Néonatologie : quand la musique se transforme en soin

Néonatologie : quand la musique se transforme en soin

Depuis 2007, au service de néonatologie du GHPSO de Senlis, la musicothérapie apaise les bébés prématurés et accompagne la construction du lien parents-enfant. Cet article a initialement été publié dans le n°40 d'ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2021).
Stéphanie Lefebvre joue du sanza, un instrument de musique africain
Stéphanie Lefebvre joue du sanza, un instrument de musique africain. © DR

Voix, tambour océan, piano à pouce, et parfois aussi ukulélé…

Avec tous ces d’instruments, deux fois par semaine depuis treize ans, Stéphanie Lefebvre se rend au service de néonatologie du site de Senlis du groupe hospitalier public sud de l’Oise (GHPSO). La musicienne, formée en musicothérapie au début des années 2000, utilise le rythme, les sons, la mélodie, l’harmonie des instruments et celle de sa voix pour faciliter la communication, la relation et l’expression, soulageant ainsi des souffrances.

Contrairement aux interventions de musiciens à l’hôpital, qui peuvent aussi apporter des bienfaits, la musicothérapie a ceci de particulier que son but est thérapeutique. « C’est un soin à part entière, affirme Sophie Bonsergent, cadre de santé du service de néonatologie du GHPSO. Ce n’est pas du superflu ». Cette dernière, qui travaille dans ce service depuis 23 ans, se rappelle tout de même, en riant, qu’elle-même et son équipe ont vu débarquer cette pratique dans le service un peu comme un Ovni. « Puis Stéphanie nous a sensibilisé au chant, au murmure. Nous étions tellement satisfaits que nous l’avons intégrée dans l’équipe. » 

Quand elle arrive dans le service, la musicothérapeute commence par collecter des informations auprès de l’équipe pluridisciplinaire : comment vont les bébés, qui sont ceux qu’il faudrait aller voir, ceux qui ont subi des soins et ont donc besoin de repos ?

Elle s’enquiert aussi de la présence de parents. Elle participe aux staffs hebdomadaires au cours desquels sont présentés les nouveaux arrivés et y partage ses feedbacks à propos des bébés et des parents.

Soin enveloppant…

Une fois dans la salle avec les enfants, elle les observe. « En un coup d’œil, elle va capter leur état, commente Sophie Bonsergent. Elle se cale sur le rythme cardiaque des bébés et son état de nervosité. Puis elle joue de la musique avec ses instruments ou bien chante ou murmure avec sa voix. On voit alors le rythme cardiaque changer. Elle les apaise. C’est très impressionnant ». Certaines des infirmières présentes l’accompagnent aussi au chant.

« Cela permet un autre regard sur le soin, plus enveloppant, plus cocoonant. Cela s’inscrit dans les soins de développement qui proposent de respecter le rythme des enfants, d’adapter les sons et les lumières », souligne-t-elle.

Le jour où nous interrogeons Stephanie Lefebvre en visio – crise sanitaire oblige – elle revient d’une séance à l’hôpital. Elle nous parle d’un bébé en soins intensifs, sous oxygénothérapie, né à trente semaines. Cette petite fille – appelons-là Nina – est issue d’une fratrie nombreuse. Ses parents ont peu de temps à lui consacrer. « C’est un bébé avec beaucoup de demandes affectives. Elle est assez seule, pas assez contenue », décrit-elle avant de nous raconter le moment passé avec elle.

…et apaisant

Tandis que le nouveau-né dort et que son cycle de sommeil approche de sa fin, la musicothérapeute glisse une main dans la couveuse pour un toucher contenant puis, bouche fermée, elle fredonne des mélodies et des berceuses. Ce chant doux « qui ne réveille pas », s’appelle le « humming ». C’est une répétition de sons, dont la structure musicale est très simple. « Ce soin a pour objectif de lui offrir de l’attention et du relationnel », explique-t-elle.

A son réveil, le bébé est agité, ses mouvements sont désordonnés. La musicothérapeute continue son chant une vingtaine de minutes. Au fur et à mesure, « ses mouvements sont plus organisés, son regard s’est accroché et elle a orienté son visage vers la source musicale ».

« Le chant adressé de manière répétitive et douce reproduit les sons perçus par l’enfant in utero », explique-t-elle. Pour les tout-petits placés sous oxygénothérapie, non seulement la musicothérapie apaise mais elle permet aussi une meilleure stabilisation physiologique. La stimulation musicale va favoriser certaines réponses comportementales. « Cela va avoir impact sur le développement du bébé », souligne la musicothérapeute.

Favoriser le lien parents-enfant

Pendant une séance de trois heures, Stéphanie Lefebvre prend en charge entre cinq et six enfants. Après Nina, elle va voir un autre bébé. Lucie (prénom d’emprunt) est sortie du service de néonatologie et vient d’intégrer le service Kangourou où l’encadrement en termes de soins est moins important.

C’est l’étape avant le retour à la maison. L’enfant présente toujours une désaturation en oxygène du fait de ses reflux gastriques. Les parents du bébé sont anxieux et la naissance a été difficile.

« Une naissance prématurée peut être traumatique, explique Stéphanie Lefebvre. Par ailleurs, le prématuré peut ne pas correspondre au bébé que les parents s’étaient imaginés. En effet, ces enfants sont tout petits, ils sont reliés à des machines… Les parents, et notamment la mère, peuvent éprouver un sentiment de culpabilité ».
Quand la musicothérapeute arrive dans le service, Lucie est en peau à peau avec sa mère. C’est un moment idéal pour un accompagnement en musique grâce, notamment, au tambour océan qui reproduit le son du ressac de la mer. « En service de néonatologie, les parents avaient les yeux rivés vers le scope. L’idée est donc de les amener à regarder le bébé s’éveiller, réagir et prendre une place comme sujet », dit-elle pour expliquer son intention thérapeutique.

Au son du tambour océan

La musique permet aussi des moments d’évasion et de mise à distance du milieu médical. Les parents se détendent et se relâchent. Ils se projettent aussi dans l’avenir avec leur bébé. « Au son du tambour océan, des parents évoquent des souvenirs, s’imaginent dans des vacances au bord de la mer avec leur bébé », raconte Stéphanie Lefebvre. Pour les parents, c’est aussi parfois une manière de transmettre un peu de leur culture. Elle se rappelle cette conversation avec une maman d’origine africaine. Plutôt renfermée, la jeune femme s’est animée en parlant des instruments de musique traditionnels de son pays. « Là, l’objet musical est un objet médiateur », commente la musicothérapeute.

« Stéphanie a un autre rapport avec les parents. Un rapport de l’ordre de l’intime, du réconfort, du psychologique et du soutien. Des choses que nous n’avons pas le temps de faire, commente la cadre de santé. Les parents s’autorisent à chanter avec leur bébé prématuré alors qu’ils n’auraient pas imaginé que cela soit possible. Stéphanie leur propose de mettre la main dans la couveuse, de toucher leur bébé… Cela un lien plus fort et nous permet de leur déléguer des soins comme le change, le bain, le peau à peau, l’alimentation… Ils prennent leur place de parents », résume Sophie Bonsergent. Bien sûr, certains parents ou enfants ne sont pas réceptifs à la musicothérapie. « Ce n’est pas magique mais cela facilite les contacts », affirme-t-elle.

Une pratique encore confidentielle

Pendant longtemps, ce service de néonatologie était le seul en France à pratiquer ce soin. Si cette pratique se répand – ses effets sont prouvés – elle reste encore confidentielle.

Aujourd’hui, seule une petite poignée de musicothérapeutes exercent en néonatologie en France, contre une cinquantaine en Europe de l’Ouest, essentiellement dans les pays germanophones. Mais la musicothérapie pourrait se développer à la faveur du nombre de naissances prématurées, liées à l’augmentation de la PMA et à des facteurs environnementaux, des progrès médicaux permettant d’accueillir des bébés de plus en plus tôt et de la progression des soins de développement dans lesquels elle s’inscrit.

En tout cas, hors de question pour la néonatologie de Senlis de se passer de ce soin. « Ils sont, pour Sophie Bonsergent, indispensables au service ».

Alexandra Luthereau

Cet article a été publié dans le n°40 d’ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2021)

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