Infirmières : en première ligne lors de la fin de vie

Bientôt dix ans après l'adoption de la loi Leonetti, quelles questions se posent concrètement les infirmiers face à la question de la fin de vie ? Enquête (parue dans le magazine ActuSoins) auprès de ceux à qui revient cet accompagnement, jusqu'au dernier souffle.

 

©Jean-Louis Courtinat Une exposition présentant se photographies consacrées aux soins palliatifs aura lieu pendant les journées de la Sorbonne du 6 au 11 octobre 2014.

©Jean-Louis Courtinat Une exposition présentant ses photographies consacrées aux soins palliatifs aura lieu pendant les journées de la Sorbonne du 6 au 11 octobre 2014.

Henri, ancien infirmier général aux Hôpitaux de Paris, se souvient. « Dans les années 70, on ne parlait pas d'euthanasie, on était un peu seul devant un malade qui allait mourir. Quand on sentait qu'un malade souffrait, on demandait aux médecins de soulager la douleur, on savait que c'était accélérer la fin de vie. »

L'ancien infirmier estime que le contact avec le patient était plus proche. « On ne portait pas de gant pour la toilette. Et on sentait quand la peau se délitait, qu'elle ne remplissait plus son rôle de protection, qu'elle pouvait laisser passer les infections. On sentait bien que la mort était imminente », lâche-t-il.

Ce rôle d'accompagnement justement était principalement rempli par les infirmiers, « les médecins nous laissaient seuls. Une mission très- trop- lourde nous était confiée ». D'ailleurs, face à la question de la mort, Henri préfère de loin le terme d' « accompagnement ». « Le terme euthanasie est tellement employé qu'il est dévoyé », estime-t-il.

De son côté, Evelyne, infirmière à la retraite qui préfère garder l'anonymat, se souvient elle aussi : « J'ai connu une époque où l'on faisait des injections létales ». Ces « cocktails » de morphine à haute dose, qui étaient injectés aux patients très malades, ceux dont les soignants étaient sûrs qu'ils étaient arrivés en bout de course, sans amélioration possible de leur état, et sur prescription médicale.

« On ne nous a jamais demandé d'achever quelqu'un, mais de l'aider, oui », nuance Henri.

Annie , infirmière pendant 40 ans, garde également beaucoup d'émotions de sa période d'activité. « Ce qui m'a le plus choquée? Que les médecins refusent parfois de donner de la morphine. Leur argument? "Ils vont devenir accro".  Dans ces cas, la douleur des gens était insupportable. Je me sentais impuissante devant les cancéreux en fin de vie. »

Elle se rappelle avec tristesse d'une jeune femme atteinte d'un cancer de l'utérus. « Elle était condamnée. Elle s'est mariée malade, le médecin ne voulait pas prévenir le fiancé. Elle est morte quelques jours après ».

Le tabou de la mort était encore plus fort qu'aujourd'hui. « Mais ces conditions affreuses, on ne les voit plus », concède-t-elle. Entre autres, grâce aux progrès considérables qui ont été réalisés dans le domaine palliatif. « Il est même rare que l'on ne puise pas apaiser la douleur du patient », évalue Michèle, infirmière en activité dans un institut de .

Annie reconnaît qu'en effet, « 90 % des douleurs sont soulagées ». Mais restent ces 10 % qui peuvent rendre terrible une fin de vie.

Ce qui a changé avec la loi

L'année 2005 marque l'adoption de la loi Leonetti, dans un contexte marqué par le cas de Vincent Humbert, jeune homme devenu tétraplégique à la suite d'un accident de voiture. Sa mère, avec un médecin, provoque sa mort en 2003, le jeune homme ne supportant plus d'être prisonnier de son corps, sans espoir de guérison.

L'émotion et la solidarité suscitées par cette affaire ont sans doute accéléré une mission parlementaire, commandée par le médecin et député Jean Leonetti.

Adoptée à l'unanimité, la loi Leonetti condamne l'acharnement thérapeutique, encourage la prise de directives anticipées pour le patient, que les médecins ont obligation de prendre en compte dans la décision collégiale prise avec l'ensemble de l'équipe médicale et la famille.

Les soins palliatifs sont encouragés, sans aide active à mourir autorisée. Ce qui reste la principale critique la pointe d'achoppement des pro-euthanasie qui reprochent aussi aux médecins de ne pas accorder assez d'importance aux directives anticipées.

Mais détracteurs ou partisans, les infirmiers partagent le sentiment d'une meilleure prise en charge de la douleur, objectif ultime des personnels soignants.

« Dans les unités où les gens meurent, il y a une évolution éthique- qu'est-ce qui est le mieux pour le patient?-, dans l'accompagnement -administrer les bons produits-, et culturelle -ils savent que la mort fait partie de la vie, que l'accompagnement dans la mort fait partie de la mission », estime Daniel Carré, membre de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD).

Cependant, les 6 000 places aujourd'hui disponibles en soins palliatifs en France sont largement insuffisantes, et on estime à 30 % les patients qui n'ont pas de prise en charge de la douleur correcte dans leurs derniers jours. En France, la mort, survient très majoritairement à l'hôpital, à hauteur de 60 %. « On meurt mal en France », rappelle Daniel Carré.

Question tabou, l'aide active à mourir existait autrefois, tacitement. La loi Leonetti a uniformisé les pratiques. Mais différentes affaires judiciaires récentes, avec implication de médecins ou personnels soignants jugés pour des faits d'euthanasie, ont rendu les médecins plus prudents.

« Le corps médical a peur que les familles deviennent procédurières et les médecins ont peur devant la possibilité d'un geste létal », estime   Evelyne, ancienne infirmière à l'APHP. Car tout étant très précisément noté, analysé sur le certificat de décès, le moindre doute peut donner lieu à une investigation judiciaire.

« On peut toujours avoir des ennuis pour une surdose, alors que le contraire ne peut être puni », lâche Evelyne, qui regrette par conséquent une prise en charge parfois insuffisante de la douleur et un patient qui trinque.

Un texte méconnu

D'abord, la connaissance des textes. « Très peu d'infirmiers connaissent cette loi », déplore Michèle, ce que le rapport de Sicard de fin 2012 avait déjà pointé du doigt. Nathalie Vandevelde, infirmier qui a coordonné une étude au sein des soignants est arrivée à la conclusion que seulement 46 % des personnels soignants connaissent la loi, que seulement 22 % savent l'interdiction de l'obstination déraisonnable des soins, et que seulement 12 % savent que la volonté des patients doit être respectée...

Des chiffres éloquents qui montrent combien les tenants et les aboutissants de la loi Leonetti sont encore méconnus, y compris dans la pratique. Pourtant, globalement, la profession infirmière soutient la loi et ses avancées. « Le milieu médical s'en accommode », estime Michèle, qui n'est pas pour légiférer sur absolument tout, au risque de « tout faire rentrer dans des cases. »

Face à elle, certains peuvent lui reprocher ces rares cas hors loi Leonetti, les ambiguïtés de situation, comme c'est le cas de la très médiatique affaire Vincent Lambert. Pour Evelyne, cette affaire montre que la loi Leonetti ne va parfois pas assez loin. « L'arrêt des sondes ou des machines respiratoires, considérées comme des soins, et non plus des traitements, peut entraîner une mort longue et atroce », affirme-t-elle.

Le consensus est clair sur la question de la gestion de la douleur. « Il est prouvé que dès que les gens ne souffrent plus, ils sont beaucoup moins demandeurs d'en finir avec la vie », avance Annie, une ancienne infirmière. Face à la douleur des patients, Michèle se rappelle avoir été en « détresse face à l'un d'entre eux. Il hurlait de douleur, je n'arrivais pas à réunir un consensus sur son cas, j'ai du demander à un des pontes du service. Il m'a dit : on ne peut pas vous laisser comme ça, et on a débriefé », raconte-t-elle.

Généraliser les directives anticipées

Sans directives anticipées, le travail des infirmiers est rendu bien plus compliqué. « Nous infirmières voyons bien quand il faut mettre en place certains traitements contre la douleur, dans le respect des directives anticipées », explique Michèle.

Cette question est au centre des préoccupations. « Elles sont encore très peu répandues. Aujourd'hui, elles ne servent à rien », déplore Daniel Carré. « Elles devraient s'appliquer à plein si un consensus entre les proches et le médecin est trouvé », lâche-t-il. « Il faut insister sur le fait que les directives anticipées sont révocables jusqu'au dernier moment, il faut laisser le choix aux gens », éclaire Annie. Le mot d'ordre : généraliser les directives anticipées, qui facilitent le travail au quotidien des infirmiers.

Car si la loi Leonetti répond à la grande majorité des situations, Daniel Carré estime qu'il faut « laisser la porte ouverte à des améliorations. » François Hollande a promis de préparer une nouvelle loi pour compléter l'actuelle, d'ici à l'été. Notamment pour rendre contraignantes les directives anticipées.

« L'euthanasie est un droit qui devrait être accordé mais elle n'est pas une solution sur une fin de vie sans douleur et sans souffrance, estime Daniel Carré. Il faut positionner la mort dans le processus d'accompagnement de la famille, dans le respect de la volonté de la personne, et en appliquant un traitement contre la douleur efficace », recommande-t-il. L'application de la loi Leonetti ou sa modification doit être faite sans souffrance.

Delphine Bauer / Youpress

Pour aller plus loin : les formations sur la douleur pour les infirmiers et infirmières

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