Les infirmiers, gardiens des droits des patients

Les infirmiers, gardiens des droits des patients

Les patients, à la fois citoyens à part entière et personnes en situation de vulnérabilité, sont des sujets de droits. Droits au respect de la dignité, de la vie privée, de l'intimité, de la pudeur. Et des droits spécifiques comme le droit de consentir ou de refuser des soins, d'être informé et de donner des directives concernant sa fin de sa vie. Sur le terrain, leur respect se heurte parfois à des freins. Cet article a été publié dans le n°39 d'ActuSoins Magazine (décembre 2020). 
Les infirmiers, gardiens des droits des patients
© Adobe stock

La journée des droits des patients, c’est tous les jours, pas uniquement lors de la journée européenne des droits des patients, le 18 avril.

Chaque interaction des soignants avec les patients, en établissement de soins ou à domicile, s’inscrit dans un faisceau de droits.

Pour Gilles Devers, avocat et ancien infirmier, ces droits constituent des « bases fondamentales du métier » d’infirmier.

Gwénaëlle*, infirmière dans un service d’hématologie, sensible et formée à ces questions, le confirme. Mais, nuance-t-elle, « on n’y pense pas, soit parce qu’ils sont un pré-requis plus ou moins inné dans notre métier, soit parce qu’on les considère à la périphérie du soin ».

Les usagers du système de santé, eux-mêmes, ne sont pas toujours au fait de leurs droits, même si les associations de patients essaient d’y remédier.

De fait, les litiges portant sur le non-respect des droits des patients impliquant des infirmiers sont très peu nombreux, observe l’avocat. Gérard Raymond, président de France asso santé (FAS), l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé, corrobore ce constat : « on a souvent l’impression que le courant passe mieux avec les infirmiers qu’avec les médecins ».

Relation inégalitaire

Pour Gilles Devers, ces droits relèvent globalement de la notion d’égalité, « compliquée à faire comprendre dans une relation inégalitaire », entre soigné et soignant.

Comme le remarque Gérard Raymond, « souvent, à l’hôpital, le patient est couché et le soignant debout. Le dialogue ne peut pas être équilibré, il faut faire un effort pour le rééquilibrer. » Selon lui, c’est le rôle du professionnel.

Mais de quels droits parle-t-on ? Le consentement, tout d’abord, dont le recueil est rendu obligatoire par loi du 4 mars 2002. Le respect de ces droits incombe surtout aux médecins mais pas seulement. Selon Gilles Devers, un infirmier explique toujours pourquoi il va faire tel geste, tel acte.

Gwénaëlle « trouve que le consentement est biaisé car on ne propose pas un choix au patient. On lui présente une perspective positive, un traitement ou une prise en charge qui doit le soigner mais pas tout le parcours, avec les bilans et examens réguliers qui l’obligeront à venir très souvent à l’hôpital. Et qui risquent de produire une forme d’usure. On ne lui dit pas que s’il refuse, on va aussi s’occuper de lui de telle et telle manière. » Le droit de refuser les soins est en effet peu évoqué.

Pour Marie-Claude Daydé, infirmière libérale (Idel), ce type de refus « chez des patients qui ont perdu beaucoup d’autonomie, est parfois une façon de dire j’existe“. Il n’exonère pas le soignant de rechercher ce qu’il refuse réellement » en en parlant avec lui. Et d’essayer par exemple d’inciter un patient qui voudrait quitter l’hôpital prématurément à attendre d’échanger avec le médecin, en évoquant les risques liés à cette sortie, souligne Catherine Faure, juriste en droit de la santé et chargée des relations avec les usagers à l’hôpital Foch, à Paris.

L’information, cruciale

L’expression d’un consentement éclairé implique de donner des informations aux patients. Une mission dévolue principalement aux médecins concernant le diagnostic et la démarche thérapeutique.

Séverine, infirmière en cancérologie, constate qu’ils n’expliquent pas toujours les raisons d’un examen. Alors elle le fait car « le patient a le droit de savoir ». « Je leur demande ce qu’ils savent, raconte-t-elle, et je m’aperçois qu’ils s’imaginent beaucoup de choses, parfois pires que la réalité ».

Ils n’ont souvent pas eu le temps d’intégrer les informations données par le médecin. La loi de 2002 donne aussi le droit aux patients d’accéder à leur dossier médical. Des notions pas encore tout à fait acquises par les soignants alors que « même si ça nous embête, précise Gwénaëlle, c’est un droit. ».

La loi de 2002, renforcée sur ce point par la loi Claeys-Leonetti de 2016, permet à tout usager du système de santé de désigner une « personne de confiance » qui peut l’assister dans son parcours de soin et doit être consultée s’il n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté.

Quant à la loi Leonetti de 2005, renforcée par celle de 2016, elle leur permet de déclarer des « directives anticipées », c’est-à-dire leurs dernières volontés en matière de soins de fin de vie. Des questions particulièrement sensibles en réanimation.

Là où travaille Nicolas, ces informations sont soigneusement recueillies à l’arrivée du patient et consultées tout au long de sa prise en charge, « concernant les souhaits des patients, la poursuite des traitements, ce qui a été dit avec la famille… »

Droits ordinaires mais essentiels

 Les situations de soins mettent aussi en jeu au quotidien des droits plus ordinaires, liés au respect de la dignité.

« Un de mes proches a été hospitalisé, témoigne Gilles Devers. En lui rendant visite pendant trois semaines, j’ai vu au moins quinze paires de fesses et entendu tous les ragots du service. »

Les infirmiers interrogés indiquent tous accorder beaucoup d’attention au respect de la pudeur des patients, même si, en réa par exemple, les impératifs de la prise en charge priment parfois pour les patients inconscients. Toutefois, certains témoignages que reçoit l’avocat évoquent parfois « un manque de réserve » potentiellement blessant.

Selon lui, la réserve concerne aussi les paroles prononcées par les soignants, au nom de la confidentialité, du secret professionnel et du respect de la vie privée.

« Quand il y a des gens dans le couloir, on essaie d’être discrètes », confirme Séverine. Mais là où travaille Gwénaëlle, la porte de la salle de soin doit rester ouverte pendant les transmissions. Mais les visiteurs qui les entendent ne peuvent pas identifier les malades.

En réa, indique Nicolas, « un service fermé, où les visiteurs sont absents ou peu nombreux, on ne fait pas vraiment attention quand on échange entre collègues. Mais on ne parle pas de M. Machin mais de la chambre 8. » Est-ce suffisant ? Pas vraiment.

Globalement, Catherine Faure rappelle lors des formations qu’elle anime dans les services, la nécessité de ne pas parler des patients entre collègues dans des lieux publics ou sur les réseaux sociaux, ou encore de l’obligation de limiter les échanges sur un patient à ce qui est nécessaire à sa prise en charge. Elle préconise aussi de bien déconnecter sa session de l’ordinateur du service quand on le quitte.

Là où travaille Nicolas, les soignants rangent dans la chambre avant toute visite les documents qui pourraient donner des informations aux visiteurs sur le patient.

Dans ce domaine, les infirmiers sont aussi confrontés aux demandes d’information de la part des proches, parfois en conflit entre eux. Et ils s’interrogent parfois sur le rôle de la personne de confiance. Pour Nicolas, c’est clair : « elle n’a pas accès au dossier médical du patient de son vivant ».

Formation insuffisante

Rares sont les litiges pour non-respect des droits des patients impliquant des infirmiers -souvent pour des « travers de comportement » – qui arrivent jusqu’aux tribunaux, note Gilles Devers.

Peut-être parce que les préjudices sont peu importants. Mais peu de réclamations remontent aussi vers les associations de patients, indique Gérard Raymond.

Selon Gérard Allard, représentant des usagers à la Commission des usagers du CHU de Nantes, c’est souvent la configuration des locaux ou l’organisation du service qui est plutôt mis en cause… Catherine Faure évoque des problèmes de communication relevant de la gestion de conflits.

Selon Marie-Claude Daydé, « pour pouvoir respecter ces droits, il faut d’abord les connaître ». Or la formation à ce sujet est peu fournie, que ce soit en IFSI (quelques heures de cours, peu exploitées en stage, selon Nicolas) ou en formation continue car les stages sur cette thématique sont peu demandés. Aux mieux, des sensibilisations rapides des soignants sont organisées dans le cadre de la certification.

Pour Gilles Devers, qui a animé de nombreuses formations sur le sujet, les infirmiers se rendent pourtant compte que la protection intime de la personne est au cœur de leur métier. « Ils sont les gardiens du droit, résume-t-il. Ce sont eux les héros des droits des patients. »

Géraldine Langlois

*Certains prénoms ont été modifiés

A domicile : laisser toute sa place à la personne

Les droits des patients sont évidemment les mêmes à domicile ou à l’hôpital. Mais les conditions dans lesquelles s’établit et se déroule la relation de soins diffèrent.

Les refus de soins peuvent survenir. Par exemple, souligne Marie-Claude Daydé, infirmière libérale, à propos de la nécessité d’un lit médicalisé. Ce refus, selon elle « peut cacher, le souhait de ne pas quitter le lit du couple, par exemple… La personne peut avoir besoin de temps pour cheminer et comprendre que ce qui est proposé vise à ce qu’elle soit plus confortable ».

Par ailleurs, « il peut arriver qu’un patient, voisin d’un autre, demande de ses nouvelles, raconte l’Idel. Cela peut être bienveillant ou de la curiosité mal placée. Or ce respect de la vie privée, nous la devons au patient. » Quand il refuse que des informations soient divulguées à un de ses proches, « on essaie de respecter son souhait, ajoute Marie-Claude Daydé, mais si on pense que c’est important que son conjoint soit informé, on essaie de le convaincre ».

Parfois, ajoute-t-elle, quand les patients sont affaiblis, « il arrive qu’une personne de leur famille parle ou réponde pour eux. On peut leur demander gentiment de laisser le temps au patient de s’exprimer. Sinon, on risque d’aller sur une voie qui qui ne lui conviendra pas. »

Selon Gérard Raymond, le développement de l’ambulatoire et donc des soins à domicile nécessite d’adapter la législation et la formation initiale des soignants sur les droits des patients.

En psychiatrie, des règles mouvantes aux bases floues

La question des droits des patients se pose avec une acuité particulière dans les services de psychiatrie.

Là où travaille Bérangère, les patients sont hospitalisés de leur plein gré, pour une durée parfois longue. Selon elle, certains droits des patients ne sont pas suffisamment respectés et elle s’interroge sur les bases juridiques des décisions qui limitent leur liberté et lui semblent parfois arbitraires.

« Ce sont des personnes vulnérables, fragiles et elles sont encore plus empêchées que les autres d’avoir une vie normale », déplore-t-elle. Les patients, théoriquement libres de leurs mouvements, doivent par exemple demander une permission pour sortir. En ces temps de confinements, de toute façon, « ils ne peuvent plus sortir du pavillon, ajoute Bérangère, et les visites ne sont pas autorisées. » Moralité, ils vont discrètement jusqu’au portail parler avec leurs amis… sans précaution particulière puisque ce n’est pas encadré.

Les nouveaux arrivants, eux, doivent se confiner dans leur chambre sept jours même s’ils ont été testés négatifs juste avant. Et être accompagnés à l’extérieur par un soignant à chaque fois qu’ils veulent sortir fumer une cigarette, ce qui limite les occasions.

Alors même que leur chambre est considérée comme un espace privé et qu’ils devraient donc pouvoir y fumer, au moins à la fenêtre, note Bérangère, ils n’en ont pas le droit. Même en temps normal, il faut aussi gérer le stock de cigarettes des fumeurs pour éviter qu’ils les fument toutes d’un coup ce qui génère ensuite des tensions.

Aussi, déplore l’infirmière, un point de test du Covid a été installé tout près du pavillon : les personnes qui attendent pour se faire tester ont vue sur les chambres des patients… « Alors même que nous, soignants, insiste-t-elle, nous sommes implicitement et professionnellement dans la discrétion concernant les patients ! »

Les textes de référence sur les droits des patients

Chapitre préliminaire du livre Ier de la première partie du code de la Santé publique, sur les « Droits de la personne » ;

Loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé ;

Loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (« loi Leonetti ») ;

 – Loi du 6 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie « Loi Claeys-Léonetti » ;

Articles L1110-2, L1110-3 et L1110-4 du code de la santé publique ;

– Les moyens et lieux de dépôt de réclamations : ly/INFORECLAMATION;

Charte de la personne hospitalisée, 2006 ;

Loi du 27 septembre 2013 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans le n°39 d’ActuSoins Magazine (décembre – janvier – février 2021)

Il est à présent en accès libre. 

ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.

Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d’informations professionnelles, de reportages et d’enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner. 

Pour s’ abonner au magazine (14,90 €/ an pour les professionnels, 9,90 € pour les étudiants), c’est ICI

Abonnez-vous au magazine Actusoins

 

No votes yet.
Please wait...

Soyez le premier à laisser un commentaire !

Réagir