Sur l’île de Lesbos, des équipes médicales débordées

En Grèce, les migrants continuent d'arriver et le personnel médical des ONG est en première ligne face à un désert de soins. Mie Terkilsen, infirmière, a choisi de quitter le Danemark le temps d'une mission. En cinq mois, le nombre de patients a doublé. Article paru dans le n°31 d'ActuSoins magazine (décembre 2018).

Infirmières dans le centre de soins de Médecins sans frontières aux abords du camp pour migrants de Moria, sur l'île de Lesbos, en Grèce

Infirmières dans le centre de soins de Médecins sans frontières aux abords du camp pour migrants de Moria, sur l'île de Lesbos, en Grèce (2018). © Ulysse Guttmann/APJ/Hans Lucas

Son sourire avenant semble réconforter ceux qui attendent dans ce champ recouvert de graviers sur lequel un imposant cabanon en bois, un container, une tente, et deux camping-cars ont été installés. Ce sont les bâtiments de MSF. Les équipes de l'ONG s'y activent sans relâche pour venir en aide à tous ces exilés.

« Moria » : ce nom est normalement celui d'un village de l'île, à quelques kilomètres de sa capitale Mytilène. Mais, pour les migrants, il est devenu synonyme de « hot spot », un de ces camps créés en 2015 sous la pression de l'Union Européenne. Ils devaient être des lieux de passage où les exilés déposaient leur demande d'asile après un contrôle d'identité, une visite médicale ainsi que des prises d'empreintes digitales. L'enregistrement y est toujours effectué, ainsi que les différents contrôles.

Mais avec l'accord signé entre l'UE et la Turquie en mars 2016, les migrants venus de Syrie, d'Afghanistan, d'Irak ou encore de la République Démocratique du Congo se sont retrouvés bloqués sur les îles de la Mer Egée qu'ils quittent au compte-goutte quand ils ont obtenu des papiers, un regroupement familial avec un parent déjà installé dans un autre pays de l'UE ou parce que leurs conditions de santé les obligent à rejoindre le continent.

Un camp surpeuplé

Une infirmière bénévole s'active dans le centre de soins de MSF

Une infirmière bénévole s'active dans le centre de soins de MSF. 2018. © Ulysse Guttmann/APJ/Hans Lucas

Conséquence : « la situation se dégrade. J'éprouve un sentiment d'horreur croissant depuis que je suis arrivée », explique Mie Terkilsen. Même Ioannis Balpakakis, le directeur du hotspot, reconnaît : « le camp est surpeuplé ! Il est conçu pour 3 100 personnes ; il en vit plus de 8 000 ». Il ajoute même, un brin ironique : « nous sommes la deuxième plus grande ville de l'île, après sa capitale Mytilène ! »

L'intérieur du camp a les allures d'une petite cité. Salons de coiffures sous des bâches, points de vente d'aliments ou de produits hygiéniques.... tout montre que les migrants se sont organisés : ils savent qu'ils doivent rester longtemps dans les containers et autres cabanes improvisées, pleins à craquer. Depuis le début de l'année, plus de 22 000 migrants sont arrivés sur les îles grecques, contre 17 563 pour 2017, selon le ministère de l'immigration. Malgré tout, ni les effectifs ni les infrastructures n'ont suivi la courbe de la population dans le camp qui croît sans cesse.

Dans l'enceinte du camp, « il y a en moyenne une toilette fonctionnelle pour soixante-douze personnes et une douche pour quatre-vingt-quatre personnes. Ce qui est largement en-dessous des standards humanitaires recommandés lors de situations d'urgence »,déplore MSF. « Depuis mon arrivée, le nombre de patients qui consultent MSF a été multiplié par deux », poursuit Mie Terkilsen. 

Maux divers et contagion incessante

Sur l'île de Lesbos, des équipes médicales débordées

Les enfants sont infectés par des virus dus aux conditions d'hygiène insuffisante, ils sont en proie à des diarrhées, des poussées de fièvre... (2018) © Ulysse Guttmann / APJ/ Hans Lucas

Cette trentenaire décrit les maux dont ils souffrent : les enfants sont infectés par des virus dus aux conditions d'hygiène insuffisante, ils sont en proie à des diarrhées, des poussées de fièvre, nez qui coule... Chez les parents, les problèmes respiratoires, infections dues aux conditions sanitaires ou encore dépressions sont les maux à traiter quotidiennement. « A cause des conditions d'hygiène dans le camp, la contagion est incessante. Dès qu'un enfant ou une personne vulnérable semble guérie, elle risque de rechuter immédiatement »,précise l'infirmière.

Sahod, une jeune Syrienne de 23 ans, sort justement d'une énième consultation, son bébé dans les bras. « J'ai fui un pays en guerre, ma maison a été pulvérisée dans l'un de ces bombardements que nous subissons quotidiennement. Mon mari a été emprisonné et torturé par Daesh. Nous sommes partis dès que le bébé est né. C'était en février de cette année », explique-t-elle avec émotion. Elle s’inquiète pour Hussein qui a six mois et demi : « il a des problèmes de respiration depuis que nous sommes arrivés ici en mars. Mais nous n'avons même pas encore pu voir un médecin dans le camp ». Ce devrait pourtant être la règle.

Quatre infirmières se relaient

Des migrants font sécher leur linge sur des fils tendus entre leurs abris de fortune et les grillages délimitant le Hotspot de Moria

Des migrants font sécher leur linge sur des fils tendus entre leurs abris de fortune et les grillages délimitant le Hotspot de Moria (2018). © Ulysse Guttmann / APJ/ Hans Lucas

A l'intérieur du camp, des médecins du Centre grec du contrôle et de la prévention médicale sont présents... mais « ils sont deux pour 8 000 personnes. En outre, ils ne disposent pas de traducteur », souligne Luca Fontana, coordinateur de MSF sur l'île. Car dans un pays ravagé par la crise qui sévit depuis 2010, les coupes dans les dépenses budgétaires ont affecté d'abord la santé. Entre 2009 et 2014, les dépenses de ce secteur sont passées de 23,2 milliards d'euros en 2009, à 14,7 milliards en 2014. Tout le système a été bouleversé, entrainant notamment un engorgement des hôpitaux publics.

Dans ce cadre, associations et ONG prennent le relais pour apporter l'aide nécessaire aux migrants. « Nous sommes quatre infirmières pour MSF et nous nous relayons sur quatre postes : pharmacie, consultation, surveillance, enregistrement et triage. En moyenne, nous voyons soixante-dix enfants par jour », précise la Danoise.

« La clinique est ouverte de 9 h à 17 h. Nous faisons le diagnostic, apportons les soins primaires. Mais pour les cas plus lourds, qui nécessitent par exemple des perfusions, des radios etc., nous les envoyons vers l'hôpital de Mytilène », détaille-t-elle.

Elle avait décidé de s'engager auprès de MSF « pour savoir ce qui se passe réellement, sur le terrain, auprès des migrants ». Infirmière de formation, Mie n'en est pas à sa première mission humanitaire et s'est déjà engagée avec différentes associations. Aujourd'hui, elle fait un constat sans appel : « j'ai participé à de nombreuses autres missions dans ma carrière. Certaines étaient très difficiles comme lorsque je suis allée au Sierra Leone lors de l'épidémie Ebola. Mais ici c'est pire ! » A Moria, précise-t-elle, « il y a bien plus de drames que dans les missions précédentes, et les bonnes nouvelles sont peu nombreuses. »

Elle est également choquée par les récits des adultes : « pour arriver sur l'île, les migrants ont subi des traumatismes, des violences parfois... Ils sont désespérés. »En outre, « après avoir fait leur demande d'asile, les migrants sont dépossédés de leur futur. Certains attendent pendant plus de deux ans pour obtenir une réponse... », explique Luca Fontana.

Violences, dépressions, automutilations…

Un migrant syrien attend que son fils puisse être consulté par un médecin dans le centre de soins de MSF

Un migrant syrien attend que son fils puisse être consulté par un médecin dans le centre de soins de MSF (2018). © Ulysse Guttmann / APJ / Hans Lucas

Désespoir, débordement des camps... Les effets de cette situation sont explosifs. « Les patients se plaignent de bagarres régulières dans le camp, ils subissent des violences, y compris sexuelles. Certaines femmes n'osent même pas aller seules aux toilettes »,rapporte l'infirmière danoise. Avant de confier : « pour moi, l'état psychologique sur le camp est véritablement le plus grand problème. Les migrants souffrent des graves traumatismes psychologiques ».

Tous les jours, les équipes de MSF voient plusieurs cas d'adolescents qui ont tenté de se suicider ou de s'automutiler. Entre février et juin 2018, MSF a mené une étude sur la santé mentale pour les enfants entre six et dix-huit ans. L'ONG a constaté que près d'un quart des enfants s'étaient fait du mal, avaient tenté de se suicider ou avaient pensé au suicide. D'autres enfants souffrent de mutisme électif, de crises de panique, d'anxiété, d'excès d'agressivité et de cauchemars constants. En août dernier, un enfant de dix ans a même tenté de mettre fin à ses jours.

L'infirmière, qui travaille habituellement aux urgences d'un hôpital public dans son pays natal avoue : « je ne m'attendais pas à vivre une telle situation dans un pays aussi proche du mien ». Hammadi, le mari de Sahod, arrive : « nous avons échappé à la prison pour nous retrouver dans une nouvelle prison. Si nous avions su que les conditions étaient si peu sûres, si terribles, nous ne serions jamais partis. Mieux vaut mourir d'un coup, d'une bombe. »Le personnel médical ne semble pas surpris par ces propos d'une violence inouïe : « nous entendons cela au quotidien », déplore Mie Terkilsen.

 

Fabien Perrier

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