et politiques de santé à Sciences po Paris aux biais cognitifs qui touchent les personnes socio-économiquement défavorisées dans le monde de la santé. Il a élargi son analyse à tous les autres groupes potentiellement stigmatisés (personnes obèses, originaires de certaines régions du globe...).

Biais inconscients

« On parle de biais cognitif face à une erreur constante de jugement (vis-à-vis de tel groupe de personnes, NDLR), explique le Pr Bardou. Si systématiquement, lorsqu'on est confronté à un certain type de patient, on le traite inconsciemment différemment des autres, il s'agit d'un biais cognitif. » Même si consciemment on ne ressent aucune prévention à l'égard de ces personnes... puisque ce biais est inconscient.

Parmi ces biais, on peut citer le biais dit « de clôture prématurée » qui se manifeste par exemple lorsque, pendant un examen clinique, le professionnel de santé cesse à un moment d'analyser les informations, prend position sur un diagnostic et ne s'en écarte pas, même si d'autres informations, qui contredisent son premier diagnostic, lui sont présentées.

Certaines circonstances comme le stress, la fatigue, la répétition de certaines tâches favorisent la manifestation et l'exacerbation des biais cognitifs mais ces biais existent et se manifestent aussi en leur absence.

Les biais cognitifs peuvent intervenir à toutes les étapes et dans toutes les dimensions de la prise en charge, souligne le médecin (examen, diagnostic, choix du traitement, explication, attitude dans le dialogue, etc.). Leurs effets sur la prise en charge des patients et leur santé sont loin d'être négligeables.

« Une étude a montré qu’il y a plus d’erreurs médicales ayant pour origine une erreur cognitive qu’un manque de connaissances ou d’informations. Elle montre aussi que les erreurs cognitives sont en cause dans plus des trois quarts des fautes impliquant une prise de décision diagnostique ou thérapeutique », ont écrit Marc Bardou et Etienne Grass (Chaire santé de Sciences po) dans une tribune parue en juillet 2018 à la suite du décès de Naomi Musenga, la jeune femme décédée en décembre 2017 après un appel au Samu de Strasbourg. L'appel, enregistré et diffusé depuis, montre « une succession de biais cognitifs », observe Marc Bardou, qui ont abouti à minimiser la demande de la jeune fille et à sous-estimer la gravité de son état de santé. Or l'analyse des faits ayant conduit au décès de cette patiente ne mentionne pas du tout ces biais...

Déconstruire

Pas forcément moins grave, il a été démontré qu'en fonction de leur situation socio-économique, les femmes n'obtiennent pas la même prise en charge du cancer du sein, souligne le médecin. Et même si des réunions de concertation pluridisciplinaires sont mises en place pour réduire les différences, le traitement peut ne pas être expliqué de la même manière aux unes et aux autres, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur l'adhésion au traitement proposé, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de perte de chance...

Alors certes, « on n'est pas responsable des biais cognitifs et implicites » qui nous traversent, observe le Pr Bardou. Mais cela ne signifie pas qu'il n'y a rien à faire, au contraire. Il est possible (et même fortement conseillé) de repérer les biais cognitifs. L'université d'Harvard a créé un test d'association implicite (TIA) qui permet de les détecter. Ensuite, il s'agit de les déconstruire, ce qui ne peut se faire qu'en formation, initiale mais aussi continue, insiste le médecin. Mieux vaut en tout cas ne pas compter dans ce domaine sur l'intelligence artificielle, poursuit-il, puisqu'elle « est entraînée par des humains et embarque avec elle les biais implicites de ceux qui l'ont programmée ».

Géraldine Langlois

Ils en parlent aussi 

Des professionnels de santé... et de la sécurité aérienne, réunis dans l'association « Facteurs humains en santé », publient sur Youtube des vidéos destinées à familiariser les soignants, médecins ou paramédicaux, à la culture de la sécurité. Elles leur proposent des connaissances, des techniques et des outils pour limiter la survenue des erreurs et atténuer les conséquences de celles qui peuvent toutefois survenir. 

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Réactions

1 réponse pour “Les biais cognitifs, poison inconscient des prises en charge”

  1. collectia dit :

    Bonjour Madame Géraldine Langlois;

    Auriez vous les references exacts du mémoire du Pr Bardou s’il vous plait ou du moins comment se procurer un abstract ou le mémoire; Un grand merci

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