Dans l’équipe de soins palliatifs dans laquelle travaille Julie**, l’obligation vaccinale est un non-sujet : « tout le monde s’est fait vacciner dès que ça a été possible, pour des raisons personnelles et parce qu’on est en contact avec des patients extrêmement fragiles sur le plan immunologique », témoigne-t-elle.
Dans le service de réa où exerce Marie, « 90% des soignants sont vaccinés. Plusieurs des non vaccinés ont reçu leur première dose sur le coup de l’obligation et trois ne le sont toujours pas. Chacun respecte le choix des autres et cela ne met pas à mal les relations entre collègues. Cela ne nous empêche pas d’être solidaires dans le travail. Mais on risque de se trouver au dernier moment en sous-effectif ».
Sur les réseaux sociaux, certains s’inquiètent aussi pour leurs prochaines vacances : seront-elles remises en cause si la suspension de certains collègues réduit encore les effectifs disponibles ? Certains qui avaient l’habitude de voir leurs demandes de congés pour l’automne facilement acceptées ont essuyé des refus en prévision du potentiel manque de personnel du aux suspensions.
Sujet éminemment politique
« Sur mon lieu de travail, indique Michaël, infirmier en soins palliatifs, on évite toujours de parler des sujets qui fâchent, de la politique entre autres, et là ce sujet [l’obligation vaccinale, NDLR] est éminemment politique. Il touche à des choses fondamentales comme la liberté, la solidarité, la responsabilité, et on en parle entre nous. »
Avec cette mesure qui touche tous les soignants, impossible de faire l’impasse sur le sujet. La politique finit par s’incruster dans les discussions entre collègues, surtout quand les avis divergent. « On est obligé de prendre position, poursuit l’infirmier. Si on est contre, on est obligé de sortir du bois, et si on est pour on a tendance à vouloir dialoguer et convaincre. »
Pourtant, de son propre aveu, ces échanges sont assez rapidement « stériles »: « on voit une ligne de fracture très nette ».
Raphaël observe lui aussi des clivages entre la très grande majorité des soignants de l’hôpital où il travaille, qui sont vaccinés, et la petite minorité des opposants à la vaccination dont les raisons suscitent parfois la discussion.
Marie peine ainsi à comprendre les réticences de certains collègues quand 100% des patients hospitalisés suite au Covid dans la réa où ils travaillent ne sont pas vaccinés, pas spécialement âgés et ne présentaient pas forcément de facteur de risque particulier…
Ligne de fracture
Dans le service de réa où travaille Louis, l’obligation vaccinale est un sujet de discussion « quasi quotidien », sans pour autant, non plus, créer de tensions, tout du moins dans son unité.
Vacciné lui-même, il reconnaît que « ce n’est pas anodin de forcer les soignants à se faire vacciner pour pouvoir continuer à travailler ».
Certains des collègues hésitants de Michaël, comme de Séverine, vont finir par se faire vacciner « mais ils le vivent comme une contrainte, observe-t-il. Et d’autres vont quitter l’hôpital ou se mettre en disponibilité », si leur employeur la leur accorde, ce qui dans le contexte de pénurie de soignants est loin d’être gagné.
Autour de Louis, deux collègues non vaccinés (sur 200) ont déjà annoncé qu’ils allaient quitter l’hôpital : trop peu, selon lui, pour que cela ait de fortes répercussions sur l’organisation du service.
Dans la clinique de Séverine cela risque de poser plus de problèmes. « C’est dommage, remarque-t-elle, cela va mettre en porte-à-faux leur service et les patients vont le subir. On a déjà des ailes fermées par manque de personnel… »
Pour certains IDE, les questions que se posent certains collègues vis-à-vis de la vaccination et de l’obligation vaccinale sont légitimes dans un contexte où la parole politique sur le Covid n’est pas toujours apparue suffisamment franche ni transparente aux yeux des soignants.
D’autres ressentent de la colère envers ceux qui préfèrent « quitter le navire » plutôt que de se faire vacciner, même s’ils les apprécient individuellement.
« L’ambiance est moins bonne qu’avant, regrette Michaël. Cela va créer de la rancœur. Cette rancœur est ancienne mais la crise du Covid l’a accentuée. Les soignants se sont donnés à fond durant les vagues successives. Alors passer, pour certains, du statut de héro à celui d’irresponsable, c’est insupportable. Je ne les juge pas. »
Géraldine Langlois
*moins de 12% dans les établissements de santé et 6% chez les libéraux (Données Santé Publique France au 7 septembre, les taux ont pu évoluer depuis, ndlr)
** Certains prénoms ont été modifiés
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