Prévention en santé au travail : la proposition de loi qui déçoit les infirmiers

Prévention en santé au travail : la proposition de loi qui déçoit les infirmiers

La proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail est en cours d’examen au Parlement. Une partie du texte est consacrée aux infirmiers de santé au travail. Mais les représentants infirmiers regrettent le peu de changements concrets.
Prévention en santé au travail : la proposition de loi qui déçoit les infirmiers
© ShutterStock

« Ce texte n’apporte pas de modifications majeures par rapport à l’ancienne réforme, regrette Nadine Rauch, présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT). La proposition accentue certains points, mais tout était déjà écrit dans l’ancien texte qui régit la santé au travail. »

La proposition de loi découle de l’accord national interprofessionnel sur la santé au travail signé 9 décembre 2020 par les différents partenaires sociaux, qui s’applique à l’ensemble des secteurs d’activités sur le territoire national. « Nous n’avons pas été associés à cet accord alors que nous sommes les premiers concernés, regrette l’infirmière. On nous demande de monter en compétences, de nous former, d’être autonomes, mais lorsqu’il s’agit de faire une réforme, nous n’apparaissons nulle part. »  

Formation complémentaire obligatoire

Le texte de loi consacre un article complet (article 23) aux infirmiers de santé au travail. Il prévoit que « si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et avant le terme de son contrat ».

Il doit aussi favoriser sa formation continue. « Concrètement, nous ne savons pas de quoi il s’agit, regrette Nadine Rauch. Cette formation était actée dans l’autre texte, et déjà à l’époque, il ne précisait ni le type de formation, ni la durée, donnant ainsi lieu à une absence d’uniformisation sur le territoire. Désormais, il va falloir attendre un décret en Conseil d’Etat pour en savoir plus. »

Le GIT plaide pour une formation universitaire obligatoire d’un niveau Master. Car avec la visite d’information et de prévention que mènent les infirmières de santé au travail depuis 2016, leur champ d’intervention est similaire à celui des médecins, qui y ont été formés dans le cadre de leur spécialité. « Pour offrir un suivi de qualité aux salariés et s’assurer que l’infirmier récolte les données probantes dont le médecin peut éventuellement avoir besoin, il faut une formation de niveau master, soutient Nadine Rauch. On essaye de nous faire croire que les missions des infirmières doivent simplement être protocolisées mais au sein des entreprises, nous avons en face de nous des êtres humains qui vont nous parler de leur travail, de leur environnement de travail, il nous faut avoir des bases théoriques », estime-t-elle.

La VAE serait également plausible pour les infirmières qui exercent dans ce domaine depuis de nombreuses années. « La formation complémentaire est indispensable dans le champ de la prévention, renchérit Patrick Chamboredon, président du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (Cnoi).  A l’heure de l’universitarisation, il faut y penser. L’enjeu est important pour les 17 millions de salariés en France. Le levier est réel pour qu’ils prennent l’habitude de se surveiller. »

Vers la pratique avancée

La proposition de loi consacre également la mise en place des infirmières en pratique avancée (IPA) en santé au travail. « L’IPA semble envisagée pour assurer la coordination plus en amont des infirmières de santé au travail, face au manque de médecins de santé au travail, fait savoir Patrick Chamboredon. Avec cette problématique de temps médical disponible, il faut que d’autres professionnels assurent cette prise en charge et les infirmières sont les mieux placées, elles se trouvent les plus en proximité, et souvent les salariés ne se confient pas de la même manière à leur infirmière qu’à leur médecin. »

Mais aucun détail supplémentaire n’a été dévoilé. Quel serait le rôle de ces IPA ? Auraient-elles pour fonction de remplacer les médecins de santé au travail en pénurie ? « Un problème se poserait avec leur mise en place en raison de l’absence de reconnaissance de la spécialité de santé au travail pour les infirmières, souligne Nadine Rauch. Nous la revendiquons depuis longtemps. Mais aujourd’hui, seuls les médecins détiennent cette reconnaissance. De fait, si les IPA sont créées, quel sera leur statut, leur nomination ? Et quid des autres infirmiers de santé au travail pour qui la spécialité n’est pas reconnue comme telle ? »

Statut de salarié protégé

Autre revendication non obtenue par les infirmiers : le statut de salarié protégé. Les médecins de santé au travail le détiennent, ils bénéficient donc d’une protection spéciale, exorbitante du droit commun, pour le licenciement, mais aussi par rapport à la modification de leur contrat de travail, de leurs conditions de travail ou encore du renouvellement de leur CDD.

« On nous demande d’avoir plus d’autonomie et de responsabilités, nous sommes livrées à nous-mêmes dans les services inter-entreprises ou dans les entreprises, donc soumises aux directeurs et à des pressions éventuelles pour obtenir des informations sur les salariés et on ne veut pas nous attribuer ce statut, s’étonne Nadine Rauch. Il nous permettrait d’être mieux protégées de cette pression éventuelle. Sinon, nous allons rester de simples exécutantes sans filet de sécurité. »

« Ce statut est très important pour nous, ajoute Patrick Chamboredon. Nous ne désespérons pas qu’il soit introduit dans le texte par les sénateurs, car il s’agit d’une garantie de sécurité et de confiance pour les prises en charge des salariés en évitant toute pression possible sur les infirmières. Cela permettrait de garantir leur autonomie également. »

L’accès au Dossier médical personnel (DMP) en découle. Pour le moment, il dépend de chaque service de santé au travail. « Dans certains cas, les infirmières n’y ont pas accès, car on sous-entend qu’elles pourraient dévoiler des informations, s’insurge Nadine Rauch. On ne nous fait pas confiance alors que nous sommes soumises au secret professionnel et au respect de notre code de déontologie… Il faut un décret d’application qui stipule que tous les infirmiers de santé au travail, quel que soit leur lieu d’exercice, puissent avoir accès au DMP. La loi doit être très précise sinon, l’interprétation sera toujours possible. »

Laure Martin

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« La proposition de loi est une réelle avancée pour les infirmiers »

ActuSoins a interviewé Charlotte Parmentier-Lecocq, députée, co-auteure du texte de loi. De son point de vue, le texte représente une avancée pour les infirmiers.

« Le texte de loi représente une réelle avancée selon nous concernant le statut des infirmiers de santé au travail.

Nous voulons pouvoir nous appuyer sur eux, et c’est pour cette raison que nous avons souhaité réaffirmer leur rôle, leur importance et sécuriser leur statut, leur formation et leurs responsabilités.

Auparavant, seul le médecin de santé au travail était mentionné dans la loi. Désormais, les infirmiers le sont aussi au sein d’une section dédiée, ce qui permet de faire reconnaître leur statut. Ce statut est rattaché à une formation obligatoire et c’est inscrit en tant que tel dans le texte, permettant d’acter une forme d’homogénéisation.

Certes, je comprends que pour certains, cet axe sur la formation reste flou car il relève d’un décret. Néanmoins, il nous est nécessaire de laisser une certaine souplesse dans la mise en œuvre.

C’est à la suite d’une concertation avec l’ensemble des acteurs que le contenu minimal de la formation va être déterminé.

De notre côté, en tant que députés, nous allons nous assurer que les décrets en Conseil d’Etat sortent rapidement après le vote de la loi.

Nous réaffirmons également le rôle clef des infirmiers de santé au travail en donnant la possibilité au médecin de santé au travail de leur confier des missions de coordination de l’équipe pluridisciplinaire.

Enfin, le statut d’infirmier en pratique avancée que nous créons dans le cadre du texte est un signal fort que nous envoyons.

Nous affirmons le statut et le rôle, ainsi que les compétences des infirmiers et nous prévoyons aussi des évolutions possibles avec les IPA en envisageant qu’ils puissent prendre en charge des délégations de missions et réaliser des visites de mi-carrière. »

Propos recueillis par L.M

Les principaux points du texte pour les travailleurs

– Le contenu du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est renforcé. Une conservation successive du document est prévue pour assurer la traçabilité collective des expositions.

– Les services de santé au travail (SST) deviennent les « services de prévention et de santé au travail » (SPST) avec des missions étendues : évaluation et prévention des risques professionnels, actions de promotion de la santé sur le lieu de travail. Les SPST seront notamment chargés des campagnes de vaccination et de dépistage.

– Création du passeport prévention : toutes les formations suivies par le travailleur sur la sécurité et à la prévention devront y figurer. Sur amendement des députés, ce passeport sera intégré dans le passeport d’orientation, de formation et de compétences qui doit se déployer en 2021 pour l’ensemble des salariés.

– Afin d’assurer un meilleur suivi des travailleurs, l’accès au dossier médical partagé (DMP) est ouvert au médecin du travail qui pourra l’alimenter. Et inversement, il est prévu que les médecins et professionnels de santé du patient puissent consulter son Dossier médical en santé au travail (DMST).

– Le suivi en santé au travail est étendu aux intérimaires, aux salariés des entreprises sous-traitantes ou prestataires comme aux travailleurs indépendants.

L.M

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