Démissions en bloc au bloc

Démissions en bloc au bloc

Si l’hôpital public dans son ensemble est frappé par des difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel, certains secteurs sont plus touchés que d’autres. C’est le cas des blocs opératoires, que de nombreux professionnels sont en train de quitter.
Démissions en bloc au bloc
© Gorodenkoff / ShutterStock

« Le bloc, tu le sens ou tu ne le sens pas. Soit tu es fait pour, soit ce n’est pas la peine », déclare avec fougue Sophie*.

Ibode dans un CHU qu’elle préfère ne pas nommer, elle se range aisément dans la première catégorie, allant jusqu’à estimer qu’elle ne peut « pas faire autre chose que travailler au bloc ».

Et pourtant, cette infirmière chevronnée, qui affiche 25 ans de bons et loyaux services dans les salles d’opérations, a posé sa démission au mois de septembre. Et l’obligation vaccinale n’a rien à voir avec cette décision. « J’ai préféré partir avant de finir aigrie et de détester mon travail », explique-t-elle.

Qu’est-ce qui a tant changé pour que la passion d’une vie se transforme en objet de souffrance ? Les raisons sont multiples, mais la principale, selon Sophie, est le manque de considération accordée aux professionnels des blocs opératoires. « Personne ne nous écoute, nous ne sommes pas valorisés, nous sommes juste des pions que l’on peut balader d’une ligne de planning à une autre », dénonce-t-elle.

À ce qu’elle assimile à une forme de mépris s’ajoute des conditions de travail qui ne permettent plus d’assurer ce qu’elle considère comme des soins de qualité. « J’ai une façon de travailler avec certaines valeurs, explique l’infirmière. Quand tu arrives au travail et que ces valeurs ne sont pas respectées, tu ne peux pas penser à autre chose. J’ai vraiment eu peur de la faute professionnelle. »

« On ne fait plus du bon travail »

Et le cas de Sophie est loin d’être isolé. Arthur*, lui aussi Ibode dans un CHU dont il préfère taire le nom, peut en témoigner : s’il n’a pas encore posé sa démission, il cherche ouvertement à s’évader du bloc, lui qui y travaille depuis 20 ans.

Il a même fait une immersion dans un autre service, dans lequel il aimerait être muté dans les mois à venir. « Si je veux partir du bloc, c’est tout simplement parce qu’on n’y fait plus du bon travail », soupire-t-il.

Et le quadragénaire de lister, de manière non exhaustive, les problèmes qu’il rencontre au quotidien : « on doit stocker du matériel dans les couloirs, les distances de circulation entre le stérile et le non stérile ne sont pas respectées, les ASH, qui auparavant étaient stables dans le service, ne sont plus dédiés au bloc, ce qui fait qu’ils ne savent pas exactement comment le matériel doit être rangé et qu’on perd énormément de temps… »

Combien sont-ils, à l’instar de Sophie et d’Arthur, à avoir quitté les blocs ou à envisager de le faire ?

« Difficile de le quantifier à notre niveau », répond Rachid Digoy, président du Collectif Inter-blocs qui alerte sur la situation dans le secteur depuis plusieurs années. « Ce que nous savons, en revanche, c’est que de très nombreux collègues nous font remonter des départs ou des changements de service », ajoute-t-il.

Côté ressources humaines, on n’a pas non plus de chiffres précis à donner. « L’hôpital connaît une situation critique sur le plan des ressources humaines, mais cette situation est très différente d’un établissent à l’autre, et il est difficile d’avoir des données consolidées au niveau national », s’excuse Matthieu Girier, directeur du pôle RH au CHU de Bordeaux et président de l’Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux (Adrhess).

Un cercle vicieux

Ce qui est sûr, c’est que la situation des blocs ne peut pas être dissociée de celle de l’hôpital qui, dans son ensemble, connaît des difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel. « Il y a des équipes qui ont beaucoup donné pendant la crise sanitaire, qui ont une impression d’effort perpétuel, et qui sont fatiguées parce qu’elles travaillent en permanence en mode crise, analyse Matthieu Girier. Certains avaient, durant la crise, reporté des projets de changement de région, de changement de métier, et ils concrétisent maintenant ces projets qui n’étaient encore que sur le papier. »

Le Pr Rémi Salomon, président de la Commission médicale d’établissement (CME) de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), abonde dans le même sens. « On est dans un cercle vicieux où quand certaines infirmières partent, la charge de travail augmente pour celles qui restent, ce qui dégrade encore davantage les conditions de travail et rend la fidélisation encore plus difficile », décrypte-t-il.

Reste que pour ces deux responsables hospitaliers, la situation doit être nuancée. « Nous ne notons pour l’instant pas de vague de démissions massive, même s’il y en a eu lors de la levée du plan blanc au printemps, précise Rémi Salomon. En revanche, les gens nous disent qu’ils sont vraiment épuisés, qu’ils ne vont pas tenir à ce rythme, et nous craignons une vague de démissions imminente. Elle sera d’autant plus grave que nous n’avons pas vraiment de perspectives de recrutement d’infirmières avant le mois de septembre prochain et les sorties d’Ifsi. »

Autre nuance, celle-là apportée par Matthieu Girier. Sans nier la gravité de la situation dans les blocs, celui-ci souligne qu’elle n’est pas nouvelle. « Cela fait dix ans que je suis DRH, et cela fait dix ans que je connais des tensions au bloc opératoire », remarque-t-il.

Agir sur les salaires et les conditions de travail

Reste à savoir comment se sortir de cette situation. Au niveau individuel, les professionnels du bloc qui démissionnent n’ont que peu de souci à se faire, du moins sur le plan financier. « Il y a une telle demande que je n’ai aucun mal à trouver des missions en intérim, bien mieux payées que ce que je faisais avant, même si ce n’est pas du tout mon souhait », explique Sophie.

Au niveau des services, en revanche, c’est une autre paire de manches. « La destruction d’une équipe peut se faire en très peu de temps, mais sa reconstruction est au contraire un processus très lent », avance Rémi Salomon.

Pour conter ce processus, le président de la CME de l’AP-HP préconise d’agir sur les rémunérations d’une part (« on nous dit qu’on n’a jamais mis autant d’argent sur la santé avec le Ségur, c’est vrai, mais le fait est que cela ne suffit pas », pointe-t-il), et les conditions de travail d’autre part.

Matthieu Girier, justement, pointe l’opportunité d’améliorer ce deuxième point qu’offre le Ségur de la Santé : en plus des fameux 183 euros de revalorisation, l’accord conclu à l’été 2020 prévoit en effet des discussions entre directions et représentants du personnel au niveau local.

« Dans chaque établissement, des négociations collectives vont pouvoir permettre d’adapter le fonctionnement à la réalité des problématiques spécifiques rencontrées sur le terrain, sur des sujets assez partagés comme la qualité de vie au travail, mais aussi sur des sujets qui donneront lieu à plus de discussions comme le temps de travail, la gestion de l’absentéisme, les pools de compensation…, prévoit-il. Pour nous, c’est porteur de beaucoup de sens. »

Reste que du côté des équipes, c’est de mesures de court terme qu’on a besoin, et non de négociations à moyen terme. « Au CHU de Dijon, où je travaille, on déprogramme quasiment 30 % des interventions faute d’Ibodes », alerte Rachid Digoy.

Les discussions promises par les DRH risquent d’arriver bien tard face à l’ambleur des besoins.

Adrien Renaud

* Les prénoms ont été modifiés.

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3 réactions

  1. Je suis IBODE dans un bloc mutualiste et nous sommes bien moins rémunérés que les IBODES / IADES/ IDES du public , alors imaginez pour qui on nous prend !

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  2. L’hôpital agonise, il n’y a pas d’autres mots. Quand tu vois la rémunération proposée à des IADE, IBODE et à tous les autres professionnels dans les CHU, sans parler des conditions de travail, il faut vraiment être un véritable tartuffe pour oser se demander le pourquoi du comment de toutes ces démissions !

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  3. les hôpitaux ne sont pas capables de donner des chiffres précis cela démontre à quel point ces structures administratives sont bureaucratiques et inefficaces

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