Au Mexique, un centre MSF accompagne les migrants victimes de tortures

Chaque année, des centaines de milliers de migrants quittent l’Amérique centrale pour tenter de rejoindre les États-Unis. Sur la route, ils sont souvent exposés à des violences extrêmes et des tortures de la part des cartels de la drogue et d’autres groupes criminels. Des équipes mobiles de Médecins Sans Frontières sillonnent les mêmes chemins migratoires et, à Mexico, l’ONG prend en charge les cas les plus difficiles.

Cet article a été publié dans le n°46 d'ActuSoins Magazine (septembre, octobre, novembre 2022)

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Au Centre d'Action Intégrale (CAI), les patients peuvent rester toute la journée dans la cour de l'ancienne école pour participer aux ateliers entre deux rendez-vous médicaux

Au Centre d'Action Intégrale (CAI), les patients peuvent rester toute la journée dans la cour de l'ancienne école pour participer aux ateliers entre deux rendez-vous médicaux. © Mahé Elipe

  « Un, deux, trois… Enlacez vos jambes, respirez ». En position fœtale, quatre personnes allongées sur des tapis de sport se laissent guider par la voix de Claudia Lascurain, chargée de la thérapie occupationnelle au Centre d’Action Intégrale (CAI) de Médecins Sans Frontières. L’atelier de conscience corporelle se déroule sur des rythmes de musique reggaeton. « Les patients connaissent ainsi leurs capacités physiques et puis, c’est amusant. Cela plait à tout le monde », souligne-t-elle.

« J’ai beaucoup avancé avec la thérapie » témoigne Cristina*. Cette patiente de 37 ans fréquente le centre depuis cinq mois, deux fois par semaine. Vendue à l’adolescence par ses parents à la famille de son époux, Cristina a fui le Salvador en 2019. Sur la route, elle a vécu un calvaire : abusée, violée, prostituée de force, elle est encore hantée par ses persécuteurs. « Quand j’avais une crise d’angoisse, je me mettais à courir en pensant qu’ils allaient me retrouver et me tuer. Les équipes sont là pour me calmer, ils m’aident aussi à ne plus ressentir un sentiment de culpabilité ».   

Environ quinze personnes, médecins, thérapeutes et assistants sociaux travaillent au sein du CAI. Situé à Mexico dans les locaux d’une ancienne école, c’est un lieu discret, dissimulé derrière un grand mur blanc, dont l’entrée est surveillée en permanence par un gardien. Créé en 2017 sous forme de refuge, il fonctionne depuis 2019 comme un centre d’accueil de jour où tous les services collaborent étroitement pour apporter une prise en charge globale.

“Aider les plus vulnérables”

Les ateliers de thérapie occupationnelle se font en groupe de trois à quatre patients et la musique est souvent utilisée

Les ateliers de thérapie occupationnelle se font en groupe de trois à quatre patients et la musique est souvent utilisée. © Mahé Elipe

Faviola Hernandez est médecin généraliste.  Elle effectue un suivi hebdomadaire de chaque patient et assure les premiers soins en cas d’urgence. Beaucoup ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles et certains ont subi des fractures ou sont restés longtemps dans des positions forcées. Quand une chirurgie est requise ou quand les soins relèvent d’une spécialité comme la traumatologie ou la gynécologie, le centre collabore avec les hôpitaux de la ville de Mexico. « Avec la pandémie c’est devenu plus difficile, explique-t-elle. Obtenir une consultation chez un spécialiste prend normalement un mois, maintenant c’est au moins trois mois ». 

Faviola a reçu une formation à l’Hôpital Général de Mexico. Elle a rejoint le CAI il y a deux ans et demi après une expérience dans l’humanitaire et ne le regrette pas car, même si son salaire est inférieur, les conditions de travail sont meilleures que dans les hôpitaux mexicains. « Là-bas, en plus des pénuries en gants et en seringues que vous devez acheter vous-même, le manque de professionnels soignants est tel qu’au lieu de voir cinq patients, vous finissez par en recevoir quinze ». En revanche, au CAI, la capacité d’accueil est limitée.

Chaque année, une cinquantaine de nouveaux patients intègrent le programme pour un traitement qui dure en moyenne quatre mois. Faviola apprécie aussi la dimension humanitaire et la flexibilité qu’apporte l’ONG dans son travail : « Ici il n’y a pas toute la bureaucratie à supporter au quotidien, on peut se concentrer sur notre mission : aider les plus vulnérables ».  

Le suivi pharmaceutique des patients est assuré en collaboration avec les psychiatres. MSF parvient souvent mieux que les autres institutions à se procurer les médicaments nécessaires.  « Cela pose parfois des problèmes, indique Adriana Romero, une des deux psychiatres du centre. Quand un patient veut continuer son suivi ailleurs, il ne peut pas toujours car, même dans la capitale, les hôpitaux manquent de médicaments».  

Poser le bon diagnostic

Fabiola Hernadez, médecin, avec une patiente. Tous les patients du CAI souffrent d'un trouble de stress post-traumatique

Fabiola Hernadez, médecin, avec une patiente. Tous les patients du CAI souffrent d'un trouble de stress post-traumatique (TSPT) qui engendre très souvent des tensions musculaires et des douleurs chroniques de la tête. © Mahé Elipe

Adriana fait partie des équipes mobiles de MSF. Dans les refuges ou sur la route entre l’Amérique centrale et les États-Unis, elle participe au repérage des migrants, puis elle pose le premier diagnostic. « La quasi-totalité des patients du CAI souffrent d’un stress post traumatique complexe », précise-t-elle. Il s’agit d’une forme particulière de ce syndrome que l’on retrouve chez les personnes ayant subi des actes de tortures et des violences extrêmes de manière répétée.

Néanmoins le trouble est encore mal connu au Mexique : « la notion commence à peine à être prise en compte dans les diagnostics, explique-t-elle, c’est très peu abordé dans les écoles et de manière superficielle ». De fait, les hôpitaux et autres institutions psychiatriques mexicaines se retrouvent très souvent démunis face aux troubles rencontrés chez les migrants. Selon Adriana, « beaucoup de gens au Mexique ont été victimes de tortures mais ils ne reçoivent pas les soins adaptés. Ils sont généralement soulagés avec des médicaments mais cela ne traite pas le trauma ».

Le traitement du CAI se concentre, pour chaque personne, sur les racines du problème avec l’appui de trois psychologues. Jorge Diego Lopez est l’un d’entre eux. Il reçoit ses patients une à deux fois par semaine : « après ce type de violences, ils sont déshumanisés. Ils ne savent plus ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, nous essayons de les reconnecter avec l’humain ».

Depuis deux ans qu’il travaille ici, les migrants viennent dans son bureau pour raconter leur histoire, des récits parfois très violents : « Un des premiers cas que j’ai traité au CAI était particulièrement difficile. C’était un garçon de 18 ans qui avait été maltraité durant toute son enfance d’une manière terrible, puis vendu à une organisation criminelle. Il a remué toute l’équipe ».

Dans son travail au centre, Jorge Diego, qui œuvrait auparavant dans les refuges, doit faire face à la frustration des thérapies inachevées. Au Mexique, la plupart des migrants viennent du Salvador, du Honduras ou du Guatemala et suivent la route vers le nord. Le CAI est une clinique de jour où les patients sont libres de venir ou non et il arrive très souvent qu’ils ne se présentent pas aux rendez-vous. « Le but de ces personnes est de trouver un lieu sûr, or le Mexique n’en est pas un, regrette le psychologue. Quand ils commencent à avoir des difficultés sociales, économiques ou culturelles, certains patients repartent pour se concentrer sur leur but : rejoindre les États-Unis ».

Le social, un aspect primordial dans la thérapie

Jorge Diego Lopez, psychologue, en entretien avec une patiente

Jorge Diego Lopez, psychologue, en entretien avec une patiente. Les consultations ont lieu deux à trois fois par semaine pendant la thérapie. © Mahé Elipe.

Au CAI les personnels soignants et travailleurs sociaux collaborent ensemble au traitement. Chaque patient est accompagné individuellement dans ses démarches administratives ou juridiques - régularisations des papiers, demande d’asile, plaintes...-  et ces procédures sont souvent lourdes et éprouvantes pour les migrants.

« C’est une partie importante dans le processus thérapeutique qui permet de passer des étapes dans le traitement psychologique » précise Eleazar Zapata. Ce travailleur social a lui-même suivi le cas de Laura*, une jeune femme de 29 ans qui vient d’entrer dans la cour de la clinique accompagnée d’une petite fille. « Cette patiente est un véritable succès du CAI » déclare Eleazar.

Laura est arrivée au centre il y a deux ans, dans une situation critique. Après avoir fui le Honduras en 2018, la jeune femme a été victime de la traite humaine au sud du Mexique. Prostituée de force, elle est tombée enceinte, puis son enfant lui a été enlevé par ses persécuteurs juste après l’accouchement. Dès lors, Laura n’a eu de cesse de se battre pour récupérer sa fille.

« Imaginez trois ans sans voir votre enfant, sans rien savoir » interpelle la jeune femme. Rapatriée à Mexico, elle est prise en charge par le CAI qui lui apporte un soutien psychologique et un accompagnement juridique. « Au début je venais tous les jours, puis toutes les semaines », raconte Laura. En parallèle des consultations avec les professionnels de santé, Eleazar était chargé d’accompagner la patiente dans ses démarches auprès des institutions mexicaines et des avocats. « Récupérer sa fille était son seul but et le seul moyen d’avancer sur sa thérapie », soutient-il.

Dans le cadre de ses démarches, elle obtient de faire un test ADN pour prouver qu'elle est bien la mère de l’enfant, puis elle a dû stabiliser sa situation personnelle. « On a bataillé longtemps avec les institutions légales » se rappelle le travailleur social. Laura a finalement récupéré sa fille, il y a quelques semaines : « Je me sens fière parce que j’ai réussi. Le CAI m’a beaucoup aidé dans les moments difficiles et je leur en suis reconnaissante. Je vais faire au mieux pour moi et ma fille. Je termine mon traitement ici, puis je retournerai dans le sud ».

Gwendolina Duval

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