A la découverte de ceux qui soignent différemment

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Pendant un an, de novembre 2012 à novembre 2013, le Dr Bernard Fontanille, médecin urgentiste habitué aux interventions en terrains difficiles, a parcouru le monde. De la Bolivie à la Corée du Sud, en passant par l’Ouganda, la Mongolie et la Chine, il est parti découvrir ceux qui soignent autrement. Cette vingtaine de rencontres avec des guérisseurs a donné lieu à des reportages diffusés sur Arte et à un livre. 

A la découverte de ceux qui soignent différemmentQui sont ces soignants que vous avez rencontrés et comment avez-vous été accueilli ?

Ce sont des chamans, des moines, des rebouteux, des infirmiers... Je ne suis pas allé les rencontrer comme un touriste, je suis venu comme un médecin qui, en sortant de mon rôle de médecin occidental, était curieux de voir et de comprendre comment ils soignent.

Nous avons en commun notre rôle de soignant, ce qui a instauré une forme de reconnaissance entre nous. Tous ceux que j’ai rencontrés ont eu envie d’en parler car nous avons un rapport aux autres qui est identique : nous sommes face à un patient, qui a besoin de nous et nous lui répondons. Cela nous met sur un pied d’égalité, nous avons un rapport de confiance. Pour beaucoup, c’était la première fois que quelqu’un s’intéressait à ce qu’ils font.

Est-ce qu’une rencontre vous a particulièrement touchée ?

Il n’y en a pas qui ne m’ont pas touchées. Mais certains reportages ont été plus difficiles à réaliser que d’autres. J’ai adoré ma rencontre avec une vraie sorcière d’Afrique du Sud, et des chamans m’ont aussi beaucoup impressionné en plein cœur de l’Amazonie. La plupart des liens que l’on a tissés sont très forts. Je suis encore en contact avec certains d’entre eux, mais je sais qu’il y en a d’autres que je ne reverrai jamais car ils sont trop éloignés de la civilisation.

 Est-ce qu’un type de soins vous a étonné ?

Je ne peux pas parler d’efficacité ou de résultats car je ne suis pas resté assez longtemps – au grand maximum 8 jours – à leur côté pour le constater. Mais j’ai remarqué que localement, ces soignants apportent tous quelque chose, ils sont utiles, et donc tous m’ont surpris. J’ai vu des médecines très structurées au Ladakh, et d’autres guérisseurs qui connaissaient parfaitement les bienfaits des plantes et qui m’ont bluffé. J’ai également été impressionné par les Massaïs.

Certains n’ont pas eu le choix de faire ce qu’ils font. Slindile Ntlego, qui vit en Afrique du Sud, voulait être comptable, et aujourd’hui, elle est une sangoma, porte-parole des esprits dans le monde des vivants. En raison de ses croyances, elle n’a pas la vie qu’elle aurait aimé avoir.

 Avez-vous eu l’occasion de rencontrer des infirmières ?

Oui, plusieurs fois, notamment au Brésil ou encore au Népal où une infirmière assure seule la permanence d’un dispensaire. Elle joue tous les rôles. Un médecin vient la voir de temps en temps pour faire le point. Dans les hôpitaux en France, on entend de plus en plus d’infirmières ou d’aides-soignantes dire qu’elles n’ont pas le droit de faire tel ou tel acte. Ce n’était pas le cas il y a 10 ans.

Je ne suis pas nostalgique de cette période car la sécurité des patients passe avant tout. Mais on est en train de se prendre les pieds dans le tapis. Au Népal, cette infirmière fait de nombreux actes, toute seule, car elle n’a pas le choix et le médecin vient de temps en temps et la forme.

 Les personnes que vous avez rencontrées connaissent-elles la médecine conventionnelle ?

Tous en ont entendu parler, et ils leur arrivent de se soigner de cette manière. Mais elle coûte chère et parfois, ils en sont trop éloignés. Il est possible que si notre médecine était gratuite, il n’y aurait plus de médecine traditionnelle. Là, grand nombre des patients n’ont pas accès à autre chose.

Et puis ces guérisseurs ont un peu le même rôle que nos médecins traitants, les gens leur font confiance. J’ai vu des personnes qui ont les moyens de se faire soigner par la médecine conventionnelle mais qui vont quand même voir leurs guérisseurs pour avoir leur avis…

 Quel regard portez-vous sur la médecine conventionnelle après un tel échange ?

Mon regard a changé dans le sens où avant, je me posais des questions et là, j’ai eu accès à des réponses que je n’avais pas eu jusqu’à présent. Par exemple, dans ma pratique aux urgences, j’ai des patients qui ne sont pas toujours satisfaits car je ne leur ai pas apporté une réponse qui leur convenait faute de temps.

Et lors de mes voyages, J’ai vu des chamans en Corée du Sud passer trois jours avec un patient, qui a pu vider son sac. Chez nous, ça lui aurait pris quatre ans de psychanalyse. Je sais que je ne peux pas apporter toutes les réponses à mes patients, d’autant que chez nous, il manque des possibilités pour les patients qui n’ont accès qu’aux médecins alors qu’ils auraient besoin d’autre chose.

 Propos recueillis par Laure Martin

 Dr Bernard Fontanille et Elena Senders, Médecines d’ailleurs, rencontre avec ceux qui soignent autrement, Editions de La Martinière et Arte Edition, 2014, 215 pages, 29 euros.

 

 

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