[Vos blogs] Les carottes sont cuites, je suis en soins palliatifs !

[Vos blogs] Les carottes sont cuites, je suis en soins palliatifs !

Les soignants sont de plus en plus nombreux à transmettre leur vécu et leur expérience à travers des blogs, des livres ou même des scénarios. ActuSoins à toujours eu à coeur de mettre en lumière et de partager ces écrits.

Aujourd’hui, nous vous présentons un billet proposé par Cylie, infirmière depuis 16 ans. Cylie s’est formée en Soins palliatifs (DU), en aromathérapie, en toucher massage et en relaxation. Elle exerce en sein d’une unité mobile de soins palliatifs et a créé le blog “Confiance en soin”. Aujourd’hui, elle nous parle du poids des mots lors de l’ annonce du passage en prise en charge  palliative d’un patient. 

Les carottes sont cuites, je suis en soins palliatifs ! 

La semaine dernière, je rentre dans la chambre d’un patient avec l’interne. Ce monsieur de 57 ans se présente et nous nous présentons à notre tour. Je lui dis que nous venons à sa rencontre pour voir comment nous pourrions améliorer son confort, la prise en charge de sa douleur. Il nous regarde et nous répond :

–  Vous êtes pas les palliatifs ?

Ahaha, les choses étaient dites et je remercie ce monsieur de sa franchise. Un peu comme si aujourd’hui on ne s’occupait du confort et de la douleur des gens que lorsqu’ils sont en fin de vie. Parce que c’est bien ce que notre cerveau interprète à ce moment-là. Si on s’occupe aussi bien de toi c’est que tu vas mourir. Si tu peux guérir alors tu as le droit de souffrir et de serrer les dents pour traverser ce que tu traverses. Elle a la vie dure cette image que d’avoir mal est normal quand on est malade. Mais je m’égare. 

Je lui réponds alors : 

– Et c’est quoi pour vous les soins palliatifs ? 

– Et bien c’est quand on est en fin de vie.

BINGO, vous avez gagné le droit de rejouer, car comme la majorité des soignants et des patients qui liront cet article, soins palliatifs répond à une définition très simple : la fin de vie. 

Alors imaginez un peu le poids que cela peut avoir quand on vous annonce que vous êtes en soins palliatifs ? Ce poids des mots….

Comment ça se passe cette annonce ? 

Et bien il y a plusieurs façons d’assister à cette annonce : 

  • D’un point de vue soignant :

Vous rentrez au staff de 9 h le matin, vous allez aborder les dossiers (et oui un dossier ça s’aborde, comme une jolie fille !) des patients du service, et vous allez arriver à la chambre numéro 102, Mme Findevie, à qui on vient de découvrir de nouvelles métastases. Le médecin déclare : « Mme Findevie passe en palliatif », on inscrit dans son dossier « palliatif », comme on dit dans le langage populaire soignant : “on la met en soin palliatif “. 

Mais qu’est-ce que ça veut dire mettre quelqu’un en soin palliatif ? Vous mettez de la farine dans votre pâte à gâteau, vous mettez vos enfants dans la voiture, vous mettez votre chien à la fourrière, mais comment vous pouvez mettre une personne dans quelque chose qui ne se voit pas ? 

Quand vous arrivez à l’hôpital on vous dit : Bonjour madame, vous avez une appendicite, on va vous mettre en soin curatif ! Non certainement pas.

Ça n’a aucun sens… 

À 8h52 cette patient n’est mise dans rien à part dans son lit, à 9h10 elle est mise en soin palliatif .  PAF !

Et vous alors vous faites quoi ? Et bien sans vous rendre compte, vous allez changer la façon de rentrer dans sa chambre, la façon de parler avec cette personne, la façon de dire bonjour à sa famille. Mais est-ce que vous savez, qu’avec cet élan plein de compassion, que les patients et leur famille eux-mêmes vont percevoir un changement ? Parce que c’est brutal. Souvent ils témoignent du comportement devenu bizarre des soignants, des choses qui ont changé….

Et c’est tout le regard, les décisions, la réflexion qui va s’en trouver changer juste parce que nous avons collé l’étiquette “soin palliatif” à un patient qui n’est, ni plus ni moins, le même que la veille de cette décision. 

Comme au supermarché, quand les produits sont étiquetés en promotion, on ne les regarde plus pareil.

  • D’un point de vue patient :

Alors là je vous raconte le récit de cette dame de 47 ans , fumeuse, à qui on découvre un cancer du poumon. Elle me dit :

« Mais je l’ai vu, à ses yeux je l’ai vu, à sa façon de rentrer dans la chambre. Déjà d’habitude il vient seul (le médecin), là il avait un interne, un étudiant en médecine de 2eme année. Bizarre… Il s’est assis au pied du lit sur une chaise, d’habitude il reste debout… Et là, il a commencé à me parler, sans me regarder. Là je me suis dis …. Oulala lui il est mal, il a une mauvaise nouvelle à m’annoncer. Et il m’a tout dit, parce que je voulais tout savoir. Il m’a dit mon cancer, mes métastases, le fait que je ne guérirai pas de mon cancer mais qu’on allait tout faire pour ralentir sa progression, il m’a tout annoncé et il a attendu. Il a sûrement attendu une réaction, des pleurs, des cris, bref je ne lui ai rien donné de tout cela car je m’y attendais. Je savais dans mon corps que les carottes étaient cuites ».

Et voilà, cette dame elle savait tout, et elle en plus, elle a perçu toute la détresse des soignants, au milieu de la sienne. Waouuu ! 

Ce qu’elle nous apprend, c’est que le plus important dans tout ça, c’est de se caler à la temporalité du patient. Où en est il ? Que veut-il savoir ? Est-ce qu’il est important de prononcer ce mot, ce mot si lourd de connotation de mort aujourd’hui dans notre société ?… 

Pour qui colle-t-on l’étiquette de soins palliatifs ? 

  • Pour rassurer les soignants sur le fait qu’ils ont été honnêtes, qu’ils ont bien informé que la médecine ne pourrait pas sauver ce patient ? 

  • Pour que le patient ne nous reproche pas de ne pas lui avoir dit que les carottes étaient cuites ? 

  • Pour justifier une décision ? 

Finalement ne le fait-on pas surtout pour rassurer les soignants ? 

Parce qu’en fait soins palliatifs, ça veut juste dire que la maladie dont souffre la personne est une maladie incurable. Ni plus, ni moins. Mais dans cette incurabilité il y a tellement de choses à faire ! 

  • D’abord parce que la médecine progresse et que les durées de vie s’allongent malgré qu’il n’y est pas de traitement de guérison. Cela peut se compter en année.

  • Ensuite parce que quand il n’y a « plus rien à faire » il y a tout à inventer.

  • Et enfin, sûrement la chose la plus essentielle, pendant que l’on discute, le patient reste un être de vie, une personne dans le présent, ici et maintenant. 

Alors les soins palliatifs en fait, ce sont des soins de vie, pour des personnes en vie, qui veulent profiter du temps qui leur reste à vivre, avec des soignants qui ont envie de les accompagner dans la vie.

Les carottes sont cuites…. A table ! 

ActuSoins remercie Cylie pour ce partage et vous invite à découvrir son blog : Confiance en soin.com

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