A côté du parcours judiciaire, le soin en première ligne

Quand des mineurs font face à la justice, des infirmiers les accompagnent tout le long de leur parcours judiciaire. La santé permet de rentrer en contact avec eux, de proposer des soins adaptés et de faire de la prévention. Les infirmiers de la Protection judiciaire jeunesse occupent ainsi un poste à la charnière du soin, du social et du technique. Article paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (Juin 2018). 

A côté du parcours judiciaire, le soin en première ligne

Rabah Amrani, infirmier PJJ en Seine Saint-Denis, devant un graffiti réalisé par les jeunes qu'il suit. © Delphine Bauer

Cécile Girard a exercé dans de nombreux postes, en clinique, à l’hôpital, auprès de personnes handicapées ou âgées, avant de se fixer sur celui qu’elle occupe actuellement. Officiellement, elle est « conseillère technique en promotion de la santé » en Ille-et-Vilaine et dépend de la Direction Territoriale (le niveau local du Ministère de la Justice). Mais cette dernière préfère continuer à s’intituler « infirmière » à la protection judiciaire jeunesse (PJJ). Pour rester, le plus possible, près de l’humain. Auprès de ces jeunes aux parcours chaotiques, Cécile Girard fait en effet du soin un outil pour entrer en contact avec eux. Et c’est là, sans doute, qu’elle trouve tout le sens de son métier.

« Pour moi, le soin n’est qu’un support au relationnel », reconnaît cette quarantenaire. Certes, Cécile Girard s’est tournée vers la protection judiciaire jeunesse à la suite d’un grave accident qui l’a forcée à réévaluer ses capacités. « J’ai dû faire le deuil du monde hospitalier, où il faut courir dans tous les étages », explique-t-elle.

A quelques centaines de kilomètres de là, Rabah Amrani, 48 ans, nous accueille dans les bureaux de la PJJ de son département, la Seine-Saint-Denis, premier département français pour la délinquance juvénile. « Tout y est amplifié, en nombre, en complexité, en gravité », décrypte-t-il. Cheveux ras, allure athlétique, il occupe également le poste de conseiller technique en promotion de la santé depuis vingt ans, après de nombreuses expériences en unité de médecine de l’adolescent, en pédopsychiatrie et en addictologie. A ses yeux, « le domaine de la santé a désormais intégré la prise en charge judiciaire, au même titre que l’éducation, le scolaire ou l’insertion ».

Guillaume Gintrand, directeur de formation à l’UEHC (unité éducative d’hébergement collectif) de Pantin, où intervient Rabah Amrani sur demande, confirme : « pour moi, la santé des jeunes est primordiale », première étape indispensable avant de commencer tout travail avec eux. Il apprécie tout particulièrement la grande disponibilité du conseiller technique en promotion de la santé.

Le soin, un « levier de l’action éducative »

L’infirmier au sein de la protection judiciaire jeunesse agit sous mandat du juge. « Il existe trois dispositions à destination des jeunes : le milieu ouvert, l’hébergement et le dispositif d’insertion, précise Rabah Amrani. Mais les infirmiers PJJ n’agissent pas seuls. Ils font office, dans le parcours judiciaire de ces jeunes, de courroie de transmission entre le monde éducatif et le monde judiciaire.  

« Nous informons les éducateurs de ce que l’on envisage de faire, tout se fait en accord avec eux et le jeune », détaille Cécile Girard. Cela aboutit notamment à des bilans de santé complets, qui permettent de répondre aux besoins médicaux du jeune. « Notre approche est transversale. Nous travaillons sur l’accès à la couverture santé, dont l’ouverture des droits, mais cela peut être de la prévention, ou encore faciliter l’accès aux soins », détaille Rabah Amrani.

Dans ce circuit, l’infirmier joue un rôle particulier : « l’intérêt de notre place est que nous n’avons pas de rapport avec le juge. Nous nous attachons au bien-être du jeune, et sa santé, c’est globalement un champ qu’il aime bien aborder », raconte Cécile Girard. Une façon, comme le souligne aussi Rabah Amrani, d’être « valorisé ». C’est parfois par ce biais que l’instauration de la confiance, rouage essentiel pour une meilleure communication, se joue. « Parfois la santé est le seul moyen de rentrer en contact avec le jeune. Quand la confiance est instaurée, ils reviennent parfois pour autre chose », évoque Cécile Girard.

Des jeunes fragilisés, y compris dans leur parcours de soin

« Il faut toujours garder en tête que ces jeunes ont eu un suivi décousu en santé et présentent des pathologies liées à la précarité. A ce titre, la santé bucco-dentaire est un marqueur social très fort », détaille Rabah Amrani. En effet, entre les ruptures familiales, les décès, des parents chômeurs, « leurs parcours de vie ne permettent pas de se socialiser de manière ‘’classique’’, poursuit-il. Ils développent des conduites à risques en lien avec les difficultés qu’ils traversent, pensant ainsi surmonter ces difficultés ».

Le premier contact avec les jeunes est institué par un entretien. Cécile Girard raconte les écueils à éviter et conseille de ne pas être dans le jugement, notamment quand l’usage des drogues est abordé. Rabah Amrani évoque lui des entretiens « en entonnoir, des questions les plus générales aux plus personnelles ».

Dans tous les cas, il faut savoir trouver la bonne attitude pour collecter les informations nécessaires. « Pour essayer de comprendre pourquoi le jeune est en colère, nous pouvons avoir recours au photolangage [technique de médiation inventée par des psychologues et où la photo sert de média, ndlr]. En utilisant des images, le jeune peut exprimer ses émotions et ses besoins », explique Cécile Girard.

Monter des projets et être en lien avec l’administration

« L’administration met l’accent sur le suivi en santé, perçu comme un levier de l’action éducative », estime Rabah Amrani, qui reconnaît que l’aspect administratif de sa fonction n’est pas nécessairement « naturel » pour des infirmiers habitués au soin. Ce dernier a bénéficié d’une formation d’adaptation « qui permettait de prendre connaissance de l’institution », mais beaucoup s’apprend « sur le terrain ». De fait, les infirmiers PJJ sont amenés à monter des projets : art-thérapie, atelier sur les addictions, sur la santé sexuelle ou psychique. Pour ce faire, ils s’appuient sur un réseau de partenaires qu’ils chapeautent, dont de nombreuses associations en santé.

Cela implique aussi de défendre ces projets auprès de l’Agence Régionale de Santé. « Ce côté politique prend du temps, reconnaît Cécile Girard. Et les temporalités ne sont pas les mêmes, entre l’urgence du terrain et le temps des décisions politiques ». Cependant, garder un pied sur le terrain est la méthode la plus efficace pour rester efficace. « Un projet autour des émotions liées aux addictions, par exemple, ne peut fonctionner que si l’infirmière est sur le terrain », insiste-t-elle.

Delphine Bauer

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le numéro 29 d'ActuSoins Magazine (juin 2018)

Il est à présent en accès libre. ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective. Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d'informations professionnelles, de reportages et d'enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner. 

Pour s' abonner au magazine (14,90 €/ an pour les professionnels, 9,90 € pour les étudiants), c'est ICI

Abonnez-vous à la newsletter des soignants :

Faire un don

Vous avez aimé cet article ? Faites un don pour nous aider à vous fournir du contenu de qualité !

faire un don

Réagir à cet article

retour haut de page
376 rq / 4,827 sec