La fugue d’un patient atteint de sénilité ou d’une maladie psychiatrique peut être à l’origine d’un important dommage tant pour le patient lui-même que pour des tiers.
Il est ainsi déclaré chaque année des fugues se terminant par la mort du patient des suites d’un accident ou d’une hypothermie, ou par la blessure ou le décès d’un tiers suite à l’accident provoqué par le patient, comme ce fut le cas par exemple après qu’un fugueur atteint de la maladie d’Alzheimer ait volé une voiture, pris l’autoroute voisine à contresens et provoqué une collision mortelle.
L’état du patient rendant inenvisageable une action contre lui, c’est contre l’établissement d’accueil ou les professionnels l’ayant pris en charge que celle-ci sera dirigée. L’action contre les praticiens ou en rapport avec l’activité des agents paramédicaux nécessite la démonstration d’une faute devant avoir un lien avec le dommage subi.
Celle contre l’établissement peut être mise en œuvre par la victime du patient fugueur sans démonstration de faute comme l’a décidé l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation dans son arrêt du 29 mars 1991. A la suite d’un incendie de forêt provoqué par un pensionnaire ayant fugué d’un CAT, la plus haute juridiction civile française a considéré que « l’association gestionnaire du centre doit répondre, au sens de l’article 1384 alinéa 1 du code civil, de son pensionnaire et réparer les dommages qu’il a causés dès lors que l’association a la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé ».
L’admission
Le principe de la liberté d’aller et venir est constitutionnel et même supranational (article 18 du traité instituant la communauté européenne du 25 mars 1957) et implique que toute limitation soit strictement motivée. Ainsi il est tout autant fautif de priver sans raison légitime un patient de sa liberté d’aller et venir que de ne pas prendre les mesures nécessaires pour éviter les dommages liés à sa pathologie.
L’orientation du patient vers un établissement déterminé engage la responsabilité du médecin traitant mais également celle du praticien ayant décidé d’accepter l’admission de ce patient dans son service ou dans l’établissement qu’il est chargé de coordonner. Ainsi le décret du 27 mai 2005 définissant les missions du médecin coordonnateur d’un EHPAD prévoit qu’il doit donner son avis sur les admissions, c’est-à-dire vérifier la compatibilité de l’état du patient avec les moyens effectivement disponibles dans le service et ce indépendamment de l’avis du médecin traitant ou du directeur administratif.
S’il est découvert que la pathologie du patient nécessitait un environnement spécifique en locaux ou en personnel qui ne pouvait être assuré dans l’établissement choisi, cela peut suffire pour engager, après une fugue dommageable, la responsabilité des praticiens ayant contribué à cette admission.
La surveillance
Elle appartient en premier lieu au personnel de l’établissement qui doit mettre en œuvre les consignes particulières décidées par le praticien ayant en charge le patient ou les protocoles préalablement établis qui doivent être écrits, datés et signés par un médecin.
La contention d’un malade doit être utilisée avec une grande prudence et ne constitue pas un moyen acceptable de prévention des fugues comme le prévoit le guide de l’ANAES « limiter les risques de la contention physique de la personne âgée » d’octobre 2000. Celui-ci insiste sur la nécessité d’une prescription médicale avant toute contention qui ne peut être laissée à la seule initiative du personnel paramédical de l’établissement. Ceci a été utilement complété, à propos de la prévention des fugues, par la conférence de consensus « liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux et obligation de sécurité » (24 – 25 septembre 2004).
Les fautes se retrouvent dans l’absence de prescription des mesures de surveillance ou d’adaptation de celles-ci à l’évolution de la pathologie, dans le défaut de mise en œuvre des consignes prescrites, dans l’insuffisance quantitative ou qualitative de personnel et dans l’inadaptation des locaux à la bonne sécurité des patients. Il sera bien entendu tenu compte, pour l’appréciation des moyens nécessaires, de la gravité de la pathologie et donc du caractère prévisible ou non de la fugue.
Pour les moyens humains, même s’il n’existe pas aujourd’hui de norme obligatoire pour la quantité ou la qualification des personnels, il sera tenu compte des effectifs habituels dans le type d’établissement concerné et des décrets de compétence de chaque profession afin de vérifier que chacun accompli bien la tâche pour laquelle il a été formé.
Pour les locaux, ils doivent correspondre au risque encouru par les patients et il est par exemple difficilement admissible aujourd’hui que dans un service accueillant des patients atteints de la maladie d’Alzheimer il soit possible de sortir sans que personne ne s’en aperçoive en poussant simplement la barre de l’issue de secours. Des portes à code ou des bracelets de sécurité doivent alors être demandés. Si l’établissement lui-même est responsable de ces défauts d’environnement, cela n’exonère pas les personnes qui y exercent de leur propre faute (par exemple l’absence de signalement des situations à risque).
En matière pénale la responsabilité est personnelle, les fugues liées à un défaut de surveillance pouvant, sur la base des blessures ou de l’homicide involontaires, conduire à la condamnation du médecin ayant en charge le patient, du personnel devant assurer cette surveillance et du directeur de l’établissement, voire de l’établissement lui-même.
La découverte de la fugue et les mesures prises
La faute peut également se retrouver dans le retard à la découverte de la fugue qui signe alors un défaut de surveillance. Il n’est pas admissible, chez un patient à risque, que la fugue soit découverte cinq heures plus tard alors que le patient a déjà subi ou provoqué le dommage. Il n’existe pas de norme fixant la fréquence de passage de jour ou de nuit du personnel pour vérifier que le patient est en sécurité mais il sera demandé quels ont été les horaires réels des différentes visites qu’il est alors prudent de noter dans le dossier du patient ou le dossier de soins infirmiers.
Il sera par ailleurs demandé de produire les consignes écrites ou le protocole tout en vérifiant qu’ils ont bien été respectés. Si un contrôle toutes les deux heures est bien admis, un toutes les quatre heures sera plus difficile à faire accepter. Il convient également de définir une procédure d’actions à mettre en œuvre une fois que la fugue est constatée (information du directeur de l’établissement ou de l’administrateur de garde, des services de police ou de gendarmerie, de la famille du patient, mise en œuvre des premières recherches…). Un retard à la mise en œuvre de ces différentes mesures peut faire perdre une chance de retrouver rapidement le patient et d’éviter le dommage et constitue ainsi une source de responsabilité.
Enfin il est très important d’éviter la récidive en adoptant les mesures nécessaires tant à l’égard de ce patient à l’issue de sa première fugue qu’à l’égard des procédures et moyens de sécurité utilisés. Il sera beaucoup plus difficile de justifier la quatrième fugue, cette fois-ci mortelle, chez le même patient ou la fugue du quatrième patient du même service…Mais les moyens ne doivent pas être pires que les maux à prévenir, comme par exemple la condamnation pure et simple de l’issue de secours par une chaîne et un cadenas, au risque de mettre en danger la vie de l’ensemble des pensionnaires en cas d’incendie, ou l’arrêt des activités occupationnelles pour l’ensemble des patients !
La prévention des fugues constitue ainsi un vrai travail d’équipe engageant la responsabilité de chaque membre, selon son statut et son domaine de compétence. Si les difficultés de prise en charge des patients fugueurs, dont les droits doivent par ailleurs être respectés, sont prises en compte, elles ne permettront pas souvent de justifier les fautes commises notamment dans l’admission, la surveillance et la réaction suite à la fugue.
Germain Decroix – juriste MACSF
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