Fraudeuse. Une étiquette difficile à décoller pour Hélène, infirmière libérale dans le canton de Cestas, qui refuse et redoute que ce terme ternisse sa carrière. Comme Alain ou Stéphane, exerçant dans le canton de Villenave-d’Ornon, et comme plusieurs consœurs et confrères, elle a été mise à l’amende par la Caisse primaire d’assurance-maladie de la Gironde (CPAM).
« Ça ne me ressemble pas », plaide-t-elle, se sachant déjà condamnée à l’opprobre. « J’ai peut-être commis des erreurs involontaires, mais je ne suis pas une tricheuse. »
Programme de contrôle
Des enquêtes ont été réalisées ces dernières années dans le cadre d’un programme régional de contrôle, ayant pour but de cibler les infirmiers libéraux ayant une activité professionnelle largement supérieure à la moyenne ou présentant une activité quotidienne de travail atypique. Les agents assermentés ont ainsi épinglé plusieurs irrégularités.
Un mélange des règles subtiles applicables aux contrats de remplacement et à ceux de collaboration, la facturation d’actes non conformes aux prescriptions du médecin traitant et un nombre d’actes infirmiers de soins anormalement élevé. C’est d’ailleurs essentiellement à cause de ces « AIS3 », que la pilule ne passe pas.
Chaque acte de soin de ce type correspond à un temps d’exécution fixé par la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Soit 30 minutes, soit 60 minutes. Dans chaque dossier, la CPAM de la Gironde a le même argumentaire : l’addition des actes facturés par les infirmiers aboutit à des journées de travail supérieures à 17 heures. « Ce qui est impossible en respectant les normes de temps. »
C’est comme si on chronométrait seulement le temps où nous avons un gant de toilette en main
Car pour la CPAM, ne pas assurer 30 ou 60 minutes de présence effective chez le patient, selon la formule choisie, constitue une fraude. Et entraîne, par le biais d’une notification d’indus, l’obligation de rembourser la totalité des actes, comme s’ils n’avaient pas du tout été effectués. Les sommes réclamées portent sur des dizaines, voire parfois des centaines de milliers d’euros.
« Il y a pourtant des situations qui justifient pleinement de facturer deux AIS3 », démontre Me Henri-Michel Gata, avocat de Stéphane et d’Alain, qui doit plaider la semaine prochaine à Bordeaux devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Aquitaine de l’Ordre national des infirmiers.
Et l’avocat de citer l’exemple d’une nonagénaire de près de 100 kg dont toilette et soins nécessitent l’utilisation d’un lève-malade. Ou d’un hémiplégique à déshabiller, doucher, habiller et soigner. D’un tétraplégique délicat à manipuler et dont la salle de bain se situe à l’étage. « Ce qui prend à chaque fois plus d’une demi-heure ».
Me Gata ne voit pas où serait l’escroquerie. « Ces honoraires ne sont pas par eux-mêmes abusifs de sorte que les sommes demandées ne constituent pas un trop perçu au sens des dispositions du code de la sécurité sociale », répète-t-il. Il souligne aussi le cas d’une patiente sortant d’hôpital psychiatrique avec laquelle l’infirmier doit chaque fois parlementer plus de dix minutes pour accepter une toilette. « Parfois, nous réalisons certes la toilette en moins d’une demi-heure mais nous facturons une AIS3 car nous travaillons », témoigne Hélène.
« Un échange humain »
« C’est comme si on chronométrait seulement le temps où nous avons un gant de toilette en main », s’insurge-t-elle. « Les contrôles ne portent que sur le temps passé et non le contenu de la séance, sur la charge de travail », déplore-t-elle. Sans compter les nombreuses fois où il faut ôter une perfusion, refaire un pansement, écraser les médicaments pour qu’ils soient effectivement avalés, écouter les patients ou les forcer à manger un peu, ouvrir let fermer les volets, lancer et étendre une machine à laver ou faire quelques courses ou un peu de vaisselle, parce que l’auxiliaire de vie est malade.
« Nous le faisons naturellement car nous aimons notre métier. C’est un échange humain précieux. Mais nous le reprocher alors que parfois nous sommes la seule visite de la journée pour le patient, c’est salir notre réputation ».
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